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PCF : Unitaires tout seuls : le paradoxe des militants communistes

À la Fête de L’Humanité, les communistes prônent le renforcement du PCF avant l’unité de la gauche. Certains critiquent cependant les saillies médiatiques de Fabien Roussel et un « repli identitaire » qui leur pose des questions sur l’avenir.

Mathieu Dejean

BrétignyBrétigny-sur-Orge (Essonne).– Il y a des choses qui ne changent pas à la Fête deL’Humanité.Comme la bonne humeur des militant·es communistes, à pied d’œuvre depuis une semaine pour monter les stands des fédérations du Parti communiste français (PCF) à Brétigny-sur-Orge (Essonne) ; et la playlist, stable sur ses fondamentaux. MotivésMerci patron ! et L’Internationale viennent de s’enchaîner sur les enceintes de l’Auberge Limousine, vendredi midi, quand Arnaud Ruffier s’accorde un break au comptoir. Comme beaucoup ici, cet imprimeur quarantenaire syndiqué à la CGT donne de son temps bénévolement tout le week-end pour servir les camarades en boissons pas chères.

Cette année, il savoure pour sa part un « bol d’air » :c’est « l’effet Roussel » qui perdure dans les allées de la Fête. Le secrétaire national du PCF depuis 2018réélu haut la main en début d’année (avec 82 % des suffrages exprimés), est devenu une figure médiatique. Il est loin le temps où le philosophe Raphaël Enthoven se demandait « qui connaît Fabien Roussel ? », titre d’un livre d’entretiens avec le député du Nord, soupçonné par la justice d’emploi fictif (lire l’enquête de Mediapart). Son portrait s’étale en grand sur les barnums. Sa notoriété ruisselle sur le parti, qui n’avait pas connu une telle hype depuis Georges Marchais, disent les nostalgiques. Bien sûr, il n’est pas le seul responsable de ce regain d’intérêt, mais « en termes de communication, il passe bien », juge Arnaud Ruffier, au mollet tatoué d’un portrait du Che.

Ce week-end encore, Fabien Roussel a multiplié les bons mots sur des affaires anecdotiques mais qui défrayent la chronique, comme la cérémonie d’ouverture de la coupe du monde de rugby – « Cette France je l’aime, je la kiffe, c’est ma kiffrance » – et les propositions à contre-courant, comme le développement de nouveaux réacteurs nucléaires ou le soutien à la ligne Lyon-Turin.

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Julien Cantegreil, Anne Joulain, Robin Salecroix à la Fête de l’Humanité. © Photos Mathieu Dejean / Mediapart

Dans les états-majors des partis de gauche – La France insoumise (LFI) au premier chef –, le patron du PCF fait grincer des dents. Malgré l’accord de la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes) signé avec eux en mai 2022, il s’éloigne souvent du chemin unitaire. Sur le fond comme sur la forme, il cultive sa différence. Le PCF a tôt décidé de se présenter seul aux élections européennes de 2024. « Les adhérents du parti décident de nos orientations, et Fabien les respecte à la lettre. C’est pour ça que les communistes le respectent », balaie Arnaud Ruffier.

Visibilité ne rime pas avec renforcement

Mais après le résultat du PCF à la présidentielle de 2022 (2,28 %), alors qu’il n’a plus d’eurodéputés depuis 2019, a perdu la mairie de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) en 2020, et même son fief du Val-de-Marne en 2021, la stratégie du renforcement du parti interroge. L’absence de candidature communiste en 2012 et 2017 (le PCF s’était alors rangé derrière Jean-Luc Mélenchon) a certes laissé des traces : « On ne veut pas vendre notre âme », dit Arnaud Ruffier. Mais comment croire que, dans un improbable second tour face à Marine Le Pen, le patron du PCF sortirait vainqueur, comme il l’a laissé entendre le premier jour de la Fête ? Dans un contexte de tripartition de la vie politique, alors que le macronisme flanche en faveur de l’extrême droite, la gauche pourrait surtout encore être éliminée du second tour en 2027.

« Il y a le feu au lac, le danger de l’extrême droite est réel, ses idées deviennent majoritaires », alerte ainsi Anne Joulain, militante communiste de la Vienne, qui arbore une casquette ornée d’une étoile rouge et du drapeau de Cuba. Dans le département, le texte de la direction au dernier congrès, jugé trompeur sur l’état réel du PCF, n’a pas été signé – c’est une des rares fédérations dissidentes. « Le parti est un outil parmi les autres, pas une fin en soi », dit la militante « de la génération loi Devaquet », qui a adhéré au parti dans les années 1980, et qui plaide pour l’union de la gauche « même si Mélenchon n’aide en rien ».

Elle reproche à Fabien Roussel ses saillies sur « la gauche des allocs » ou encore son soutien à l’interdiction des abayas, proposée par le ministre de l’éducation nationale Gabriel Attal : « Il prend position de manière unilatérale, alors qu’il n’y a pas de débat au parti. Je me fous qu’on le trouve sympa dans les enquêtes d’opinion. Le PCF doit élever le débat, or il est entré dans le jeu des petites phrases », déplore-t-elle.

Lukas Boyer, militant communiste viennois de 30 ans, abonde. Il était à Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres voisines, le 25 mars, pour manifester contre les mégabassines. Il a vu l’étendue de la répression, alors qu’il se mobilisait avec ses camarades « pour quelque chose qui nous dépasse : l’eau, qui est un bien commun ». La réaction de son secrétaire national, condamnant les violences des manifestant·es et invitant à ne pas « faire d’amalgame » avec les manifestations pacifiques contre la réforme des retraites, lui a fait un choc : « Il est déconnecté d’une partie de la jeunesse »,juge-t-il. 

Cette position est cependant très minoritaire au PCF, où la loyauté à l’égard du secrétaire national est quasi totale. Seule la stabilité du Rassemblement national (RN), voire de son expansion, ébranle les certitudes de certain·es, comme Arnaud Ruffier : « Ce qui est effrayant, c’est que le RN va faire son nid aux européennes. Nous, la gauche, on ne peut pas se permettre de se battre entre nous. L’extrême droite prend une place beaucoup trop importante, ici et en Europe. » En début de Fête, Fabien Roussel a manqué avaler de travers lorsqu’il s’est fait interpeller par les jeunes de la Nupes, qui poussent à la liste commune aux européennes« L’histoire vous jugera, vous les communistes, si en 2027 Marine Le Pen est présidente », lui a lancé froidement Camille Hachez, ancienne co-secrétaire nationale des Jeunes écologistes, au stand de Loire-Atlantique.

Après « l’effacement », la folie des grandeurs

Robin Salecroix, 32 ans, secrétaire départemental de cette fédération aux 650 cotisants, a assisté à la scène, qui l’a laissé de marbre. « Le problème est-il dans la division de la gauche, ou dans son affaiblissement structurel ? Dans l’ordre, c’est d’abord son affaiblissement. Il faut donc d’abord renforcer notre propre courant. Une gauche forte, c’est un PCF fort », explique le jeune homme de Saint-Nazaire à la chemise bien repassée, ancien chargé de communication numérique. Déjà hostile au Front de gauche en 2012, il ne boude pas son plaisir à voir le PCF reprendre des couleurs.

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Arnaud Ruffier, Nicole, Assan Lakehoul à la Fête de l’Humanité. © Photos Mathieu Dejean / Mediapart

À ses yeux, il n’a même pas pris des voix cruciales à Mélenchon en 2022, contrairement à ce que disent les Insoumis : « On parle à des gens qui se seraient réfugiés dans l’abstention s’ils n’avaient pas voté pour nous, parce qu’on réinvestit des thématiques abandonnées par la gauche, comme l’immigration et la sécurité », relate-t-il. De même, si le PCF envoie « 5 ou 6 députés au Parlement européen, ça fera 5 ou 6 députés de droite en moins », dit-il. Encore que, pour cela, le PCF devra franchir la barre des 5 % des suffrages exprimés en juin 2024, quand il n’en avait obtenu que 2,5 %, malgré la campagne remarquée de Ian Brossat aux européennes de 2019. 

L’histoire n’est pas écrite mais Nicole, une militante septuagénaire venue de l’Ariège, qui sert des verres au stand de l’Aude, est toutefois pessimiste. Le parti, c’est presque toute sa vie. La native du XIIe arrondissement de Paris, qui vit maintenant en Ariège, a pris sa carte adolescente après avoir vu ses proches revenir « le visage ensanglanté » de la manifestation contre l’Organisation armée secrète (OAS), le 8 février 1962, au métro Charonne (dont la répression a fait neuf morts). Depuis, elle n’a « rien lâché ». Disciplinée, elle a participé à tous les meetings de Jean-Luc Mélenchon en 2012 et 2017, aux manifestations, aux tractages… Parfois, elle se demande si ce n’était pas « une OPA sur le PCF ».

Enrico Berlinguer, c’était encore autre chose que Georges Marchais, et pourtant l’Italie a Meloni.

Nicole, militante communiste dans l’Ariège

« Maintenant il faut reconstruire, je pense que derrière chaque individu, il y a un petit communiste », dit-elle. Elle compte pour cela sur Fabien Roussel, « même s’il décoiffe », comme quand il appelle à « envahir » les préfectures contre l’inflation. « Il redonne confiance à la gauche, il parle aux petits et ça, ça compte pour nous », se félicite-t-elle. Au milieu de l’ode au secrétaire national, cette retraitée de la fonction publique territoriale se dit aussi inquiète de la voracité de l’extrême droite – l’argument massue qui fédère les unionistes. « En 2027, si la gauche est divisée, elle ne peut pas y arriver, et il y a suffisamment d’expériences autour de nous qui montrent que l’extrême droite peut arriver au pouvoir. Enrico Berlinguer [secrétaire général du puissant Parti communiste italien de 1972 à 1984 – ndlr], c’était encore autre chose que Georges Marchais, et pourtant l’Italie a Meloni. » 

Elle soupire. Heureusement, les jeunes communistes lui mettent du baume au cœur. L’organisation de jeunesse du PCF a regagné en vigueur, elle aussi, depuis la présidentielle. Plusieurs sections se sont créées ou recréées, souvent dans des départements ruraux.

Le nouveau secrétaire général des Jeunesses communistes, Assan Lakehoul, est à l’image de cette stratégie de conquête des zones populaires rurales et périurbaines. Le jeune homme originaire de Tournefeuille, près de Toulouse, où il est assistant social, revendique avoir « des camarades chalutiers, éboueurs ou qui bossent dans des friteries » : « On est les seuls dans les organisations de jeunesse à parler des questions sociales, à ne pas s’organiser que dans les grandes villes et les facs. Il y a un nombrilisme à gauche qui consiste à parler aux gens qui sont d’accord avec nous. Nous, on va galérer dans la Sarthe, l’Ariège… On est bien seuls à parler à cette jeunesse. » Très aligné sur Fabien Roussel, il ne pense pas que l’unité soit « nécessaire ». Il en veut pour preuve l’élection de François Mitterrand en 1981, alors que Georges Marchais avait obtenu 15,3 % des voix au premier tour.

Un peu plus loin, Julien Cantegreil, 27 ans, technicien agricole et secrétaire de section PCF à Bagnères-de-Bigorre (Hautes-Pyrénées), semble correspondre au profil visé par Assan Lakehoul. Pourtant, il ne se reconnaît pas dans certaines positions de Fabien Roussel. « L’intérêt numéro 1 de Roussel, c’est qu’on se donne les moyens de parler à tout le monde, on part de la réalité des gens, et c’est déterminant dans la lutte des classes. Et notre force, c’est qu’on n’est pas dans une opposition systématique », commence-t-il.

Pour autant, il critique la stratégie du « buzz » et du « clash », qui peut « dénaturer le fond de ce qu’on dit » : « Avec des médias à ce point concentrés et des politiques à ce point éloignés du terrain, pour exister, il faut faire de la tactique, mais c’est hyper dangereux. Quand Roussel a parlé de “France des allocs”, ou qu’il est allé manifester avec des flics, ça m’a tordu les boyaux. C’était une erreur politique. » S’il juge que la Nupes mène à « l’impasse électorale », étant une structure « au service de LFI », il espère que des convergences de fond permettront une autre union de la gauche, qu’il juge « indispensable ». Mais ajoute dans un murmure, comme pour ne pas être entendu : « On est dans une phase de repli identitaire. »

Mathieu Dejean

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Cette entrée a été publiée le 19 septembre 2023 par dans FRANCE, PCF.