
Le 18e Congrès mondial de la Quatrième Internationale s’est tenu en Belgique du 23 au 28 février. La discussion, très large, a porté sur la situation internationale sous tous ses aspects, de la polycrise structurelle dans ses dimensions environnementale, économique, sociale et politique aux mouvements de résistance, en passant par la nécessité de construire et de renforcer notre propre Internationale. Un point particulier du débat a été la manière dont nous, marxistes révolutionnaires internationalistes, exprimons notre opposition à l’invasion russe de l’Ukraine et notre solidarité avec la résistance du peuple ukrainien à cette invasion, aux politiques néolibérales du gouvernement Zelensky et à la militarisation néolibérale...
Nous publions ici la résolution présentée par la majorité du CI sortant, approuvée par le congrès par 95 voix pour, 23 contre, 3 abstentions et 5 non-votes, et la résolution alternative présentée par un certain nombre de délégations rejetée par 31 voix pour, 80 contre, 9 abstentions.
La seule solution durable à cette guerre passe par :
– la non-reconnaissance des annexions et le retrait complet des troupes russes ;
– la soumission de toutes les négociations et de tous les accords au contrôle démocratique de la population ;
– la garantie de la capacité de l’Ukraine à se défendre contre tout empiètement impérialiste futur.
Une paix durable n’est possible que si elle repose :
– sur le droit du peuple ukrainien et de ses minorités constituantes à déterminer librement leur avenir et à développer leurs cultures, indépendamment des pressions extérieures, des intérêts des oligarques, des régimes néolibéraux au pouvoir ou des idéologies d’extrême droite ;
– sur le respect des droits politiques, sociaux et du travail, y compris le droit de grève, de réunion pacifique et d’élections libres ;
– sur le droit de tous les réfugié·es et des personnes déplacées par la guerre de rentrer chez eux et elles ou de s’installer dans les pays où ils et elles résident actuellement ;
– sur le démantèlement de la dictature de Poutine et la libération de tous les prisonniers et prisonnières politique et de guerre.
Nous inscrivons notre combat contre la guerre en Ukraine et pour la défaite de la Russie dans une lutte contre le militarisme et l’impérialisme. La lutte contre la guerre et pour la solidarité internationale nécessite :
– l’annulation de la dette ukrainienne ;
– la création, sous le contrôle des citoyen·nes ukrainien·nes, d’un fonds pour la reconstruction, la défense et l’amélioration des conditions de vie, financé par des taxes exceptionnelles sur les bénéfices des capitalistes occidentaux qui ont fait des affaires avec leurs homologues russes et sur les bénéfices des entreprises d’armement et autres profiteurs de guerre, ainsi que par l’expropriation des fortunes des oligarques russes et ukrainiens.
28 February 2025
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Afin d’avoir une orientation solidaire utile envers les travailleurs de la région et de maintenir notre tradition d’anti-impérialisme et d’indépendance de classe, la guerre en Ukraine doit être comprise dans son contexte géopolitique et historique sur la base d’une analyse matérialiste rigoureuse des faits qui y ont conduit, afin d’éviter les caractérisations erronées et les conclusions hâtives. Sur la base de ces prémisses, l’objectif de cette résolution est de développer une orientation alternative à celle de notre courant depuis 2022.
Depuis la rédaction de cette résolution, des événements dramatiques sont venus confirmer notre analyse générale. Le 12 février, Trump a eu un entretien téléphonique avec Poutine et a annoncé que des pourparlers de paix allaient commencer. Le secrétaire d’État américain, Marco Rubio, a ensuite rencontré le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, en Arabie saoudite afin d’entamer le processus de partition de l’Ukraine. Le gouvernement ukrainien et l’UE ont tous deux été humiliés en étant exclus du processus.
Trump a incroyablement accusé Zelensky d’avoir déclenché la guerre. Il a exigé 50 % des matières premières ukrainiennes, sans même offrir de garantie de sécurité en échange. Il a refusé à plusieurs reprises de promettre la participation de l’Ukraine aux pourparlers de paix officiels qui doivent commencer. Les États-Unis, ainsi qu’Israël et la Russie, ont voté contre la condamnation de l’invasion russe en Ukraine.
C’est une image du nouvel ordre mondial envisagé par Trump – où le soi-disant « ordre international fondé sur des règles » de l’après-Seconde Guerre mondiale doit être déchiré. Trump semble être motivé par deux calculs – principalement dans le cadre d’un pivot pour se concentrer sur le rival le plus important des États-Unis, la Chine, et secondairement comme un moyen de répondre aux attentes de sa base électorale.
Si elle est conclue, ce sera une paix inter-impérialiste, tout comme l’était la guerre, ainsi qu’une lutte légitime de l’Ukraine contre l’agression, une guerre par procuration inter-impérialiste. Elle sera basée sur une importante cession de territoire à la Russie et de ressources en terres rares aux États-Unis.
Le fait qu’il soit probable que la nouvelle position de l’administration américaine ne conduise à la fin de la guerre que souligne le caractère par procuration de ce conflit. Sans le soutien actif des États-Unis, quelles que soient les préférences personnelles de Zelensky et du gouvernement, ils ne pourront pas continuer à se battre. Ils seront probablement contraints d’accepter, malgré leurs objections, une paix humiliante.
L’idée qu’en réponse à cette évolution, nous devrions exiger de l’administration Trump qu’elle continue à envoyer des armes à l’Ukraine est absurde. Cela nous alignerait sur la partie la plus belliciste de la classe capitaliste en Occident.
Au lieu de cela, tout en dénonçant le partage injuste de l’Ukraine par les États-Unis et la Russie, nous devons concentrer notre agitation sur le soutien au peuple ukrainien avec des méthodes de la classe ouvrière. Nous devons redoubler d’efforts pour obtenir l’annulation de la dette ukrainienne. Nous devons nous opposer activement aux tentatives de la Russie et des États-Unis de voler les ressources naturelles de l’Ukraine. Nous devons chercher à approfondir nos relations avec les syndicalistes, les militants de gauche et les autres Ukrainiens. Nous devons chercher à construire des mouvements contre le processus de militarisation européenne qui risque maintenant de s’accélérer davantage.
La longue dynamique de stagnation qui se prolonge depuis la Grande Récession de 2007-2008, amorcée dans les grands centres impérialistes, l’impact additionnel de la pandémie et les changements dans la corrélation internationale des forces résultant du déplacement des grands centres de production de valeur vers le Sud et l’Est, ainsi que l’épuisement de la dynamique de la financiarisation comme mécanisme de récupération des profits avec peu ou pas d’accumulation… ont ouvert deux dynamiques de base au niveau mondial :
(a) une aggravation des tensions inter-impérialistes.
b) une instabilité politique croissante résultant, en termes généraux, de l’interaction des vecteurs suivants : un renforcement de la droite radicale, une crise des forces de gestion politique et la fragmentation et l’affaiblissement global de la gauche, de la social-démocratie à la gauche révolutionnaire.
En ce qui concerne la première dynamique, il existe aujourd’hui quatre points chauds majeurs de tension inter-impérialiste (Palestine et Moyen-Orient, Ukraine et Europe de l’Est, Sahel et Afrique subsaharienne, Taïwan et Asie du Sud-Est), et deux guerres ouvertes en pleine escalade (la guerre d’Israël – avec le soutien américain et européen – contre la Palestine, le Yémen et le Liban et ses attaques contre la Syrie et, surtout, l’Iran et trois ans de guerre en Ukraine depuis son invasion par la Russie et une guerre par procuration de l’OTAN contre la Fédération de Russie). Plusieurs diplomates, analystes et activistes mettent en garde contre le risque que les escalades actuelles puissent aller dans une double direction : une convergence de conflits ouverts et le risque qu’ils puissent enflammer toutes les zones de tension, conduisant à un conflit mondial avec un risque élevé d’utilisation d’armes nucléaires.
Dans cette résolution, nous ouvrirons la focalisation dans l’espace et dans le temps pour aborder les causes, la nature et les résultats possibles de la guerre en Ukraine, tout en affirmant l’engagement anti-impérialiste, la ligne antimilitariste et la solidarité internationaliste avec les classes ouvrières ukrainiennes et russes de la Quatrième Internationale.
La tension actuelle dans le monde est liée à la tentative de l’Occident, principalement des États-Unis, d’empêcher par des moyens commerciaux, financiers, politiques et militaires le déclin de son pouvoir dans le monde. La guerre désastreuse menée par Washington depuis la fin de la guerre froide, qui a fait quelque 4 millions de morts et 40 millions de déplacés dans l’arc allant de l’Afghanistan à la Libye en passant par l’Irak et les guerres en ex-Yougoslavie, est liée à la conception néo-con, commune aux républicains et aux démocrates, de la seule domination du monde, formulée en 1992 et mise en pratique depuis lors.
La montée en puissance de la Chine, la réaction de la Russie et l’aliénation croissante du Sud, c’est-à-dire de la majorité de la population mondiale, indiquent depuis longtemps des tensions croissantes dans le monde.
La priorité américaine pour l’Europe, bien connue et documentée, était de séparer l’Allemagne de la Russie et d’empêcher l’intégration de l’Union européenne dans le conglomérat géoéconomique eurasien dont la principale force motrice est Pékin (ce concept a été clairement incorporé dans les documents adoptés par le sommet de l’OTAN à Madrid en juin 2022). La Chine est le premier partenaire commercial de l’UE. La Russie était son principal partenaire énergétique. Les États-Unis sont en train de rompre ces deux relations. Celle de la Russie est déjà acquise et la rupture ne durera au mieux que quelques décennies (l’attaque du Nord Stream en mer du Nord symbolise très bien l’enjeu). La Chine est plus difficile, mais elle progresse aussi (AUKUS, collaboration croissante entre l’OTAN et le Japon, la Corée du Sud, Taïwan, les Philippines, l’Australie, etc.) Le résultat sera, et est déjà, une subordination croissante de l’UE aux États-Unis, une récession économique sévère en Allemagne (directement impactée par la déconnexion énergétique avec la Russie et la guerre tarifaire en cours avec la Chine), une montée de l’extrême droite et l’approfondissement de la crise politique dans l’UE ouverte il y a plus d’une décennie et demie par la crise de l’euro, la crise politique et sociale en Europe méditerranéenne, le Brexit, et les politiques criminelles de répression de l’immigration.
A gauche, on observe une double tendance à la simplification des causes et de la nature de la guerre en Ukraine. Certains la réduisent à une lutte de libération nationale contre une invasion « non provoquée » par un régime autoritaire. Ce point de vue n’est pas très éloigné du discours initial de quelques responsables de l’OTAN et de l’UE, qui insistent pour diaboliser Poutine et le dépeindre comme un fou déterminé à reconstruire ce que Reagan appelait « l’empire du mal » soviétique et à conquérir toute l’Europe de l’Est. D’autres parlent d’un affrontement inter-impérialiste sans autre forme de procès (le discours d’une grande partie des BRICS et des formations staliniennes ou mao-staliniennes nostalgiques de l’URSS), ignorant l’invasion russe et le droit à l’autodétermination des peuples, tentant ainsi de justifier et d’excuser la décision de Poutine.
Pour caractériser correctement le conflit en cours, il est inévitable de comprendre qu’il existe une dialectique entre les deux dynamiques (oppression nationale et affrontement inter-impérialiste). Mais la dynamique de la guerre a indubitablement imposé un changement de dosage, dans la mesure où la volonté de résistance d’une majorité de la population ukrainienne au début de l’invasion de Poutine a été progressivement subordonnée aux objectifs, aux méthodes et à la direction politico-militaire des puissances qui soutiennent Kiev contre la Russie. Dans le même temps, la stagnation de la situation militaire dans le cadre d’une longue guerre d’usure a depuis lors favorisé une désaffection croissante, une aliénation et des attitudes de plus en plus hostiles à la guerre parmi des pans de plus en plus larges de la population (comme la fuite massive
des conscrits et les désertions non moins massives des soldats ukrainiens, qui ne croient pas à la promesse illusoire de la victoire).
S’il ne fait aucun doute que la Fédération de Russie est la seule responsable d’une invasion condamnable et criminelle, comme toutes les agressions impérialistes, il est manifestement faux de prétendre qu’elle n’a pas été provoquée.
Il est nécessaire de rappeler quelques faits pour situer le contexte de l’invasion du 24 février 2022 :
La guerre froide n’a jamais été complètement terminée après l’effondrement de l’ex-URSS et du bloc de l’Est il y a plus de trente ans. La conversion de fractions entières des anciennes bureaucraties à l’ethno-nationalisme pour rester au pouvoir, comme c’était déjà le cas en ex-Yougoslavie, l’intervention des grandes puissances pour opérer une restauration capitaliste néolibérale et mafieuse et favoriser les affrontements à leur profit est une constante depuis les années 1990 en Europe de l’Est.
Il est impossible de comprendre le conflit actuel sans y voir le traumatisme de la décomposition de l’Union soviétique et de l’effondrement des pays de l’Est, la dialectique des conflits armés qui se sont déroulés dans le monde depuis la fin de la guerre froide (les attaques de l’OTAN contre l’ex-Yougoslavie, l’Afghanistan et la Libye ou les deux invasions américaines de l’Irak. Dans tous les cas, sauf en Afghanistan, il s’agissait d’États traditionnellement alliés à la Russie), ainsi que l’extension de l’OTAN sans et contre la Russie et l’élargissement de l’UE vers l’Europe de l’Est, aspirant à ce supermarché capitaliste, néolibéral et de plus en plus despotique des pays de l’ancienne sphère d’influence soviétique.
La base matérielle qui explique le grand antagonisme entre une OTAN hégémonisée par les États-Unis et la Russie est la nature du capitalisme politique russe qui, depuis le début des années 2000, n’est plus perméable à la pénétration des intérêts du capitalisme transnational mondialisé, et tente de garantir les intérêts de ses propres oligarchies sur la base d’un pouvoir bonapartiste autoritaire et anti-ouvrier qui cherche à sauvegarder ses zones d’influence traditionnelles et son rentiérisme extractiviste.
La réaction impérialiste et militariste de Poutine ne se comprend pas non plus sans comprendre que ce qui a éclaté en février 2022 est la conclusion d’un conflit d’influence en Ukraine entre la Russie d’une part et les Etats-Unis et l’UE d’autre part. Dans les années 1990, sous la présidence de Bill Clinton, l’Ukraine était le troisième bénéficiaire de l’aide américaine, derrière Israël et l’Égypte. Une guerre annoncée par de nombreux analystes, non pas depuis des années, mais depuis des décennies dans certains cas.
-Il est également important de rappeler que l’invasion ordonnée par Poutine en 2022 aurait été impossible s’il n’y avait pas eu une dynamique de guerre civile en Ukraine depuis 2014, initiée après le renversement de Yanukovych et l’occupation russe de la Crimée qui s’en est suivie. Cette dynamique a sans aucun doute été amplifiée et approfondie par l’intervention secrète de la Russie et le soutien militaire (nous parlons de 3 milliards de dollars d’assistance militaire entre 2014 et 2022), financier et technique des États-Unis et d’autres pays de l’OTAN à Kiev dans le conflit inter-ukrainien (pour reprendre les termes de Stephen Kotkin, « l’Ukraine n’est pas dans l’OTAN, mais l’OTAN est dans l’Ukraine »). L’absence de volonté politique de mettre en oeuvre les accords de Minsk I et Minsk II (« ils étaient destinés à gagner du temps », selon les termes d’Angela
Merkel) a également ouvert la porte à la diplomatie coercitive du Kremlin à l’automne 2021, lorsque, comme il est désormais de notoriété publique, il a exigé de l’OTAN qu’elle s’engage à ne pas y integrer l’Ukraine, ce qui a été rejeté par l’organisation militaire, pleinement consciente des conséquences d’un tel refus.
Si toutes les puissances impérialistes impliquées dans le conflit ukrainien invoquent, d’une manière ou d’une autre, le droit à l’autodétermination, elles l’ont toutes piétiné (il en va d’ailleurs de même avec l’« antifascisme » et l’« antinazisme » invoqués par les deux parties, alors que, comme on le sait, les gouvernements russe et ukrainien s’appuient sur des forces et des courants d’extême-droite pour stimuler le militarisme dans leurs pays respectifs).
Le néo-tzarisme de Poutine a évidemment piétiné le droit à l’autodétermination de l’Ukraine, « invention » condamnable attribuée à la malice de Lénine, même s’il organise ensuite des « référendums » peu légitimes dans des territoires comme la Crimée (même si une majorité de sa population était probablement favorable à l’annexion de 2014 en raison de l’histoire spécifique de l’enclave) ou sans aucun légitimité dans les zones qu’il occupe dans le Donbas.
Le régime nationaliste de Kiev n’a pas non plus respecté, entre 2014 et 2022, les droits culturels des russophones et leur volonté d’obtenir une autonomie politique en Ukraine (sans parler du droit à l’autodétermination des Dombas).
Mais l’impérialisme occidental n’a pas respecté l’autodétermination de Kiev, ni lorsqu’il a saboté le préaccord conclu lors des pourparlers de paix entre l’Ukraine et la Russie en Turquie en avril 2022 (parce que la guerre n’avait pas encore servi à épuiser suffisamment la Russie sur le plan militaire, comme l’affirmerait Boris Johnson), ni lorsqu’il dit à l’Ukraine quoi attaquer, quand et avec quelles armes, subordonnant totalement le processus décisionnel ukrainien à ses propres intérêts. Les gouvernements occidentaux ne se soucient pas de la ruine économique et démographique de l’Ukraine, qui a déjà perdu un tiers de sa population, toute une génération de jeunes mutilés, des centaines de milliers de morts, d’orphelins et de veuves, ainsi qu’un cinquième de son territoire national. Le seul objectif de l’impérialisme occidental a été d’épuiser la Russie.
Aucune des guerres par procuration de la guerre froide n’a été menée dans le Nord, et encore moins aux frontières (et même à l’intérieur des frontières) d’une grande puissance comme la Russie. Aujourd’hui, le débat porte sur la question de savoir s’il faut ou non attaquer une puissance nucléaire avec des armes à longue portée alors qu’il est prouvé que l’Ukraine ne peut pas gagner une guerre d’usure conventionnelle… ou bien reconnaître la réalité et les « défenseurs de l’autodétermination ukrainienne » finissent par obliger Zelensky à négocier. Pendant la guerre froide, il existait des traités de limitation des armes nucléaires. Aujourd’hui, ces traités ont été systématiquement sabotés, d’abord par les États-Unis et, plus récemment, par la Russie. Cela a conduit à un scénario probablement plus dangereux que la crise des missiles de Cuba en 1962, où la doctrine Monroe, qui interdit la présence d’intérêts, de régimes alliés ou de bases militaires d’autres grandes puissances, non pas aux frontières des États-Unis, mais dans l’ensemble du continent américain, a été appliquée.
-Il convient également de rappeler que l’enthousiasme initial des ministères des affaires étrangères occidentaux pour les perspectives ouvertes par la guerre par procuration de l’OTAN contre la Russie sur le dos de l’Ukraine a conduit nombre de leurs représentants à caresser la perspective d’un Afghanistan slave (pour reprendre l’expression d’Hilary Clinton), qui saignerait la Russie à blanc au point de forcer un changement de régime à Moscou. Biden, Von der Layen, Borrell et Stoltemberg ont répété ad nauseam que les crimes de guerre commis rendaient les négociations impossibles et qu’il fallait forcer la défaite totale de la Russie. Au regard de ce que tolerent au quotidien à Netanyahou depuis plus d’un an, l’hypocrisie de l’impérialisme occidental est proprement scandaleuse.
S’il en est ainsi depuis le début, il est de plus en plus clair que cette guerre ne peut se conclure par une victoire militaire totale de l’une ou l’autre des parties sans transformer le conflit en une guerre inter-impérialiste directe avec un risque très élevé d’utilisation d’armes nucléaires, qui, par sa nature même, ne peut évidemment être gagnée par personne. Il est donc tout à fait concluant que le fait d’alimenter le conflit avec des armes occidentales (d’abord des armes légères, puis des blindés, des bombes à fragmentation, des avions de chasse et des missiles à moyenne et longue portée) a contribué à l’escalade et à la prolongation de la guerre, à la multiplication des morts et des destructions et nous a rapprochés dangereusement d’une guerre mondiale. Le récent « plan de victoire » présenté par Zelenski dans les chancelleries occidentales est tout à fait explicite dans sa recherche de la « victoire » en engageant l’OTAN dans une guerre ouverte contre la Russie. En effet, l’un des grands dangers de cette guerre est que la dissuasion nucléaire passive s’érode et que Poutine décide de la remplacer par une dissuasion nucléaire active (c’est-à-dire l’utilisation d’une arme nucléaire tactique pour restaurer sa crédibilité), ce qui ne peut être totalement exclu (l’insistance des politiciens occidentaux sur le fait que « la menace nucléaire russe est un bluff » est très irresponsable et dangereuse, ce que pensent malheureusement aussi des gens de gauche).
Toutes les informations disponibles indiquent que la Russie est en train de gagner lentement et non sans difficulté une terrible guerre d’usure avec des pertes énormes des deux côtés, qu’elle a été capable de résister aux sanctions économiques et qu’elle a renforcé ses liens géopolitiques et géoéconomiques avec la Chine. En construisant une économie de guerre et en faisant face à l’impact des sanctions, la Russie a non seulement renforcé l’aspect répressif de son régime bonapartiste autoritaire (rappelons que Poutine est un modéré, si l’on considère que le Kremlin est rempli de personnes réclamant des frappes nucléaires sur Paris, Londres et Washington…), mais elle a été contrainte de s’engager dans un processus de réindustrialisation qui permet une croissance économique significative plutôt que l’effondrement recherché par Washington et Bruxelles. Si cette conjoncture favorable à la Russie peut très vite pâtir d’une baisse du prix du pétrole (une opération de genre de l’Arabie Saoudite pour affaiblir la Russie et l’Iran n’est pas à exclure), il semble que la guerre ait impulsé un changement structurel géopolitique et géoéconomique d’une ampleur encore inconnue.
-Des informations émergent également qui indiquent que l’Ukraine est l’auteur du sabotage du Nord Stream avec l’aide d’un ou plusieurs pays de l’OTAN dans l’action (et sans aucun doute avec l’autorisation de Washington, sinon une implication directe dans l’attaque), ce qui dissipe les accusations initiales d’une prétendue paternité russe.
L’Europe de la défense, vieux projet de l’UE promu et légitimé par la guerre en Ukraine, ne traduit pas seulement sa volonté de renforcer son « hard power », notamment dans la lutte pour le contrôle des ressources en Afrique dans la logique extractiviste dominante, mais vise aussi à consolider son rôle de force vassale complémentaire des Etats-Unis dans un projet de domination impérialiste mondiale qui ne semble pas viable, compte tenu de la corrélation des forces en présence. Dans le même temps, le renforcement militaire de l’Europe est une fuite en avant qui reflète l’inquiétude générée chez ses dirigeants par la crise interne aux États-Unis.
-L’invasion poutinienne a permis à l’OTAN de s’étendre à la Finlande et à la Suède, ajoutant de nouvelles tensions avec la Russie et mettant fin à une longue histoire de neutralité pour ces pays (qui a partiellement amorti d’importantes tensions pendant la guerre froide). Tout cela à condition que la Suède accepte de faciliter l’extradition de plusieurs militants kurdes réfugiés dans le pays scandinave et que l’OTAN regarde ailleurs pendant que le régime turc d’Erdogan lance une invasion à grande échelle du Kurdistan irakien et syrien – une guerre qui, soit dit en passant, est passée totalement inaperçue dans les médias occidentaux. Comme chacun sait, l’OTAN défend aujourd’hui les valeurs démocratiques en Turquie depuis la guerre froide, tout comme elle l’a fait par le passé lorsqu’elle accueillait le Portugal de Salazar et la Grèce des colonels.
Dans ses relations avec la Russie, l’UE n’a pas de diplomatie depuis de nombreuses années. Elle a une « politique des droits de l’homme », c’est-à-dire l’utilisation politique sélective des droits de l’homme pour faire pression sur son adversaire. Elle a une politique d’image et de propagande de guerre culturelle : il suffit de voir l’abondance de russophobes auxquels elle décerne ses prix littéraires et citoyens, de la néo-con Anne Applebaum aux écrivains ukrainiens Serhij Zhadan et Andrei Kurkov, dont le principal mérite est le racisme culturel contre tout ce qui est russe, en passant par le détestable président français Emmanuel Macron, qui se vante d’envoyer des troupes françaises en Ukraine. Elle a également une politique de sanctions, qui se retourne actuellement contre elle, et enfin elle a une politique militaire. Le monde bruxellois a tout cela, mais il n’a pas de diplomatie. Des déclarations comme celle du chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, selon laquelle « la situation se décidera sur le champ de bataille », témoignent d’une logique purement militaire.
Il existe un lien structurel entre la militarisation européenne et l’intervention militaire de l’Europe et de l’OTAN en Ukraine. D’une part, la militarisation du continent est liée aux besoins mêmes de l’intervention militaire et à l’implication croissante de l’Europe dans le conflit. D’autre part, la guerre en Ukraine sert de prétexte à l’accélération et à la réintroduction d’un programme stratégique de militarisation européenne de plus grande envergure et a créé un climat politique dans lequel il est très difficile de la combattre. Il est donc contradictoire de s’opposer formellement à la militarisation de l’Europe tout en soutenant l’intervention militaire croissante et sans fin en Ukraine, alors que l’Ukraine est le principal moteur de la militarisation sur le continent.
-Cette guerre a été catastrophique à tous points de vue : par le niveau de morts et de destructions (certaines estimations parlent de près d’un million de morts), par la spirale militariste et réactionnaire qu’elle a propagée parmi les grandes puissances, par l’immense destruction de ressources qu’elle entraîne dans un monde qui doit investir massivement dans la transition énergétique et les mesures urgentes de stabilisation du climat… Bref, parce qu’elle a alimenté les dynamiques de fascisation typiques des spirales ultranationalistes, tant en Russie qu’en Ukraine, mais aussi en Europe et dans le reste du monde. Alimenter la guerre actuelle et soutenir l’interventionnisme de l’OTAN conduit à une escalade sans fin qui ne fait qu’accroître la spirale de la mort et de la destruction en Ukraine, sans perspective d’issue réelle, avec le risque d’une dérive de la situation et d’une extension du conflit à des pays tiers.
La seule solution pour l’autodétermination de l’Ukraine est la négociation pour mettre fin aux hostilités, le retour à la neutralité et le renoncement à l’adhésion à l’OTAN….. Si les négociations de mars-avril 2022 n’avaient pas été sabotées, près de trois ans de guerre auraient été évités et des centaines de milliers de vies sauvées… et la position de négociation de l’Ukraine aurait été beaucoup plus favorable immédiatement après que l’assaut initial de Poutine sur Kiev ait été repoussé. Aujourd’hui, alors que même l’OTAN, par la bouche de Rutte, reconnaît que la guerre ne peut se terminer qu’à la table des négociations, après l’avoir entretenue pendant des années dans le seul but d’utiliser les Ukrainiens comme chair à canon dans sa guerre par procuration contre la Russie, les négociations seront bien plus préjudiciables pour l’Ukraine. Il n’est pas non plus exclu, comme les signes commencent à le montrer, que l’OTAN négocie dans le dos de l’Ukraine lorsque l’organisation militaire arrivera à la conclusion qu’elle n’a plus besoin de ses services. Les précédents historiques ne manquent pas et c’ètait parfaitement prévisible dès le début de la guerre.
La loi martiale imposée par le gouvernement Zelensky, qui a interdit des partis, persécuté des militants et imposé à la population une thérapie de choc ultra-libérale, lui permet également de prolonger son règne sans passer par les urnes. Son sort est lié au soutien des puissances occidentales et il n’est plus évident qu’une majorité de la population ukrainienne soit favorable à la poursuite de la guerre. Un sondage réalisé par le média ukrainien ZN en juin 2024 affirmait que 44 % de la population était favorable à des négociations de paix immédiates.
Compte tenu de la situation au Moyen-Orient et de la déclaration de Zelensky selon laquelle l’Ukraine aspire à devenir « un grand Israël avec son propre visage » et que la « sécurité » sera le principal atout (en effet, les troupes ukrainiennes ont participé à presque toutes les aventures militaires de Washington depuis les années 1990, y compris en Afghanistan et en Irak) et le thème central de l’Ukraine d’après-guerre, il est important de se rappeler que l’utilisation de la souffrance des innocents a déjà servi à légitimer la création d’États gendarmes totalement soumis aux intérêts impérialistes. Tout comme « l’industrie de l’holocauste » a servi les intérêts criminels du sionisme, il n’est pas exclu que le régime de Kiev capitalise sur les souffrances actuelles du peuple ukrainien pour légitimer la création d’un nouvel Israël en Europe de l’Est, en faisant de son antagonisme avec la Russie son principal atout économique, politique et militaire. La création de l’Etat d’Israël a également désorienté dans un premier temps de larges pans de l’opinion progressiste, a servi à laver la mauvaise conscience de l’Europe vis-à-vis du judéicide et a permis d’agiter le discours de la « seule démocratie de la région » et de la « civilisation contre la barbarie »… avec les résultats que l’on connaît quatre-vingts ans plus tard.
La guerre en Ukraine a galvanisé toute une série de tendances réactionnaires qui étaient déjà présentes dans l’Union européenne, aux États-Unis et en Russie : la montée du militarisme, l’expansion de l’OTAN, l’augmentation des budgets militaires, la reconfiguration de l’industrie militaire, elle a contribué à enterrer l’agenda écologiste, elle a favorisé l’unité nationale autour du défensisme « démocratique », de l’ethno-nationalisme et a accéléré le tournant autoritaire dans tous les pays.
En ce sens, la Quatrième Internationale s’engage à promouvoir des processus d’organisation et de lutte contre ces tendances, à nourrir et à participer aux mouvements contre la guerre, la militarisation et pour la dénucléarisation. Le nouvel internationalisme doit commencer à s’organiser contre les intérêts et les politiques de la bourgeoisie dans chaque pays. Reprendre les slogans « Guerre à la guerre » et « L’ennemi principal est dans notre pays! » est essentiel pour que la classe ouvrière prenne conscience des dangers vers lesquels la dynamique inter-impérialiste actuelle nous conduit, et reprenne ainsi les meilleures traditions du mouvement ouvrier contre le bellicisme et le militarisme. En ce sens, la IVe Internationale propagera les revendications suivantes :
•
Paix immédiate sans annexions et retrait des troupes russes.
•
Démilitarisation et dénucléarisation des frontières. L’arrêt des livraisons d’armes par les pays impérialistes.
•
Le droit au retour de tous les réfugiés de guerre, y compris les insoumis et les déserteurs des deux pays.
•
Amnistie immédiate pour les prisonniers politiques, rétablissement du droit de manifester, de se réunir et de s’organiser et fin de la législation d’urgence tant en Russie qu’en Ukraine.
•
L’accueil des insoumis, des déserteurs et des réfugiés des deux camps sans obstacles bureaucratiques et juridiques dans les pays où ils décident de s’installer, si nécessaire.
•
L’expropriation des oligarques russes et ukrainiens qui ont utilisé l’ethno-nationalisme pour rester au pouvoir et envoyer les prolétaires des deux pays à l’abattoir.
•
L’abolition de la dette extérieure ukrainienne et la fin de la colonisation économique et financière de l’Ukraine par le capital international, ainsi que les mesures néolibérales et anti-ouvrières du gouvernement Zelensky.
•
Dissolution de tous les blocs militaires (OTAN, OTSC, AUKUS, etc.).
•
Droit à l’autodétermination du Dombas et la Crimée.
La Quatrième Internationale est également solidaire
•
Avec la lutte contre les propres bourgeoisies en Ukraine et en Russie. Non aux accords avec l’impérialisme en Ukraine, non au projet militariste en Russie. Pour la fraternisation internationaliste et la fin du conflit, sans revanchisme et sans pillage.
•
Avec les organisations sociales, syndicales et politiques dissidentes persécutées et/ou directement touchées par les effets de la guerre dans les deux pays, en particulier nos camarades du Mouvement socialiste russe et de Sotsialnyi Rukh en Ukraine.
Solidarité avec la classe ouvrière ukrainienne et russe, arrêt de la guerre et de la spirale militariste suicidaire !
28 February 2025