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Le coût élevé de la hausse de l’emploi

L’emploi a encore progressé en France au premier trimestre, alors même que l’activité reste faible. Un paradoxe qui a plusieurs revers : une aide publique massive, des phénomènes de rente et des salaires réels en baisse. Un « miracle » de l’emploi que les travailleurs paient donc au prix fort.


Romaric Godin – Médiapart
L’ embellie de l’emploi en France ne se dément pas dans les statistiques. Jeudi 8 juin, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), qui a publié les chiffres de l’emploi salarié au premier trimestre, a établi une hausse de 0,3 % allant de
janvier à mars, soit 92 400 emplois en plus en trois mois. Cela, après une hausse de 0,2 % le trimestre précédent (ou 55 400 emplois supplémentaires).
Si l’on observe la tendance à partir du dernier trimestre ayant précédé la crise sanitaire, soit le quatrième trimestre de 2019, le bilan est a priori très flatteur : la hausse de l’emploi salarié atteint 1,21 million pour le seul secteur privé. C’est une hausse de 6,1 %. En incluant le secteur public, la hausse est de 4,7 %.
On passera ici rapidement sur les cris de joie de la majorité présidentielle, attribuant ces succès à la politique de réforme du gouvernement. Car il est impossible de voir la réalité sous le seul aspect de l’emploi. Dans une économie capitaliste, un emploi n’est pas une fin en soi, c’est un moyen de réaliser une production rentable. Or c’est bien ici que le bât blesse.
Car la production, elle, ne suit pas. Au premier trimestre, le PIB a progressé de 0,2 % seulement, soit moins vite que l’emploi. Depuis le dernier trimestre de 2019, le PIB
affiche une hausse de 1,3 %, soit un niveau 4,7 fois inférieur à celui de l’emploi privé. En termes de production, le bilan est le même : depuis la fin 2019, la production totale des branches progresse de 2,9 %, soit près de moitié moins vite que l’emploi privé.
En d’autres termes, la hausse de l’emploi cache une vérité un peu plus gênante pour le gouvernement, mais aussi plus largement pour les économistes des écoles dominantes : l’emploi créé depuis plus de trois ans permet de produire moins. C’est travailler plus pour
produire moins.
Cette baisse vertigineuse de la productivité du travail n’est pas un détail
. Dans les manuels d’économie, le progrès technique permet l’augmentation de la productivité qui, rendant la production meilleur marché, permet de baisser les prix, développer les marchés,
augmenter la production et donc l’emploi et les salaires.
C’est pourquoi toutes les politiques de « réforme » ont été réalisées au nom de cette augmentation de la productivité. Et c’est aussi pourquoi la situation actuelle est difficile à saisir pour la « science économique ».
Un exemple frappant de cette perplexité est la « une » des Échos de ce 9 juin sobrement titrée « Pourquoi l’emploi résiste à la panne de croissance ». Outre que le phénomène, comme on vient de le voir, est plus durable que ce titre ne le laisse entendre, l’article censé nous expliquer ce fait troublant reste étonnamment descriptif et apologétique. L’emploi augmente, c’est une bonne nouvelle, et c’est tout. Pour paraphraser Guy Debord, on
pourrait dire que le journal des affaires se contente de constater que « ce qui apparaît est bon et ce qui est bon apparaît ».
Confrontée à ses propres limites, l’économie a souvent pour habitude d’éviter le sujet, comme c’est le cas dans Les Échos, ou de dire qu’il ne s’agit que d’une perturbation temporaire et que tout finira bien par rentrer dans l’ordre. Lequel ordre reste cependant à
définir.

Mais ce trouble dans la science économique traduit surtout une perturbation concrète de la situation actuelle des économies capitalistes.
Car, ce qui rend inopérante l’explication d’un effet des politiques gouvernementales françaises, c’est que ce phénomène de distorsion entre emploi et production est général. Un peu moins fort aux États-Unis, il est très sensible au Royaume-Uni ou en Allemagne, par exemple.
Mais c’est réellement un phénomène commun à toutes les économies avancées. Autrement dit : la perturbation est globale.

Et c’est bien une réflexion sur ce problème qu’il s’agit d’éviter en appelant à la patience ou en se contentant de se réjouir de la hausse de l’emploi.
Car, dans une économie capitaliste, l’essence de toute activité marchande est la production de profit.

Or, pour être rentable, une telle activité a trois solutions (qui peuvent s’additionner et se compléter) : gagner en productivité, comprimer les conditions de travail ou, enfin, avoir recours à des gains « hors marché », comme des rentes ou des subventions. Si la productivité baisse, la rentabilité des entreprises ne peut s’appuyer que sur les deux autres solutions, ce qui suppose le pillage du budget de l’État, la compression des salaires réels et des hausses de prix injustifiées.


Subventions, rentes et salaires réels en baisse
Sans surprise, la situation actuelle confirme une telle hypothèse.

 Jamais les États, et l’État français en particulier, n’ont autant subventionné le secteur privé.
On se souvient que l’an passé une étude de l’Institut des recherches économiques et sociales (Ires) avait estimé ce phénomène à près de 160 milliards d’euros, plus que le
déficit budgétaire français de 2022 (125 milliards d’euros selon l’Insee au sens de Maastricht).
Dans un ouvrage récent, L’État droit dans le mur, l’économiste Anne-Laure Delatte a confirmé, données à l’appui, que la crise sanitaire avait encore exacerbé le phénomène de soutien au secteur privé.
Dans ces conditions, la baisse de la productivité est très largement acceptable pour de nombreux secteurs qui vivent sous la perfusion des aides publiques directes ou
indirectes.
On peut notamment citer le commerce où, selon l’Insee, l’emploi a augmenté de 5,4 % depuis la fin de 2019 alors que la production n’a crû que de 1,25 % ou encore
l’hôtellerie-restauration qui affiche une hausse de 8,7 % de l’emploi avec une croissance de 2,6 % de la production. Mais c’est aussi le cas de l’industrie manufacturière qui bénéficie des plans de relance et France 2030 (pas moins de 130 milliards d’euros) et qui a vu l’emploi augmenter de 1,5 % depuis fin 2019, alors que la production reculait de 3,4 %…
À cela, il faut évidemment ajouter, ou plutôt mettre en évidence, le soutien direct à la création d’emploi à bon marché de la part de l’État. L’État français a quasiment réduit à néant les cotisations au niveau du Smic et subventionne la modération salariale des bas salaires par la prime à l’emploi.
Surtout, on sait qu’un grand nombre d’emplois créés dans les statistiques sont des apprentis lourdement subventionnés. Selon la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), près de 980 000 contrats d’apprentissage ont été signés en France en 2022, soit près de 500 000 de plus qu’en 2019.
Cela est très largement salué par le gouvernement mais pose immédiatement un problème majeur : ces emplois ne sont-ils pas issus de leur caractère bon marché ? N’est- ce pas alors un simple effet d’aubaine qui ne saurait déboucher sur des emplois équivalents durables ?
En clair : la condition de leur existence n’est-elle pas plus la subvention publique que l’existence d’un besoin à moyen terme ? Si tel est le cas, les emplois d’apprentis
permettent surtout de réaliser des tâches très peu productives à moindre coût, assurant en quelque sorte la rentabilité de cette activité. C’est ce que l’on peut comprendre d’une étude de janvier 2023 de la Dares qui estimait que 20 % de la baisse de la productivité
française depuis 2023 s’expliquait par le développement de l’alternance. Mais si l’on veut être logique, c’est bien la subvention publique qui, ici, explique ce phénomène.
En parallèle, l’après-Covid a été marqué par une poussée inflationniste qui a mis en évidence des phénomènes de rentes et de boucle prix-profits. Même la Banque centrale
européenne (BCE) a été, en interne du moins, obligée de le reconnaître.
Des secteurs entiers ont pu profiter de positions dominantes et de l’excuse de la guerre en Ukraine pour augmenter les prix et compenser ainsi les baisses de volume. C’est le cas de l’énergie, mais aussi de l’agroalimentaire. Or, sans surprise, ces secteurs sont parmi ceux dont la productivité a le plus baissé et où l’emploi a continué à augmenter en dépit de baisse de la production.

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Cette entrée a été publiée le 16 juin 2023 par dans ANTISOCIAL, capitalisme, EMBAUCHES, EMPLOI, ETAT POLICIER, FRANCE.