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Crèches : “Le secteur est en crise, il faut des réponses concrètes”

INTERVIEW : Les livres “Le prix du berceau” et “Babyzness” sortent en librairie ce vendredi 8 septembre. Les deux dénoncent les dérives des crèches privées. Emilie Philippe, éducatrice de jeunes enfants et représentante du collectif “Pas de bébés à la consigne”, rappelle que le problème n’est pas nouveau.

Par Pauline Guibert

Êtes-vous étonnée des révélations de ces deux livres ?

Emilie Philippe : Nous ne sommes malheureusement pas surpris de ce qui est évoqué. Nous alertons depuis 15 ans, c’était anticipable. Le gouvernement a toutes les études, toutes les données en main pour changer les choses. En 2019, le rapport de Michèle Peyron (députée La République en marche, ndlr) mettait en cause le manque de moyens des centres de la protection maternelle et infantile. Celui de la Caisse d’allocations familiales, alerte sur le manque de personnel et l’Igas (inspection générale des affaires sociales, ndlr) évoque de son côté une “maltraitance institutionnelle”.

En tant que professionnelle du secteur, que constatez-vous ?

Emilie Philippe : Nous faisons face à une pénurie de personnel et un taux d’encadrement qui n’est pas adapté. Actuellement, le taux unique est d’un adulte pour 5 enfants ne marchant pas et peut aller jusqu’à 8 pour des enfants qui marchent. Mais imaginez un repas. Un professionnel avec 5 bébés. Tous ne prennent pas le biberon au même rythme. Et en même temps vous devez changer une couche, vous occuper d’un qui pleure. J’ai été choquée de parents qui nous disaient “bon courage” le matin en déposant leurs enfants.

Ces difficultés existent-elles uniquement dans les crèches privées ?

Emilie Philippe : Non. Une partie des problématiques concerne l’ensemble des structures, qu’elles soient privées, associatives ou publiques. Le manque de personnel et les taux d’encadrement trop élevés existent aussi dans le public. Ces structures n’ont pas la culture de la rentabilité ce qui évite des dérives de rationalisation des coûts visibles dans le privé.

Face à toutes ces difficultés, que préconisez-vous ?

Emilie Philippe : Le secteur est en crise, il faut des réponses concrètes. Depuis quatre ans, on porte avec le collectif 20 mesures pour améliorer l’accueil des enfants dans toutes les crèches. En priorité, nous demandons le passage du taux d’encadrement à cinq enfants maximum qu’ils marchent ou non. Au Danemark et aux Pays-Bas, la réglementation impose un adulte pour trois ou quatre enfants… Nous demandons aussi le lancement d’un véritable plan de formation. C’est essentiel, tant pour l’ouverture de place que pour l’attractivité des métiers. Pour terminer, j’engage une réflexion sur la marchandisation de la petite enfance. Ce sont des commerciaux à la tête de ces entreprises, pas des professionnels de la petite enfance. C’est pourquoi on en arrive à des situations dramatiques de rationnement de l’alimentation, des professionnels qui ont des gestes brusques, un manque d’attention. Je m’interroge : est-ce un domaine qui devrait être ouvert au privé ?

Crèches privées : “La hausse du nombre de places se fait parfois au détriment de la sécurité des enfants”

Le livre Babyzness* de deux journalistes du Parisien, Bérangère Lepetit et Elsa Marnette, révèle la face cachée des crèches privées. Un secteur où la finance peut parfois passer avant le bien-être des enfants, comme le raconte Elsa Marnette.

Qu’est-ce qui vous a incité à vous pencher sur le fonctionnement des crèches privées ?

Elsa Marnette : Des témoignages de parents dans les Yvelines ou en Seine-Saint-Denis sont remontés jusqu’à nous. Ils nous racontaient qu’ils avaient retiré leurs enfants de micro-crèches privées car ils avaient des soupçons de négligence, de maltraitance ou encore parce qu’ils n’avaient pas confiance dans l’équipe. Un papa des Yvelines a porté plainte pour mise en danger de la vie d’autrui parce que son fils avait été retrouvé hors de la crèche et à deux doigts de s’engager dans une avenue très passante. Tout est parti de là. Nous avons commencé à enquêter et il y a eu le drame de Lyon en juin 2022, où une petite fille a été tuée dans une micro-crèche privée. Nous nous sommes alors demandé ce qui se passait derrière les portes de ces structures.

Qu’avez-vous trouvé derrière ces portes ?

Nous ne voulons pas généraliser, mais nous avons eu beaucoup de témoignages de professionnels qui nous ont parlé de rationalisation des coûts. On leur demande de faire des économies sur les couches, sur le nombre de repas commandés. Une directrice nous a raconté qu’elle devait commander moins de repas que le nombre d’enfants qui étaient inscrits, en misant sur les absents. Une salariée nous a dit que des petits sortaient de table en ayant encore faim. Des salariées nous ont aussi expliqué qu’elles devaient acheter des produits en catastrophe car ils manquaient. C’est une gestion un peu à l’économie en ayant les yeux rivés sur les budgets.

Cette obsession de la rentabilité explique-t-elle l’essor du secteur privé lucratif ?

Le secteur de la petite enfance a été ouvert au privé en 2003 et, depuis, il est en expansion. Il y a eu une explosion en 2010 quand le décret de Nadine Morano (secrétaire d’État chargée de la Famille dans le gouvernement de François Fillon, ndlr) a créé les micro-crèches privées (qui ont un effectif maximum de 10 enfants, ndlr). Ces dernières années, au moins 80% des places qui ouvrent sont dans le secteur privé lucratif, alors que dans les crèches municipales et associatives, on voit encore, cette rentrée, des fermetures de berceaux car il n’y a pas assez de personnel.

Comme dans le public, le taux d’encadrement dans le privé est-il encadré ?

Dans tous les établissements, c’est un adulte pour cinq bébés et un adulte pour huit enfants qui marchent. Dans une crèche, il faut que 40% de l’effectif ait un diplôme de la petite enfance. Ce sont des éducateurs de jeunes enfants, des auxiliaires de puériculture ou des CAP petite enfance. On peut donc jouer sur le niveau de qualification des personnels qu’on embauche pour faire des équipes. On nous a parlé de crèches privées qui fonctionnent uniquement avec des CAP petite enfance, c’est-à-dire le diplôme le plus court à obtenir quand on veut travailler dans le secteur.

C’est donc en jouant sur les niveaux de qualification que des établissements privés peuvent gagner en rentabilité ?

Comme une éducatrice de jeunes enfants coûte plus cher qu’une auxiliaire de puériculture et qu’un CAP petite enfance, en embauchant uniquement des CAP, des établissements font des économies sur la masse salariale. On crée aussi des postes d’agent polyvalent, c’est-à-dire une seule personne qui va être chargée de préparer les repas, de faire le ménage dans les sections en fin de journée. Elle a un CAP petite enfance donc elle peut être comptée dans les effectifs auprès des enfants alors qu’elle n’est pas en train de s’en occuper. Ces dernières années, il y a eu des assouplissements des législations pour favoriser l’embauche de personnels. Car l’objectif principal depuis 20 ans, c’est d’augmenter la quantité de berceaux disponibles. Nous voulons dénoncer que la hausse du nombre de places se fait parfois au détriment de la qualité de l’accueil et de la sécurité des enfants.

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Cette entrée a été publiée le 10 septembre 2023 par dans DROIT DES ENFANTS, ENFANCE, ETAT POLICIER, FRANCE, MALTRAITANCE.