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Plan de licenciements à Auchan : les livreurs à domicile aussi seront virés

Caristes, chauffeurs-livreurs, préparateurs de commande… Le grand plan de licenciements,

annoncé par Auchan début novembre, concernera aussi la livraison à domicile, laissant sur le carreau

224 salariés.

Khedidja Zerouali – 2 janvier 2025 à 18h28

« Le directeur nous a envoyé ses vœux pour les fêtes de fin d’année, mais quel genre de fêtes on

passe en sachant qu’on va tous être bientôt virés ? », s’étouffe Kamel Bouaaklaine, contrôleur de parc dans

l’entrepôt de livraison de Chilly-Mazarin en Essonne. Pendant que d’autres préparaient les cotillons et

mettaient le champagne au frais, les salarié·es des entrepôts d’Auchan s’épanchaient sur leur désarroi. Le 5

novembre dernier, l’annonce est tombée comme un couperet : Auchan, qui appartient à la galaxie Mulliez,

ferme des magasins, des services entiers, mais aussi tous ses entrepôts dédiés à la livraison à domicile. En tout,

2 389 postes sont supprimés dans le groupe, dont 224 dans les entrepôts.

Amplifiée par l’arrivée des plateformes telles que UberEats ou Deliveroo ainsi que par la période de

confinement due au coronavirus, la livraison de courses à domicile est devenue une habitude partagée par de plus en plus de Français·es. Mais Auchan livre depuis bien plus longtemps. Depuis 2001, le groupe possède ses propres entrepôts dédiés à la livraison à domicile.

Rien qu’en région parisienne, le groupe comptait trois sites différents jusqu’en 2016, date à laquelle ils ont tous été regroupés à Chilly-Mazarin (154 salarié·es). Deux autres entrepôts, beaucoup plus petits, sont situés à Mions, dans la métropole de Lyon (27 salarié·es) et à Saint-André-lez-Lille dans le Nord (34 salarié·es). Ces trois-là fermeront en 2025.

Dans la même unité économique et sociale, un quatrième entrepôt Auchan, situé à Paris, est géré par le

groupe, mais la livraison est assurée par Deliveroo. Pour l’heure, rien n’a été communiqué publiquement sur ce site qui compte neuf salariés Auchan, mais selon les documents que nous avons pu consulter, le groupe

prévoit aussi de le fermer. À l’heure où nous publions cet article, Auchan n’a pas répondu à nos questions. Dans leur communiqué de presse paru le 5 novembre dernier, le groupe présentait ainsi son plan de licenciements : « Au cœur de ce plan de retour à la croissance, il y a la conviction que les hypermarchés ne sont pas un modèle du passé… Pour les adapter à l’époque, Auchan leur assigne un nouveau rôle.

Au cœur de leur zone de vie, ils deviendront de véritables plateformes de la marque préparant les commandes et les produits faits maison à destination des supermarchés, des drives ou de la livraison à domicile. » « Ça fait quinze ans que je bosse pour Auchan, ça m’a laissé des tendinites comme tous mes collègues, raconte Vincent Marceau, chauffeur-livreur à Chilly-Mazarin.

Chaque jour, avec les courses des clients, on monte des étages et des étages. On porte ce que les gens ne veulent plus porter et voilà comment on nous remercie. »

Et aux douleurs physiques, il faut ajouter l’épuisement. Christelle, préparatrice de commandes à l’entrepôt de Saint-André-lez-Lille, résume sa journée à : « On prélève, on prélève, on prélève, on marche, on marche, on marche. » Son état à la fin de la journée : « La fatigue, la fatigue, la fatigue. »

Une fatigue d’autant plus présente qu’elle et ses collègues travaillent en horaires décalés, de 5 heures à

12 heures ou de 13 heures à 20 heures. « C’est la troisième fois que je subis un licenciement économique. Les fois d’avant, c’était dans des usines de textile. À mon âge, qu’est-ce que je vais faire ? De l’intérim ? Pour aller où et dans quoi ? », déplore la salariée de 57 ans, dépitée. Mohamed*, chauffeur-livreur à Mions, se retrouve en tous points dans le témoignage de sa collègue du Nord.

Lui aussi a accumulé la fatigue ces quinze dernières années : « J’étais tellement épuisé par mes tournées que je ne m’occupais même plus de ma femme, on a divorcé. » À 59 ans, il craint d’être « trop vieux » pour retourner sur le marché de l’emploi, d’autant plus que « dans le transport, ils embauchent surtout des petits jeunes ». Il rêvait ses dernières années de boulot assis dans un bureau, au poste d’assistant : « J’aurais pu faire valoir mon expérience de terrain pour aider mes collègues à mieux organiser les tournées, mais non, ils ferment l’entrepôt. Et moi, ils me jettent dans un trou. »

Des reclassements low cost Dans sa communication de novembre, Auchan annonçait un « nouveau schéma logistique pour la livraison à domicile » et promettait que, bien que les entrepôts ferment, « le service sera assuré par les drives, ce qui permettrait la création de 114 postes ». « Dans un deuxième temps, à l’oral, ils nous ont annoncé que finalement il n’y aurait que 80 créations de postes, mais de toute façon, rien n’est jamais sûr avec eux », s’agace Aziz Chakir, salarié de l’entrepôt de Chilly- Mazarin depuis quinze ans.

Et le délégué du personnel est d’autant plus agacé que, selon lui, les 224 futur·es licencié·es ne seront pas

forcément assuré·es d’obtenir ces postes-là : « On devra postuler sur un site web dédié, comme tout le monde. De toute façon, je ne pense pas que beaucoup d’entre nousvont postuler, puisque accepter ces reclassements c’est perdre en salaire. Dans notre entité , on avait négocié pas mal de primes, d’avantages, tout ça va sauter. »

Pour compenser, le groupe propose le maintien du salaire antérieur seulement pendant un mois pour les salarié·es avec moins de deux ans d’ancienneté et jusqu’à cinq mois pour ceux ayant plus de dix ans d’ancienneté… Pas de quoi rassurer les futur·es licencié·es. « Les primes, c’est une grande partie de nos salaires. On a calculé, une fois ces compensations passées, les salariés qui prendront ces reclassements perdront entre 200 et 800 euros de rémunération », assure Kamel Bouaaklaine, qui est aussi délégué syndical central CFTC des entrepôts de livraison. Vincent Marceau a calculé : sur sa paye de 1 900 euros net, entre 200 et 300 euros sont des primes. « Si on m’enlève mes primes, ça me laisse presque au Smic », abonde Mohamed, de Mions. Kamel Bouaaklaine et Aziz Chakir ont beau y réfléchir à haute voix, se gratter la tête, faire des hypothèses, ils ne comprennent pas la stratégie de leur patron. Et de se demander : « On peut attaquer son employeur pour mauvaise gestion ? Parce qu’honnêtement, ils font n’importe quoi. »

Et de lister : « Les très grands magasins, ça ne marche plus depuis des années, tous nos concurrents ont réduit leur surface et nous, on s’en rend compte que maintenant » ; « ils ont racheté les Casino qui étaient surendettés alors qu’on n’était déjà pas en bonne posture » ; « la direction change sans cesse, du PDG au patron de l’entrepôt, ça défile »… La note est en effet salée, le groupe ne cesse de perdre des parts de marché. Au premier semestre, Auchan a accusé une perte d’un milliard d’euros, provoquée par une chute de 5 % de ses ventes. Des chiffres rarement vus jusqu’alors dans la grande distribution.

Pour les deux élus du personnel, le summum de l’incongruité reste la situation de leur propre entrepôt, dans l’Essonne. « Ils ont investi des dizaines de millions d’euros dans une machine immense qui nous aide dans la préparation de commande, explique Aziz Chakir. Pour nous, c’était l’avenir. Quand on a vu qu’Auchan faisait ces investissements dans notre entrepôt, on s’est dit qu’on pourrait travailler ici jusqu’à la retraite. Finalement, on est tous virés. »

Salarié du même entrepôt, Vincent Marceau mettrait aussi la machine sur la liste des mauvaises idées du

patron : « Aujourd’hui, toutes les livraisons de l’après-midi sont annulées parce que la machine est en panne. » « Et si c’était calculé ?, finissent par se demander les salariés franciliens. Et si, en fait, ils avaient tout fait pour e séparer de nous depuis des années ? »

Sous-traitance

En effet, si ce plan social est d’une ampleur sans pareille, dans les faits, la masse salariale d’Auchan s’amoindrit déjà depuis des années par le recours grandissant à des sociétés de sous-traitance.

Depuis l’ouverture de l’entrepôt de livraison à Chilly- Mazarin en 2016, les salariés Auchan ont vu les chauffeurs-livreurs du groupe partir un à un, remplacés progressivement par des salariés embauchés par des entreprises prestataires.

Selon les calculs de la CFTC, rien que sur le site d’Île-de- France, les chauffeurs-livreurs salariés d’Auchan seraient passés de 130 en 2016 à une quinzaine actuellement. Aujourd’hui, à peu près une cinquantaine de chauffeurs extérieurs sont embauchés quotidiennement pour pallier cette fonte de la masse salariale. « Mais un entrepôt, ce n’est pas que des chauffeurs- livreurs, il y a aussi des caristes, des conducteurs de parc, es préparateurs de commande, précise Kamel Bouaaklaine. Si on regarde sur l’ensemble de l’entrepôt de Chilly-Mazarin, je dirais qu’il y a autant de salariés que de prestataires. »

« La famille Mulliez nous a répété pendant des années que nous étions une grande famille. Tout ça c’était que du vent. Eux, ils sont une famille. Mais nous, on n’en fait pas partie, on n’est que des chiffres. »

Mohamed, chauffeur-livreur à Moins « Mon directeur m’a dit un jour que les prestataires coûtaient, à la journée, deux fois moins que moi, se souvient Vincent Marceau, lui-même chauffeur-livreur. Souvent, la livraison est faite dans de moins bonnes conditions, il manque des produits, il y a des retards… Je ne dis pas que c’est à cause des livreurs prestataires, je constate simplement. Mais ça, la direction s’en fout. Eux, ce qu’ils regardent, c’est ce qui rentre dans leurs poches. »

Et la logique est la même sur les autres sites. Selon Christelle, pour l’entrepôt du Nord, parmi les chauffeurs- livreurs, il y a désormais plus de prestataires que de salarié·es Auchan. « On n’est plus que deux embauchés à faire les tournées, sur une vingtaine de camions par jour », abonde Mohamed pour le site de Mions. Selon la CFTC, si l’on prend l’ensemble des quatre sites, ils accueillaient 400 salarié·es en 2016, ils en comptent désormais 224… qui seront intégralement remercié·es, courant 2025. En attendant, les futur·es licencié·es comptent bien forcer leur employeur à aligner des chèques conséquents. « On veut partir dignement, répète Kamel Bouaaklaine. Et la famille Mulliez a les moyens de nous faire partir dignement. »

En effet, si les chiffres d’Auchan sont plutôt en berne, son actionnaire principal, l’association familiale Mulliez, se porte très bien. Selon le dernier palmarès de Challenges, les Mulliez sont assis sur une fortune de 28 milliards d’euros, en hausse de 8 milliards par rapport à 2023. « La famille Mulliez nous a répété pendant des années que nous étions une grande famille, commente Mohamed. Tout ça, c’était que du vent. Eux, ils sont une famille. Mais nous, on n’en fait pas partie, on est que des chiffres. »

Mais ce n’est pas tout, le reste des sociétés détenues par  le même actionnaire est aussi en bonne forme. Decathlon, par exemple, a enregistré une année si prolifique qu’elle a versé un milliard de dividendes à ses actionnaires fin 2024.  « Donc, si on prend l’ensemble du groupe Mulliez, les chiffres sont bons, analyse Aziz Chakir. Mais eux persistent à nous assurer que ce n’est pas un groupe, que ce sont des entreprises différentes. Avec les autres syndicats, on défend l’inverse. » Pour l’heure, la demande de permettre aux licencié·es d’Auchan de demander des reclassements à Decathlon ou dans d’autres entités Mulliez est restée lettre morte.

Khedidja Zerouali

Boîte noire

* Le prénom a été modifié

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Cette entrée a été publiée le 3 janvier 2025 par dans AUCHAN, LICENCIEMENTS.