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Le seul mode de négociation retenu par Israël, c’est l’assassinat !

Avec le bombardement mené par Israël contre des négociateurs du Hamas à Doha, au Qatar, mardi 9 septembre, un nouveau palier a été franchi. Pour Mediapart, Leila Seurat, chercheuse au Centre arabe de recherches et d’études politiques de Paris (Carep), en analyse les motivations. Selon elle, cette fuite en avant israélienne marque une rupture profonde dans la relation entre le Qatar et les États-Unis. Elle illustre aussi la volonté d’Israël de vassaliser tout le Proche-Orient. 

Mediapart : Quelle lecture faites-vous de la frappe israélienne sur un bâtiment à Doha abritant des négociateurs du Hamas ? 

Leila Seurat : Si l’on tient compte de la temporalité spécifique de cette frappe, c’est un aveu de faiblesse. D’abord parce que cela signe l’échec de la volonté affichée par Nétanyahou d’éradiquer le Hamas, que ce soit par la négociation ou par la force militaire. La frappe vient après une attaque contre un bus, revendiquée par le Hamas, qui a fait six morts à Jérusalem, mais aussi après l’échec de sa stratégie militaire à Gaza. Les embuscades continuent, quatre soldats israéliens sont morts à Jabaliya la veille de la frappe sur Doha, les soldats sur le terrain rencontrent des difficultés, Tsahal a beaucoup de mal à trouver des réservistes. Une frappe israélienne visant les dirigeants du Hamas à Doha. Qatar, le 9 septembre 2025. © Capture d’écran de caméra de sécurité / Anadolu via AF

Ensuite, parce que l’assassinat n’a pas abouti. Les conséquences de ce flop sont immenses, et cela se ressent dans les atermoiements et volte-face des politiques et militaires en Israël : le leader de l’opposition, Yaïr Lapid, qui s’était pourtant félicité au départ, a ensuite déclaré que cette frappe était catastrophique car elle compromettait la libération des otages.

En Israël, cette frappe est perçue non seulement comme un abandon définitif du sort des otages, mais aussi comme un échec à éliminer les têtes du Hamas. Cela affaiblit Nétanyahou en interne, en renforçant les doutes sur la stratégie militaire d’Israël, exprimés jusqu’au plus haut niveau de l’état-major avant le lancement de l’offensive sur la ville de Gaza.

Outre le symptôme d’un échec, cette frappe est aussi une fuite en avant, qui achève de montrer l’impunité d’Israël quand il ne respecte aucune base du droit international. Avec la frappe sur le Qatar, un palier est franchi.

Peut-on comparer cette frappe sur Doha à la manière dont Israël avait assassiné l’ancien leader du Hamas, Ismaïl Haniyeh, à Téhéran, ou à la façon dont Israël avait tué le négociateur en chef du nucléaire, dès le premier jour de l’attaque de juin contre l’Iran ?

Ce n’est pas comparable. En Iran, Israël avait tué le négociateur, là il tue les négociateurs mais cible aussi la médiation. 

Par ailleurs, le lieu change tout : l’Iran est un pays ennemi d’Israël depuis des décennies, alors que le Qatar est un allié des États-Unis, qui abrite la plus importante base militaire américaine dans la région.

L’élément le plus marquant de cette frappe est probablement la trahison américaine vis-à-vis du Qatar. En Iran, c’est un membre de l’intérieur du régime qui avait trahi. Tout pointe en effet vers un blanc-seing américain à cette action. Si Trump a affirmé n’avoir pas été mis au courant, et avoir envoyé Steve Witkoff [son représentant sur les fronts diplomatiques – ndlr] prévenir les Qataris quelques minutes avant l’action, le premier ministre du Qatar a démenti.

Après avoir anéanti Gaza, le message est clair : personne dans la région n’est à l’abri du feu israélien.

Deux jours avant la frappe, Trump lançait un « dernier avertissement » au Hamas, sur son compte Truth Social, laissant penser qu’il était au courant. Cela ressemble fortement à l’attaque de septembre 2024 contre Hassan Nasrallah, le leader du Hezbollah, qui avait été dupé sur de possibles négociations alors même que se préparait son assassinat. 

Ici, on a visé des négociateurs du Hamas rassemblés dans un même endroit pour discuter d’une nouvelle proposition émise par Trump. Il est donc légitime de se demander si Trump n’était pas coproducteur de cette attaque. Quand a-t-il été informé, et quel a été le niveau de coordination d’Israël avec des services de renseignement occidentaux – un avion britannique aurait également participé à l’opération en ravitaillant les chasseurs israéliens depuis Doha. Ce sont des questions cruciales.

Doit-on aussi lire cette action israélienne comme une tentative de faire dérailler la reconnaissance d’un État palestinien annoncé par plusieurs pays, lors de la prochaine Assemblée générale de l’ONU, dans quelques jours ?  Leila Seurat

Cela fait sans doute partie du plan, mais cela montre, plus généralement, que le seul mode de « négociation » retenu par Israël, c’est l’assassinat. La méthodologie est la même qu’à Gaza : on dit aux Palestiniens de se rassembler à un endroit pour pouvoir leur distribuer de la nourriture et en fait on leur tire dessus.

Là, les négociateurs réunis pour discuter d’un plan américain sont visés par une frappe. Cet énième épisode d’agression de la souveraineté d’un pays voisin fait apparaître la violence meurtrière comme seul langage parlé par Israël dans la région. 

Peut-on imaginer une réaction des pays arabes, qui n’ont guère soutenu les Palestinien·nes massacré·es à Gaza ? 

Le Yémen a bien formulé les choses. Les pays arabes payent aujourd’hui le fait qu’aucun d’entre eux n’ait tenté d’arrêter le génocide du peuple palestinien. Si l’on inclut l’attaque de drone en Tunisie sur la flottille en partance pour Gaza, qui pourrait être d’origine israélienne, ce ne sont pas moins de six pays de la région qui ont été bombardés ces dernières semaines par Israël : le Liban, la Syrie, le Yémen, Gaza, le Qatar et la Tunisie.

En essayant de tuer les négociateurs du Hamas à Doha, Nétanyahou détourne l’attention du bourbier de Gaza.

Après avoir anéanti Gaza, le message est clair : personne dans la région n’est à l’abri du feu israélien. Cette frappe sur une négociation en cours clarifie donc le jeu des acteurs. Israël ne supporte autour de lui que des États vassalisés, comme la Syrie aujourd’hui. Si vous ne vous soumettez pas entièrement, vous serez détruits.

Si le Qatar s’est ainsi retrouvé dans le viseur d’Israël, ce n’est pas seulement parce qu’il abrite des négociateurs du Hamas, c’est aussi parce que c’est un pays fort financièrement, diplomatiquement, médiatiquement et, à cet égard, il est perçu comme un rival.

Que sait-on des liens entre le Qatar et le Hamas et de la présence de ce dernier dans ce pays ? 

Il existe beaucoup de spéculations et de rumeurs. On ne sait pas à quel point les Qataris aimeraient se débarrasser des cadres du Hamas présents sur leur sol. Quand plusieurs sont partis en Turquie il y a quelque temps, on a pu prétendre que c’était pour y rester, mais ils sont revenus.

Quand les leaders du Hamas ont dû quitter la Jordanie pour Damas, en 1999, parce qu’Amman ne voulait plus d’eux, ils ont fait escale au Qatar. La relation est donc complexe, d’autant que les États-Unis jouent leur partition. Ce qu’il faut surtout rappeler, c’est que si le Hamas possède un bureau au Qatar, c’est bien parce que les États-Unis l’ont voulu. 

Le Hamas peut-il être « anéanti », comme le prétend Nétanyhaou ? 

Non, je ne pense pas. Historiquement, les Israéliens ont toujours pensé qu’assassiner les têtes du Hamas allait permettre d’en finir avec l’organisation, mais concrètement, cela n’a fait que la renforcer, depuis l’assassinat raté de Khaled Mechaal à Amman en 1997, jusqu’à l’exécution du cheik Yassine en 2004 à Gaza. Mais, là, ces assassinats ciblés sont d’un autre ordre et s’inscrivent dans un tout autre contexte local et régional.

En essayant de tuer les négociateurs du Hamas à Doha, Nétanyahou détourne d’abord l’attention du bourbier de Gaza. Pour ce faire, il a besoin d’ouvrir des « fronts » régionaux afin d’afficher des victoires, alors qu’il ne parvient à réaliser aucun de ses objectifs à Gaza.

L’attaque est également un indicateur de l’évolution de la stratégie israélienne d’assassinats ciblés, désormais envisagée comme seule expression de sa diplomatie régionale. 

La fuite en avant d’Israël est telle que des frappes sur la Turquie deviennent de l’ordre du possible.

Nétanyahou veut aussi afficher sa volonté de subordonner tous les pays qui ne se soumettraient pas à lui, en étendant les logiques de vassalisation appliquées au Machrek dans la région du golfe Persique. Le président de la Knesset, Amir Ohana, a d’ailleurs écrit que l’attaque sur Doha valait « avertissement pour tout le Proche-Orient ».

Israël cherche à exprimer sa toute-puissance dans l’ensemble de la région en montrant aussi que son allié américain l’accompagnera coûte que coûte. Cette attaque nous dit donc aussi quelque chose de la relation entre Nétanyahou et Trump, et de la manière dont le premier parvient à imposer ses vues au second – malgré tout ce qui a été dit sur les fameuses « pressions » que la nouvelle administration américaine serait parvenue à imposer à Israël depuis janvier 2025.

Quelle pourrait être la prochaine étape ? 

La fuite en avant d’Israël est telle que des frappes sur la Turquie, membre de l’Otan, qui abrite aussi des membres de la direction du Hamas, deviennent de l’ordre du possible. La Turquie est l’autre grand compétiteur régional qui pose problème à Israël, précisément parce qu’elle incarne une puissance régionale disposant d’une certaine autonomie. Or, Israël est dans une logique de subordination et d’écrasement qui s’étend bien au-delà de ses frontières. 

Pensez-vous que l’offensive actuelle sur Gaza-ville puisse éradiquer le Hamas dans l’enclave martyre ? 

Non, et ce n’est d’ailleurs pas l’objectif. Le but est de déplacer 1 million de Gazaouis pour les mettre dans des camps, les forcer au départ et réoccuper à terme une large partie de la bande de Gaza. 

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Cette entrée a été publiée le 11 septembre 2025 par dans ASSASSINAT POLITIQUE, ISRAEL, QATAR.