NPA Loiret

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La relance du nucléaire ne doit pas sacrifier la sécurité !

Alors que le projet de loi visant à fusionner l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) va être débattu d’ici la fin de l’année au Parlement, un collectif de personnalités appelle, dans une tribune au « Monde », les députés à la vigilance et à la responsabilité.

Aujourd’hui, la régulation des risques nucléaires et radiologiques est assurée principalement
par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Autorité administrative indépendante, son autorité
morale n’a jamais été mise en cause, son arsenal juridique s’est renforcé au cours du temps, et
elle jouit d’un capital de confiance certain auprès du public. Depuis sa création, elle n’a perdu
aucune bataille face aux pressions industrielles, réussissant à imposer des mesures, coûteuses
mais justifiées, de renforcement de la sécurité à la suite de la catastrophe de Fukushima,
en 2011. D’autres autorités participent également à cette régulation dans les domaines de la
défense nationale, des risques professionnels, de la santé, des risques industriels.

Ces autorités tirent une part notable de leur légitimité technique de l’appui que leur fournit
l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), dont la mission centrale est de créer
et de renouveler les savoir-faire d’expertise et les connaissances scientifiques, indispensables
pour évaluer les solutions technologiques et organisationnelles proposées par les exploitants
nucléaires, premiers garants de la sûreté de leurs installations, et par tous les utilisateurs des
rayonnements ionisants.
Au-delà de l’électronucléaire, l’expertise de l’IRSN concerne également la propulsion navale,
la non-prolifération, la protection des populations et de l’environnement. L’institut a su
apporter l’expertise nécessaire pour faire face à Fukushima, aux conséquences d’accidents de
radiothérapie (hôpital d’Epinal), mais aussi pour éclairer les débats, par exemple sur les effets
des « faibles doses ». Son existence assure, depuis deux décennies, une distinction claire entre
les fonctions d’évaluation des risques et de décision, distinction dont de nombreuses
réflexions ont confirmé l’importance dès les années 1980 pour la gestion des risques sanitaires
et environnementaux.

S’il est légitime de questionner l’organisation de la sécurité nucléaire, comme cela a déjà été
fait dans le passé, les propositions de réforme ne doivent pas être examinées au regard
d’arguments simplistes (« On va ainsi créer la seconde plus grande autorité de sûreté
nucléaire au monde », « un seul organisme, c’est forcément plus efficace que deux »). Car ce
dont il s’agit, c’est de l’organisation chargée de la régulation d’activités sources de risques
majeurs, présentes à travers les territoires et clés de la souveraineté énergétique de la France.
Mesdames et messieurs les parlementaires, quatre questions essentielles doivent guider
l’examen de cette nouvelle organisation :
– Disposera-t-elle de plus d’autorité morale, juridique, technique et scientifique pour « faire le
poids » face à des exploitants nucléaires puissants, aux exigences du monde médical, aux
enjeux croissants de sécurité, en cas de divergences de vue sur des questions engageant la
santé et la sécurité de nos concitoyens ?
– Sera-t-elle davantage apte à susciter et à maintenir la confiance du public, même dans des
situations difficiles, l’histoire du nucléaire étant jalonnée de crises plus ou moins aiguës ?
– Sera-t-elle plus efficace, au regard de son coût pour le contribuable et des contraintes
qu’elle fera peser sur les entreprises assujetties à son contrôle (délais de procédures, caractère
proportionné des décisions prises) ?
– La transition vers cette nouvelle organisation pourra-t-elle s’effectuer sans perturbations
majeures des processus du contrôle, dans un contexte de relance ambitieuse du programme
électronucléaire ?


Risques d’un IRSN moins compétent


Bien que le projet de loi du gouvernement ne soit pas encore connu dans le détail, nous
voulons dès à présent vous alerter sur les risques de dégradation qu’il fait peser sur la
compétence de l’IRSN. Les « experts » de l’IRSN n’existent pas « sur étagère ». Leur
compétence est collective et résulte de leurs interactions longues et pluridisciplinaires avec les
problématiques de recherche et avec leurs pairs. Il y a tout lieu de craindre que cette
« fabrique d’expertise » assurée par l’IRSN ne soit pas déplaçable vers l’ASN, organisme à
vocation essentiellement administrative du fait de son statut, de sa culture et de ses modes de
recrutement. De nombreux départs de personnels sont à craindre, avec, à la clé, un
affaiblissement du système d’expertise qui surviendra d’autant plus rapidement que la
transition sera émaillée de difficultés juridiques et statutaires, longues à résoudre.
A court terme, cet affaiblissement risque de perturber sérieusement le plan de relance de la
production électronucléaire. A moyen terme, le système évoluera insensiblement vers une
expertise de « conformité réglementaire », au détriment d’une véritable « expertise
scientifique », peu à peu oubliée. Or, s’agissant du risque nucléaire, la « conformité » à la
réglementation ne suffit pas. Nos concitoyens sont en droit d’attendre le recours aux
meilleures technologies, aux meilleures modalités d’organisation, aux meilleures capacités de
gestion de crise.

Notre organisation actuelle de la sécurité nucléaire est renommée dans le monde entier et s’est
acquittée plus qu’honorablement de ses missions. Elle bénéficie de la confiance du public, sur
le plan national comme au niveau de chaque territoire concerné. S’il respecte bien la promesse
de « veiller à ce que l’ensemble des missions de l’ASN et l’IRSN soient préservées et leurs
moyens humains renforcés », le processus engagé par le gouvernement est une occasion d’en
poursuivre la consolidation, face aux enjeux actuels.
Nous appelons les parlementaires à veiller à ce que l’organisation de la sécurité nucléaire
maintienne une séparation claire entre expertise et décision et un lien fort entre expertise et
recherche. Elle doit garantir une évaluation globale des risques intégrant sûreté des
installations civiles et de défense, protection contre la malveillance et radioprotection des
populations et de l’environnement. Cette organisation doit favoriser un dialogue permanent
avec la société civile et disposer des moyens et de l’attractivité nécessaires à la réalisation de
ses missions.


Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT ; Claude Birraux, membre honoraire du
Parlement, ancien président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et
technologiques (OPECST) ; François Hommeril, président confédéral CFE-CGC ; Jean-
Yves Le Déaut, membre honoraire du Parlement, ancien président de l’OPECST ; Marylise
Léon, secrétaire générale de la CFDT ; Dominique Le Guludec, ancienne présidente du
conseil d’administration de l’IRSN ; Jacques Repussard, président de l’Institut pour la
maîtrise des risques, ancien directeur général de l’IRSN ; Philippe Vesseron, ancien délégué
aux risques majeurs ; Cédric Villani, mathématicien, ancien président de l’OPECST.

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Cette entrée a été publiée le 3 octobre 2023 par dans ANTINUCLEAIRE, ETAT POLICIER, FRANCE.