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Les conquêtes de 36 sont l’œuvre des travailleurs eux-mêmes, arrachées par la grève générale

Les 80 ans de la victoire electorale du Front Populaire

C’est une histoire souvent occultée que le mouvement de contestation contre « la loi travail et son monde » ressuscite peu à peu : celle de mai-juin 1936 et du Front populaire. Des comparaisons entre cet épisode important de la lutte des classes, qui a profondément marqué l’histoire de la classe ouvrière au-delà, y compris, des frontières hexagonales, et la situation actuelle fleurissent – avec justesse – un peu partout. Cependant, l’histoire du Front populaire, telle qu’elle a été façonnée depuis dans l’imaginaire collectif, revêt encore une mystification soigneusement entretenue par divers acteurs, au premier rang desquels le PS, le PCF et la CGT. À l’occasion des 80 ans du Front populaire et face à une mobilisation populaire qui se retrouve à une croisée des chemins stratégiques, il est essentiel de démystifier cette légende et de relire cette séquence afin d’en tirer les leçons à même de nous guider dans la réflexion et l’action de ces dernières semaines.Ivan Matewan

Démystifier le Front populaire

On connaît tous le mythe du Front populaire. Ce front électoral, composé de la SFIO, du PCF et du parti radical sur la base du programme politique de ce dernier, dirigé par le socialiste Léon Blum et arrivé au pouvoir au printemps 1936, aurait accordé de son bon gré une série d’acquis sociaux aux travailleurs. Et pas des moindres : reconnaissance du droit syndical, hausse des salaires, congés payés et la semaine de 40 heures. Selon le conteur à qui on a affaire, la classe ouvrière joue un rôle plus ou moins secondaire dans le déroulement de l’intrigue officielle, la part belle étant en définitive réservée à ces grands hommes des partis de gauche qui auraient su, grâce à leur unité, ouvrir la voie aux « grandes conquêtes sociales » de 36.

Mais entre mythe et réalité, il existe souvent un fossé considérable. Car si la version officielle du récit ne retient du Front populaire que les « acquis sociaux » accordés par le front parlementaire, c’est parce qu’elle occulte le fait que ces nouveaux droits sont acquis précisément à l’issue d’un peu moins de deux mois de grèves massives dans les usines et services à travers le pays. Autrement dit, les droits sociaux acquis en 1936 sont loin d’être le fruit d’une simple combine parlementaire favorable à la classe ouvrière : elles sont, au contraire, la conséquence de l’éruption des masses laborieuses sur la scène nationale et le prix qu’a accepté de payer la bourgeoisie pour désamorcer une situation révolutionnaire structurée par une classe ouvrière qui impose la grève générale à ses organisations.

Une montée de la combativité de la classe ouvrière

Les années 1930 sont une période volatile qui connaît une reprise progressive mais importante de la lutte de classes. La crise économique s’installe et s’approfondit, appauvrissant toujours plus les classes populaires et rendant leurs conditions d’exploitation toujours plus brutales. Comme en Italie et en Allemagne, la France connaît elle aussi une montée inquiétante des courants d’extrême-droite, illustrée de manière emblématique par les émeutes antiparlementaires d’extrême-droite du 6 février 1934.

À partir du 12 février 1934, la combativité de la classe ouvrière reprend. Ce jour-là, les travailleurs imposent aux directions de la SFIO et du PCF, comme à celles des différents syndicats, la tenue d’une manifestation unifiée contre la menace d’extrême-droite. C’est le début d’une réponse unie des organisations ouvrières face aux effets de la crise, aux politiques gouvernementales anti-ouvrières et à l’extrême-droite. Aux ordres de Moscou, qui cherche à tisser de nouvelles alliances diplomatiques à l’Ouest après, notamment, l’arrivée au pouvoir de Hitler, le PCF transforme le front unique de combat qui avait été imposé en un front politique, et en un pacte électoral avec les sociaux-démocrates et une fraction de la bourgeoisie en vue des élections d’avril 1936. Mais au jeu électoral s’ajoute la lutte de classes, un élément que ni le patronat, ni les partis de gauche réformiste n’avaient prévu, et qui va s’imposer à eux.

Mai 1936 constitue un point d’inflexion important dans la situation. Une première grève éclate le 11 mai à l’usine Breguet au Havre où deux syndicalistes sont licenciés pour avoir participé à la journée de grève du 1er mai. Face aux 800 grévistes, la direction réintègre rapidement les militants syndicaux licenciés. De telles grèves se multiplient dans les industries métallurgiques et aéronautiques, notamment en région parisienne et à Toulouse.

Cette vague de grèves se propage rapidement à l’ensemble du pays. Des centaines de milliers d’ouvriers et d’employés se mettent en grève pour exiger des hausses de salaires ou la reconnaissance des droits syndicaux. Au lendemain du rassemblement au Mur des Fédérés à la mémoire de la Commune de Paris, auquel plus de 600 000 travailleurs participent, les ouvriers de Hotchkiss, Nieuport, Renault-Billancourt et Sautter Harlé entrent eux aussi dans la grève et exercent une force d’entraînement sur bien d’autres secteurs tels les employés des grands magasins ou les serveurs des cafés.

La combativité retrouvée des travailleurs s’exprime surtout par l’occupation des usines, ce qui constitue une véritable nouveauté. À travers ce nouveau moyen d’action, ils exercent une pression grandissante sur les patrons qui se voient privés du contrôle de leurs moyens de production. Une atteinte à leur sacro-saint droit à la propriété privée, aux fondations matérielles même de leur pouvoir qui exige une réponse…Et cette réponse est trouvée dans la formation d’un gouvernement de Front populaire.

Un gouvernement de Front populaire pour distiller la colère ouvrière

Le Front populaire se forme au cours de l’année 1935 sur proposition du PCF qui cherche à élargir l’unité ouvrière « aux classes moyennes ». Ainsi cette alliance électorale se compose-t-elle de la SFIO et du parti radical, soit le parti bourgeois de la IIIe République par excellence, avec le soutien inconditionnel du PCF. Alors que son programme se rapproche de très près de celui du parti radical, très pauvre en revendications ouvrières, il sort le grand vainqueur des élections législatives de mai 1936. En ce sens, la victoire du Front populaire est l’expression sur le plan électoral et parlementaire de la poussée ouvrière en cours.

Les 4 et 5 juin, plus d’un million de travailleurs sont en grève et l’ensemble des usines de la région parisienne sont occupées. Les patrons sont plus qu’effrayés et cherchent désespéramment à restaurer l’ordre. Au lendemain de son investiture au Parlement, le gouvernement de Front populaire réunit à Matignon les « partenaires sociaux » – représentants patronaux comme syndicaux – dans la nuit des 7 et 8 juin. Ce formidable exercice en dialogue social aboutit avec le soutien de la CGT aux accords de Matignon qui consacrent la reconnaissance du droit syndical, le principe des conventions collectives, la représentativité ouvrière et une revalorisation des salaires d’entre 7 et 15 %.

À en croire les hérauts du Front populaire, ces accords auraient dû suffire à distiller la colère ouvrière. Léon Jouhaux, alors secrétaire général de la CGT, ne s’est-il pas employé début juin à faire croire que « les grèves qui se déroulent actuellement à Paris et dans toute la France ne sont ni politiques ni insurrectionnelles, elles sont strictement corporatives » ? À la demande du gouvernement, sur lequel les patrons font pression, les syndicats demandent l’évacuation des usines et la fin des séquestrations de patrons, mais en vain.

L’extension de l’offensive ouvrière à travers la grève générale

Loin de se dissiper au lendemain de la signature des accords de Matignon, l’offensive ouvrière s’intensifie. La grève se généralise entre les 8 et 12 juin. Les usines restent occupées, les comités de grève mobilisés. Cette généralisation s’illustre d’ailleurs par l’entrée dans la danse de nombreux secteurs qui font grève pour la première fois. L’industrie comme les services et l’agriculture sont massivement touchés par les arrêts de travail.

Prenant le contre-pied de Jouhaux, Trotski écrit dès le 9 juin 1936 à propos de cette dynamique politique profonde : « Ce qui s’est passé, ce ne sont pas de simples grèves corporatives. Ce ne sont même pas des grèves. C’est la grève. C’est le rassemblement au grand jour des opprimés contre les oppresseurs. »

Ou encore : « Le déclenchement de la grève est provoqué, dit-on, par les ’espoirs’ que suscite le gouvernement de Front populaire […]. Ce qui s’exprime avant tout dans la grève, c’est la méfiance ou tout au moins le manque de confiance des ouvriers, sinon dans la bonne volonté du gouvernement, du moins dans sa capacité à briser les obstacles et à venir à bout des tâches qui l’attendent. Les prolétaires veulent ’aider’ le gouvernement, mais à leur façon, à la façon prolétarienne. »

Mais les directions des partis social-démocrate et stalinien, fidèles à leur stratégie de collaboration de classes avec la bourgeoisie au sein du Front populaire, ne cherchent en aucun cas à s’appuyer sur cette dynamique de généralisation de la grève ni à l’encourager. Au contraire, ils cherchent à y mettre fin le plus rapidement possible. Sous cette « grandiose pression » de la classe ouvrière, comme le décrit Trotski, le gouvernement vote en urgence et avec l’aval du patronat une nouvelle série de lois sur les congés payés et la semaine de 40 heures.

Pourquoi les nationalisations ?

La crise de 1929, partie des États-Unis, a dévasté ensuite les pays européens. Les solutions libérales apparaissent ainsi aux yeux du plus grand nombre comme un échec et se trouvent rejetées. L’idée de nationalisation des entreprises – ou du moins de certaines d’entre elles – progresse dans la société française sous l’impulsion de la gauche syndicale et politique.

Pour répondre à cette question il faut s’appuyer sur les raisons invoquées par ceux qui les ont décidées et mises en œuvre au moment du Front populaire en 1936-1937.

Ce qui est frappant pour les historiens quand ils étudient les textes des syndicats et partis de gauche de 1918 à nos jours, est qu’aucun des arguments de ces organisations ne fait appel à une conception économique et sociale d’ensemble à l’intérieur de laquelle les nationalisations seraient le ferment d’un socialisme en marche. Elles insistent au contraire sur l’idée que les nationalisations ne sont pas le socialisme, sans pour autant définir le socialisme…

Il y a un flou permanent sur les motivations des nationalisations, leur rôle dans l’économie et leur gestion.

L’expérience du Front populaire montre que pour les acteurs de cette époque, les nationalisations n’ont pas été d’abord une mesure économique ou sociale mais politique. C’était une arme contre l’ « ennemi de classe », c’était lui retirer ce qui faisait son pouvoir économique et financier, on parle alors de « lutte contre les trusts ». Il s’agit d’atteindre le fondement même de la puissance d’un adversaire politique à abattre que sont les grands milieux d’affaires, les « deux cents familles », le « mur de l’argent ». C’est le cas, particulièrement, de l’industrie de l’armement.

En 1918, pour la première fois, la CGT, dans son programme, parle de nationalisation. En 1920, la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO, continuée aujourd’hui par le PS), se présente comme le « parti des nationalisations », tandis que les radicaux y sont également favorables dans certaines conditions.

Le PCF, lui, dans l’entre-deux guerre, est opposé aux nationalisations.

C’était d’ailleurs la position du courant socialiste avant la Première Guerre mondiale qui rejetait toute idée de transformation de l’État en « patron », l’objectif étant « l’abolition du patronat ». Les « révolutionnaires », selon le PCF, ne croient pas à la possibilité de créer des « ilots socialistes » dans une société capitaliste.

Dans les années 30, des sociétés d’économie mixte sont mises en place, résultant de la fusion contrainte d’entreprises privées et de la participation financière de l’État. C’est le cas de la création d’Air-France en 1933 constituée de la fusion de :

  • Société générale des transports aériens,
  • Compagnie internationale de navigation aérienne,
  • Air-Orient,
  • Air-Union,
  • Aéropostale.

Un total de 240.000 actions sont réparties entre les quatre anciennes sociétés (sauf l’Aéropostale), et 80.000 actions seulement pour l’État.

C’est la première formule de nationalisation moderne.

Au moment du Front populaire, le PCF refuse d’autres nationalisations que celles des industries de guerre, car il voit dans l’État la force première de la bourgeoisie. Il commencera à évoluer en 1937. Pour Maurice Thorez, le dirigeant du PCF : « Nous considérons que pour nationaliser, il faut le pouvoir ; prendre le pouvoir, pour nous, cela ne se fait que d’une seule façon : par la dictature du prolétariat, par le pouvoir des Soviets » (Rapport au Comité central, 17 octobre 1935, Œuvres de Maurice Thorez, t. X, 1952, p. 34). Maurice Thorez voit dans les nationalisations, comme dans le planisme ou l’économie dirigée, « un élément de bascule de la démocratie bourgeoise vers le fascisme : les nationalisations dans le cadre du régime capitaliste ne pourraient conduire qu’à un renforcement de l’État bourgeois, à une plus grande concentration des moyens de domination et d’oppression entre les mains de l’oligarchie financière. Ce serait simplement accélérer le procès de fascisation de l’État » (Conférence nationale du 22 janvier 1937, t. XIII, p. 172).

Ainsi le PCF s’opposera-t-il aux nationalisations pendant toutes les discussions concernant le programme du Front populaire, n’acceptant que les seules nationalisations des industries d’armement. C’est le 27 février 1937 que le PCF se prononce pour la première fois pour la « nationalisation de certains grands monopoles tel celui des assurances » (Maurice Thorez, « La pause ? Aux trusts ! », L’Humanité, 4 et 5 mars 1937). Le premier « programme de gouvernement de la France » publié par le PCF est adopté par le Comité central du 21 novembre 1938.

Les conceptions du PCF évoluent, l’action de l’État peut être positive « dans la mesure où il est influencé par les masses populaires ».

Les nationalisations prennent alors une place centrale. Les nationalisations, pour le PCF, permettront de détruire la puissance des « magnats », des « féodalités », mais également de dégager des ressources complémentaires pour l’État et de contrôler les prix. Pas d’indemnité pour les gros actionnaires, rachat des actions pour les petits. Rien, cependant, n’est dit sur les modalités de gestion.

 

Le Front populaire nationalise les usines d’armement (11 août 1936), partiellement le secteur de la construction aérienne (15 juillet 1937) et les Chemins de fer avec la création de la SNCF (31 août 1937).

 

Nationalisation des usines d’armement (loi du 11 août 1936)
Chez les munitionnaires, 12 usines possédées par 7 entreprises sont rachetées.

 

Nationalisation partielle du secteur de la construction aérienne (loi du 15 juillet 1937)
Création de six sociétés nationales de construction aéronautique, 22 usines appartenant à 15 entreprises sont expropriées, seules 3 usines appartenant à 2 entreprises sont épargnées.

  • La SNCAC (Société Nationale de Construction Aéronautique du Centre) reprend une partie des actifs des sociétés Farman, Hanriot, et Loire-Nieuport. Ses principaux centres industriels se trouvaient à Boulogne-Billancourt, Bourges, et Issy-les-Moulineaux.
  • La SNCAM (Société Nationale de Construction Aéronautique du Midi) reprend une partie des actifs des sociétés Dewoitine et Fouga. Ses principaux centres industriels se situaient à Aire-sur-Adour et Toulouse.
  • La SNCAN (Société Nationale de Construction Aéronautique du Nord) reprend une partie des actifs des sociétés Amiot, ANF, Bréguet, CAMS, et Potez. Ses usines et ateliers se répartissaient principalement entre Caudebec-en-Caux, Le Havre, Les Mureaux, Méaulte, et Sartrouville.
  • La SNCAO (Société Nationale de Construction Aéronautique de l’Ouest) reprend principalement les actifs d’une partie de Bréguet et Loire-Nieuport. Ses principaux bureaux d’études et usines se trouvaient à Bouguenais et Saint-Nazaire.
  • La SNCASE (Société Nationale de Construction Aéronautique du Sud Est) reprend les actifs de sociétés comme CAMS, Lioré-et-Olivier, Potez, Romano et SPCA. Ses principales usines se trouvaient à Argenteuil, Berre, Cannes, Marignane, Marseille, et Vitrolles.
  • La SNCASO (Société Nationale de Construction Aéronautique du Sud-Ouest) reprend une partie des actifs des sociétés Blériot, Bloch, Lioré-et-Olivier, et SASO. Elle était principalement installée à Bordeaux, Courbevoie, Rochefort, Suresnes et Villacoublay.

 

Nationalisation des Chemins de fer avec la création de la SNCF (décret du 31 août 1937)

Jusqu’alors des concessions étaient octroyées à 5 grandes compagnies : Est, Midi, Nord, PLM, PO, à côté de 2 réseaux d’État : Ouest et Alsace-Lorraine. Il y avait un fonds commun de compensation des excédents et insuffisances des comptes d’exploitation, mais le déficit s’aggravait depuis 1931. L’État accordait une garantie de dividendes. La loi des 40h obligea les compagnies à embaucher 90.000 agents, soit 20% de leur effectif.

Les socialistes de la SFIO veulent l’expropriation avec une indemnisation minime des actionnaires. Ils obtiendront une indemnisation payable en 45 annuités constantes, couvrant l’amortissement et l’intérêt de 6%, non imposable. L’État possédait 51%. Au conseil d’administration, sur les 33 sièges, il y a 17 représentants des intérêts publics, 12 représentants des compagnies, 4 représentants de la CGT. Les compagnies survivaient, elles continuaient d’exploiter leur concession. C’est l’exploitation qui est unifiée.

Ce qui fait dire au dirigeant de la Fédération CGT des cheminots, Pierre Sémard, en mai 1939 :

« il fallait nationaliser les chemins de fer », et il traduit le sigle SNCF par « Sabotage de la nationalisation par le capitalisme français ».

À notre époque, les objectifs devant être fixés aux nationalisations sont à la fois sociaux, économiques, environnementaux, politiques, financiers et démocratiques.

Les leçons d’une « victoire défaite »

À partir du 12 juin 1936, les composantes ouvrières du Front populaire s’emploient à cœur joie à faire reprendre le travail. Les désormais célèbres mots du dirigeant communiste, Maurice Thorez – « il faut savoir terminer une grève » – deviennent l’alpha et oméga de la politique des dirigeants syndicaux dans les entreprises. Bien que peu convaincus, voire hostiles à la reprise de travail, les travailleurs mettent peu à peu fin à la grève. Quant aux patrons, ils peuvent se rassurer après la « Grande peur ». Même si des actes d’insubordination ouvrière continuent régulièrement à se manifester jusqu’à la fin de la décennie, ce qui n’est pas sans agacer le patronat qui va jusqu’à s’en plaindre auprès de Léon Blum dès septembre 1936, les directions du mouvement ouvrier ont su en dernière instance maintenir l’ordre capitaliste.

Quatre-vingts ans plus tard, l’expérience du Front populaire reste riche en enseignements d’une actualité retentissante. D’autant plus d’actualité que la jeunesse et le monde du travail commencent à se mettre en mouvement après cinq ans de gouvernement « socialiste » et de sa stratégie de « dialogue social » anesthésiante. Alors que ce mouvement contre la loi travail et son monde se voit aujourd’hui confronté à des choix stratégiques de première importance, deux leçons en particulier devraient retenir notre attention.

Si les travailleurs ont gagné de nouveaux droits sociaux, ce n’est pas parce qu’ils se sont remis à une quelconque combinaison parlementaire. Comme nous venons de le voir, celle-ci s’est avérée être le principal frein au développement de la combativité ouvrière, à la généralisation de la grève et, en définitive, au passage à la confrontation révolutionnaire pour arracher le pouvoir économique et politique des mains de la bourgeoisie.

Les lois de 1936 ont été chèrement arrachées par les travailleurs eux-mêmes. Tirant un bilan au lendemain des événements de mai-juin 1936, Trotski affirme que « les ouvriers ont exercé en juin une grandiose pression sur les classes dirigeantes ». Cette pression s’est exercée justement à travers la grève générale. En s’organisant en comités de grève qui dépassaient les cadres syndicaux habituels afin de gérer les usines occupées, les travailleurs ont préparé le terrain, même si de manière embryonnaire, pour l’émergence d’une direction capable d’échapper au contrôle des directions syndicales et politiques bureaucratiques et de disputer le pouvoir à la bourgeoisie. Ces moyens d’action sont, en dernière analyse, les seuls qui permettent de construire un rapport de force collectif à même d’imposer les revendications des travailleurs et de préparer l’affrontement avec la bourgeoisie et l’expropriation des moyens de production par les travailleurs eux-mêmes.

La deuxième leçon vient plutôt des faiblesses du mouvement de mai-juin 1936. Selon Trotski, les travailleurs n’ont pas conduit cette grandiose pression « jusqu’au bout ». « Ils ont montré leur puissance révolutionnaire, écrit-il, mais aussi leur faiblesse : l’absence de programme et de direction. » Faute de cadres d’auto-organisation consolidés, de programme capable d’unifier le mouvement et de parti révolutionnaire déterminé à proposer à ce dernier d’aller jusqu’au bout, la bourgeoisie est en effet parvenue à se servir des directions réformistes et collaborationnistes afin de dévier la colère et de reprendre la main sur la situation.

Un retour historique, donc, qui révèle les enjeux colossaux qui se cachent derrière le mot d’ordre de « grève générale » qu’on entend scander dans les manifestations depuis le 9

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Cette entrée a été publiée le 4 Mai 2016 par dans anticapitalisme.