Le jeune chef politico-militaire du FLN a été pendu dans la nuit 3 au 4 mars 1957, lors de la bataille d’Alger, par des militaires français qui ont maquillé la mort de ce « héros national » en suicide.

Emmanuel Macron vient enfin de rétablir la vérité. Soixante-dix ans jour pour jour après le début de la guerre d’Algérie (1954-1962), le président de la République reconnaît – dans un communiqué publié vendredi 1er novembre – la responsabilité de la France dans l’assassinat en mars 1957, en pleine bataille d’Alger, de Larbi Ben M’hidi. Jusqu’à présent, la thèse du suicide, présentée par l’armée à l’époque, n’avait jamais été démentie par l’Etat français, alors même que le général Paul Aussaresses avait avoué, en 2001, l’avoir pendu.
« [M. Macron] reconnaît ce jour que Larbi Ben M’hidi, héros national pour l’Algérie et l’un des six dirigeants du FLN [Front de libération nationale] qui lancèrent l’insurrection du 1er novembre 1954, a été assassiné par des militaires français placés sous le commandement du général Aussaresses ».
Ce geste est d’autant plus fort que Larbi Ben M’hidi est un emblème de l’indépendance de son pays, mais aussi une personnalité estimée par des militaires et intellectuels français. « C’était l’idéaliste révolutionnaire, le politique, le théoricien (…) Il était persuadé que l’action politique apporterait la victoire et il négligeait les supports militaires (…) », avait écrit à son sujet le journaliste Yves Courrière dans son livre Le temps des léopards (Fayard, 1969).
C’est Benjamin Stora qui a proposé à Emmanuel Macron de rétablir la vérité historique sur la mort à 34 ans de cet homme considéré comme le « Jean Moulin algérien ». « C’est le plus important dirigeant de la révolution de la guerre d’indépendance qui a été assassiné par les services spéciaux français », explique au Monde l’historien. Pour lui, le geste du président de la République « reconnaît la légitimité politique du combat des nationalistes algériens ».
Même un ennemi redoutable comme le général Marcel Bigeard (colonel à l’époque), à la tête du 3e régiment de parachutistes coloniaux lors la bataille d’Alger, dira de luiqu’il « a été le plus grand, vraiment ». Le 23 février 1957, son commando réussit à arrêter Larbi Ben M’hidi, chef politico-militaire du FLN pour la région d’Alger. Il est retrouvé sans vie quelques jours plus tard.
Selon la version livrée alors par les autorités françaises, Larbi Ben M’hidi s’est donné la mort dans sa cellule dans la nuit du 3 au 4 mars en se pendant avec les lambeaux de sa chemise, dont il avait fait une corde qu’il a attachée à un barreau de la fenêtre. En réalité, le colonel de l’Armée de libération nationale (ALN) a été assassiné par le « commandant O » alias Paul Aussaresses – officiellement chargé de coordonner le travail des officiers de renseignements, de la police et de la justice pendant la bataille d’Alger – et six de ses hommes.
Larbi Ben M’hidi, né dans le Constantinois en 1923, est formé dès l’âge de 17 ans à la lutte clandestine. Après avoir été, entre autres, membre du Parti du peuple algérien, il est, au début de l’année 1954, l’un des fondateurs du Comité révolutionnaire pour l’unité d’action, instance qui allait devenir quelques mois plus tard le FLN. Il est l’un des chefs historiques, l’un des pères de la révolution, qui ont pensé et lancé l’insurrection nationale algérienne du 1er novembre 1954, date connue désormais comme la « Toussaint rouge ».
Après le déclenchement de la rébellion, Larbi Ben M’hidi devient le responsable du Front pour l’Oranie (wilaya V), avant d’être nommé à la tête de la Zone autonome d’Alger. Il organise la résistance lors de la bataille d’Alger, lancée par Robert Lacoste, le gouverneur général de l’Algérie, pour arrêter les cadres du FLN qui multiplient les attentats.
Le jour de son arrestation, Larbi Ben M’hidi ne donne à ces geôliers qu’un sourire désarmant, plein de joie de vivre, décontracté, sûr de lui ; un sourire devenu symbole de résistance et de liberté. Sa famille ne croira jamais à son suicide : un croyant comme lui ne pouvait pas mettre fin à ses jours. C’est en 1984 que le doute sur les conditions de sa mort va commencer à être levé.
L’hebdomadaire Algérie actualité interroge Marcel Bigeard (l’entretien avait été exhumé par Benjamin Stora) sur la mort de Ben M’hidi. « A mon avis, [il] ne s’est pas suicidé. Ce n’était pas un type à se suicider. Je ne le crois pas, il n’a jamais donné cette impression. Non, il avait toujours l’espoir (…) C’est de la lâcheté de se suicider », répond alors le général. Durant des nuits d’interrogatoires, Bigeard avait tenté de retourner le fidaï – soldat soumis à un code de l’honneur strict et prêt à sacrifier sa vie pour une cause – pour le rallier à la France. Sans succès. Il se résout à le remettre à Aussaresses, qui va l’éliminer.
En 2001, le vieil officier à l’œil bandé avoue dans son livre Services spéciaux, Algérie 1955-1957 (Perrin, 2001) avoir pendu Larbi Ben M’hidi. En 2007, il revient en détail dans Le Monde sur cette exécution macabre. Après qu’un groupe de parachutistes lui a rendu les honneurs, sur ordre de Bigeard, Ben M’hidi est conduit vers la Mitidja, plaine agricole proche d’Alger dans la ferme désaffectée d’un colon extrémiste. Après avoir préparé la corde, l’un des hommes du « commandant O » « a joué le rôle du supplicié pour vérifier que tout était au point. Il est monté sur un tabouret, a passé sa tête dans le nœud et nous a regardés, avait décrit le général. Ce n’est pas bien ce que je vais vous dire, mais ça a provoqué un fou rire général. »
Peu après minuit, le résistant a la corde au cou. On veut lui bander les yeux, il refuse. « C’est un ordre ! », réplique un futur bourreau. Larbi Ben M’hidi rétorque alors : « Je suis moi-même colonel de l’ALN, je sais ce que sont les ordres ! » Ce seront ses derniers mots, il va mourir les yeux bandés. Pour le pendre, les militaires français s’y prennent à deux fois, car, à la première tentative, la corde casse.
Avant de mourir en 2010, le général Bigeard aurait voulu se recueillir sur sa tombe, située dans le « carré des martyrs », au cimetière El-Alia d’Alger. « Quand on se bat contre un ennemi de valeur, il naît souvent une camaraderie bien plus forte qu’avec les cons qui nous entourent », avait-il déclaré. L’officier avait même entamé une correspondance avec Drifa Hassani, l’une des trois sœurs de Larbi Ben M’hidi.
La reconnaissance de cet assassinat par Emmanuel Macron est un nouveau geste mémoriel pour « chercher les voies de la réconciliation des mémoires entre les deux pays », souligne le communiqué de l’Elysée. Comment l’Algérie va-t-elle l’accueillir, deux jours après la fin de la visite d’Etat du président français au Maroc durant laquelle il a réitéré sa reconnaissance de la « souveraineté marocaine sur le Sahara occidental » ? Fin juillet, Alger, rival régional de Rabat et soutien des indépendantistes sahraouis, avait gelé les relations avec Paris pour cette raison.
L’approche mémorielle du chef de l’Etat français est critiquée en Algérie, où on estime qu’il morcelle les gestes de reconnaissance au lieu d’aborder la colonisation dans son ensemble, c’est-à-dire de 1830 à 1962. Selon un proche du président Abdelmadjid Tebboune, celui-ci attendrait d’autres signes pour entamer une réconciliation, comme la restitution des effets personnels de l’émir Abdelkader – héros de la résistance lors de conquête coloniale –, le nettoyage des sites des essais nucléaires dans le Sud, ainsi que l’indemnisation des populations touchées par les radiationset la reconnaissance totale des crimes coloniaux. Suffisant pour effacer les contentieux ? Le feuilleton des tensions franco-algériennes autour de la mémoire promet d’autres épisodes.
Mustapha Kessous Le Monde