Par Amira Hass
La bande de Gaza est progressivement rasée, avec ses familles, ses habitants, ses enfants, leurs sourires et leurs rires. Qu’est-ce qui permet à la majorité des Israéliens et Israéliennes juifs de soutenir cette destruction systématique et massive [1]?
Qu’est-ce qui leur permet d’y voir la seule réponse appropriée au massacre perpétré par le Hamas et ses complices, à l’humiliation militaire d’Israël et à la souffrance indicible des otages, des blessés, des survivants, de leurs familles et des familles des centaines de tués?
L’armée israélienne rase les rues des villes de Gaza et les ruelles de ses camps de réfugiés. Elle efface les promenades des plages de Gaza, les villages et les zones agricoles insoupçonnées qui existent encore [voir l’article publié sur cet aspect le 17 octobre 2023]. Elle détruit ses institutions culturelles, ses universités et ses sites archéologiques.
L’infrastructure militaire du Hamas est en train d’être détruite et risque de l’être entièrement. Des milliers de ses hommes armés sont et seront tués. Mais l’organisation sera reconstruite; elle et ses dirigeants essaimeront dans chaque communauté et dans chaque lieu où la dislocation de Gaza se poursuit.
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Qu’est-ce qui permet à la majorité des Israéliens juifs de ne pas être choqués par le fait qu’en deux mois environ, nous avons tué environ 7000 enfants (chiffre provisoire) avec l’aide des bombes sophistiquées des Etats-Unis?
Qu’est-ce qui permet à la plupart des Juifs de ne pas être horrifiés par la concentration de 1,8 million ou 1,9 million de personnes sur environ 120 kilomètres carrés (46 miles carrés), une dite «zone de sécurité» qui est constamment bombardée? Qu’est-ce qui empêche ces Israéliens juifs de crier lorsqu’ils entendent parler de la soif et de la faim de 2,2 millions de civils palestiniens et des maladies qui se répandent à cause de la promiscuité, de la pénurie d’eau et des hôpitaux mis hors service?
Qu’est-ce qui permet cette destructionet ce massacre d’enfants avec notre participation active et passive? Voici quelques éléments de réponse.
J’ai fait référence à la «superfluité» des Palestiniens en Cisjordanie et j’ai mis en garde contre les projets d’expulsion. Je supposais alors que le fait de considérer les habitants de Gaza comme superflus suffisait à les séparer, de les couper de leur peuple et de leurs familles de l’autre côté du point de contrôle d’Erez qui sépare Gaza du reste du territoire (Israël et Cisjordanie).
Mais aujourd’hui, la «superfluité» se traduit par une expulsion [de la population de Gaza], déguisée en acte volontaire sous l’effet des bombardements [voir l’article d’Amira Hass publié sur ce site le 11 décembre]. Elle se traduit par l’effacement physique des habitants de Gaza et par des projets de retour des colons juifs à Gaza. Malheur à eux et malheur à nous. (Tribune publiée sur le site du quotidien israélien Haaretz le 18 décembre 2023; traduction rédaction A l’Encontre)
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[1] Guillaume Ancel est un écrivain et ancien officier français, spécialisé entre autres dans les opérations militaires extérieures, avec une formation notamment dans l’artillerie. Il intervient dans des médias français. Sur son blog, le 16 décembre, il effectue le constat suivant: «L’offensive menée par le gouvernement Netanyahou contre le Hamas, en dévastant militairement la bande de Gaza, se transforme en carnage. Après neuf semaines de bombardements bien peu ciblés, le nombre de morts sur la bande de Gaza se situe désormais dans une fourchette entre 25 et 35 000 victimes, au minimum…
Ces chiffres ne sont pas des élucubrations du Hamas, même si ce dernier commence à intégrer les «disparus», conséquences des bombardements massifs d’infrastructures urbaines qui rendent impossible de dégager les victimes coincées sous les décombres tant que cette guerre ne sera pas terminée. Ces victimes ensevelies représentent probablement un quart supplémentaire par rapport aux victimes affichées actuellement (19 000 annoncées par le Hamas, plus 7500 disparus).
Pour des raisons évidentes de fiabilité, je ne m’appuie pas sur les sources du Hamas, mais plus volontiers sur les données de l’armée israélienne qui affichait 22 000 cibles bombardées au 10 décembre, soit 25 000 à ce jour. Encore ne s’agit-il que des bombardements aériens et une partie des frappes d’artillerie… Notons cependant que les opérations terrestres sont moins meurtrières que ces bombardements «indifférenciés» que même Joe Biden a dénoncés.
Avec au moins 450 bombardements (aériens et tirs d’artillerie) par jour, cela représente au minimum un nombre de victimes équivalent puisque ces tirs sont par nature très meurtriers. Les dégâts sont considérables: 63 jours par 450 tués = 28,000 morts au minimum, soit une «fourchette» probable de 25 à 35 mille morts, auxquels il faut rajouter 3 à 4 fois plus de blessés, donc un total de plus de 125 000 morts et blessés après 9 semaines de bombardements (et une semaine de trêve).» (Réd.)
[2] Bohdan Khmelnytsky est un chef militaire et politique des Cosaques d’Ukraine, territoire qui relevait de la république dite des Deux Nations: soit le royaume de Pologne et le grand-duché de Lituanie. En 1648, il organise un soulèvement contre la noblesse polonaise et, dans contexte, se rapproche de la Moscovie. Dans ce soulèvement et cette guerre – outre les massacres de Polonais et d’uniates – de vastes pogroms visant les Juifs feront, selon les historiens du XXe siècle, entre 50’000 et 100’000 morts. (Réd.)