« Déni de réalité », « silence obstiné »… Quatre ans après les révélations de Disclose, la commission d’enquête parlementaire sur les essais nucléaires en Polynésie française confirme l’ampleur de la dissimulation orchestrée par l’État depuis les années 1960. Les élu·es appellent à une refonte intégrale du régime d’indemnisation des victimes civiles et militaires.
« Contrairement aux propos tenus par le président de la République Emmanuel Macron […], si, il y a eu des mensonges. » Après six mois d’auditions, la commission d’enquête parlementaire sur les essais nucléaires en Polynésie française a rendu, mardi 10 juin, un rapport cinglant. Non seulement les député·es dénoncent l’opacité entretenue par l’État, depuis les années 1960, sur la contamination des civils et des militaires par les retombées radioactives de « la bombe ». Mais les élu·es pointent aussi les manipulations des autorités pour réduire l’indemnisation des victimes de ces essais atmosphériques.
Pendant trente ans, la France a fait exploser 193 ogives nucléaires au-dessus de Mururoa et Fangataufa, deux atolls du Pacifique situés à plus de 15 000 kilomètres de Paris. Des opérations dévastatrices pour l’environnement et pour la santé des Polynésien·nes, comme Disclose l’a révélé dans « Toxique », en mars 2021. Conduite en partenariat avec l’université de Princeton et l’ONG britannique Interprt, notre investigation est citée à 84 reprises dans le rapport adopté par les député·es. L’enquête « “Toxique” a indéniablement été fondamentale pour notre travail », confirme le président de la commission d’enquête parlementaire, Didier Le Gac (EPR).
« Déni de réalité », « silence obstiné »… Les député·es dénoncent d’abord la stratégie de dissimulation de l’État sur la campagne nucléaire française dans le Pacifique. « La culture du secret a minimisé les risques radiologiques et leur impact », assure auprès de Disclose la rapporteure de la commission d’enquête, Mereana Reid Arbelot (GDR). Le « secret » s’est insinué à tous les niveaux. À commencer parmi les militaires chargés d’opérer les tirs atmosphériques : la plupart d’entre eux n’ont jamais eu accès à la dose radioactive captée par leurs dosimètres entre 1966 et 1996. « Les médecins militaires en charge du suivi médical des vétérans ont été plus militaires que médecins », résume un ancien fonctionnaire auditionné.
Au-delà des vétérans, c’est bien la population polynésienne qui a souffert du silence des autorités. Comme le 17 juillet 1974. Ce jour-là, les militaires tirent une bombe baptisée « Centaure », dont les retombées radioactives ont potentiellement contaminé 110 000 personnes sur l’archipel, comme l’a dévoilé Disclose. Pourtant, aucun ordre de confinement n’est donné à l’époque.
« Du point de vue de l’impact sur la population, on peut dire [que le tir] était raté », a reconnu, pour la première fois, un cadre du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) interrogé par les parlementaires. Un aveu à demi-mot, qui tranche avec des décennies de mensonges : c’est le même CEA qui, encore au début des années 2000, effaçait des données montrant l’ampleur des dépôts radioactifs sur l’île de Tahiti.

Leucémie, lymphome, cancers… Encore aujourd’hui, les conséquences des essais nucléaires de l’armée française marquent les Polynésien·nes jusque dans leur corps. Très peu, pourtant, ont obtenu réparation de l’État français : 97 % des demandes d’indemnisation présentées entre 2010 et 2017 ont été rejetées — 70 % en 2024. Pour en bénéficier, une victime doit démontrer qu’elle a reçu pendant un an une dose radioactive supérieure à 1 millisievert (mSv).
Or, ce seuil « n’a strictement aucune valeur scientifique », déplorent les parlementaires, qui veulent le remplacer par une « présomption d’exposition » aux radiations nucléaires. Le simple fait, pour une victime, de démontrer qu’elle était présente sur une île exposée à des retombées au moment d’un tir atmosphérique lui ouvrirait un droit à réparation.
Pour accroître le nombre d’indemnisations, les parlementaires appellent aussi à élargir le nombre de pathologies reconnues comme radio-induites. « Un chantier prioritaire », a admis le ministre des outre-mers, Manuel Valls, qui s’en remet cependant à l’avis des Nations unies sur le sujet, attendu en 2026. « Veut-on sincèrement réparer le préjudice infligé aux Polynésien·nes ?, interroge Tomas Statius, co-auteur de l’enquête Toxique. Si oui, ce n’est pas la science qui pourra trancher. Le choix est politique. »
Le volontarisme de la commission d’enquête, dont le rapport a été adopté par les 11 groupes politiques représentés à l’Assemblée nationale, sera-t-il bientôt traduit dans la loi ? Avant d’éventuels débats, certain·es prennent déjà la tangente : « les données produites par l’enquête Disclose, à la base du livre Toxique qui a orienté les travaux de cette commission, sont assez proches de celles du CEA », affirme le groupe Rassemblement national. Contre toute évidence.
Rédaction : Pénélope Blanchetête, avec Pierre Leibovici
Édition : Mathias Destal
Photo de couverture : Mathieu Asselin, pour Disclose