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France : Face aux syndicats de police, “le gouvernement a peur” !

Deux chefs de la police ont mis en cause publiquement le placement en détention provisoire d’un policier de la BAC de Marseille. Une entorse à l’État de droit ? Le point avec le chercheur Sebastian Roché.

Par Marion Rousset

Dans la nuit du 1ᵉʳ au 2 juillet, Hedi, un jeune homme de 21 ans, a reçu un tir de LBD dans la tempe puis été roué de coups. Le parquet de Marseille a ouvert une enquête contre quatre policiers soupçonnés de « violences en réunion ». L’un d’entre eux a été placé en détention provisoire. Le patron de la Police nationale, Frédéric Veaux, et le préfet de police de Paris, Laurent Nuñez, ont contesté cette décision. Pour Sebastian Roché, directeur de recherche au CNRS, auteur de La Nation inachevée. La jeunesse face à l’école et la police, un cap a été franchi.

Que vous inspirent les prises de position récentes de la hiérarchie policière ?

C’est un choc sans précédent. On connaissait déjà l’expression de la « grogne policière », employée en 1983 après le décès de deux policiers tués dans une fusillade. Des collègues avaient marché sur la place Vendôme et même sur l’Élysée au cri de « Badinter, démission ! ». Mais que l’administration policière revendique le rôle de quatrième pouvoir, à côté des pouvoirs judiciaire, législatif et exécutif, on ne connaissait pas… Aujourd’hui, ce sont deux chefs – des fonctionnaires – qui disent que l’organisation de l’État ne leur convient pas, de même que l’égalité devant la loi, codifiée par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme, qui est l’un des principes cardinaux de toutes les démocraties occidentales.

Tout d’un coup, l’administration laisse entendre que les juges ne devraient pas avoir les pouvoirs qu’ils ont actuellement et déclare que les policiers devraient bénéficier d’un traitement différent des autres citoyens. Une manière de déroger à son devoir de neutralité et de réserve. Et elle le fait sans le paravent de l’exécutif. En 2021, quand le préfet de police de Paris, Didier Lallement, proteste avec les policiers devant l’Assemblée nationale, il le fait dans les pas de Gérald Darmanin et du pouvoir exécutif qui est dans une relation de tension avec le Parlement. Donc ce n’est pas lui qui mène la contestation.

Assiste-t-on à une remise en cause de l’État de droit ?

Ce n’est pas une remise en cause fondamentale, parce qu’il en faudra plus pour faire tomber le système d’État de droit. La France a une certaine stabilité en dépit des événements, une société civile puissante, des médias indépendants, différents partis politiques et une justice qui a une latitude pour travailler. Mais on atteint quand même un point de bascule. Quand le préfet de police de Paris dit qu’il dirige trente mille hommes, c’est un peu comme si, en Russie, Prigojine rappelait la taille de son armée à Poutine. Ce qui se passe n’a rien à voir avec une simple « grogne » des agents de terrain. Ce sont des fonctionnaires qui veulent dire la loi.

Les syndicats Alliance et Unsa-Police ont publié un communiqué très virulent qui évoque des « hordes sauvages » de « nuisibles »…

Depuis quarante ans, les syndicats majoritaires mettent en cause le système judiciaire de manière très répétée. En 1983, on accuse Badinter, le garde des Sceaux de l’époque, de laxisme. On le rend responsable de la mort de policiers. Il est associé à l’abrogation de la peine de mort et des lois anti-casseurs, donc il incarne une faiblesse supposée de la justice. On va retrouver ce même discours syndical en 2021 lors d’une prise à partie de Dupond-Moretti. Ce qui est nouveau, c’est la faiblesse du gouvernement. En 1983, François Mitterrand y voit quelques milliers de fonctionnaires marcher vers la place Vendôme et il limoge le directeur général de la Police nationale et le préfet de police de Paris, estimant qu’ils ont échoué à tenir leurs troupes. Aujourd’hui on est dans une situation quasiment inverse.

Que dit le silence de Gérald Darmanin et d’Emmanuel Macron du rapport de force entre le gouvernement et la police ?

L’autorité de l’État commence par l’autorité sur ses propres fonctionnaires. Or aujourd’hui, je pense que le gouvernement a peur. On le voit, l’équilibre du rapport de force est très précaire. Les syndicats de police ont le pouvoir qu’on leur donne et celui-ci dépend de la solidité du gouvernement. Darmanin est absent. Et ça, c’est stupéfiant de la part d’un ministre qui a un tel sens de la communication. On n’entend pas non plus le ministre de la Justice. Ce silence assourdissant traduit la très grande faiblesse de l’exécutif, qui est liée à sa faiblesse au Parlement. On a un parti politique au pouvoir avec une majorité relative, dont la survie dépend de ses alliés. Emmanuel Macron est dans une situation de fragilité qui explique, à mon sens, les malheureuses incursions médiatiques des chefs de police.

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Cette entrée a été publiée le 26 juillet 2023 par dans CRISE POLITIQUE, CRISE SOCIALE, ETAT POLICIER, FRANCE, GOUVERNEMENT, MACRON, POLICE.