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Réforme des retraites : la suspension par voie d’amendement, un choix habile mais risqué !

Lecornu, qui s’est lié les mains en renonçant à l’article 49.3 de la Constitution, complique la donne en choisissant d’inclure la suspension de la réforme dans le budget de la « Sécu 

Julie Carriat

La suspension de la réforme des retraites passera donc par « un amendement au projet de loi de finances pour la Sécurité sociale dès le mois de novembre », selon les mots du premier ministre, Sébastien Lecornu, mercredi 15 octobre, lors des questions au gouvernement. Pourquoi choisir ce véhicule législatif ? D’abord, pour une raison de célérité. « L’amendement est le plus simple vu que ce qui affecte l’équilibre de la Sécurité sociale devra de toute façon figurer dans le PLFSS [projet de loi de financement de la Sécurité sociale], cela évite de faire deux lois », relève Anne-Charlène Bezzina, maîtresse de conférences en droit public.

De fait, passer par une loi ordinaire restait possible, mais cela impliquait pour le gouvernement des délais beaucoup moins contraints. Parce qu’il restreint l’examen du texte à cinquante jours, ce véhicule permet de sceller rapidement l’accord conclu entre Sébastien Lecornu et le Parti socialiste. Cette suspension, les socialistes eux-mêmes demandaient mardi qu’elle prenne la forme d’un amendement gouvernemental. Sébastien Lecornu ayant pris au mot leurs exigences, les socialistes n’ont pas voté la censure du gouvernement, jeudi. « Pour le gouvernement, c’est s’assurer que la loi de financement de la Sécurité sociale sera adoptée avec l’aide du PS ; pour les socialistes, c’est s’assurer de ne pas être dupés, d’éviter de s’apercevoir qu’une loi ordinaire de suspension ne trouve aucune majorité », poursuit le constitutionnaliste Samy Benzina.

Science-fiction

Il y a, ensuite, une logique à glisser cette suspension – qui devrait permettre à la génération née en 1964 de partir à la retraite trois mois plus tôt que prévu – dans les finances de la Sécurité sociale. En 2023, Elisabeth Borne a rompu avec la tradition en faisant passer la réforme des retraites par un projet de loi rectificatif du financement de la Sécurité sociale. « C’est devenu un précédent, même si, historiquement, réformer le système de retraites ne se faisait pas par un projet de loi de finance », rappelle M. Benzina. Cet amendement au sein du PLFSS ne devrait donc pas prêter le flanc aux accusations de « cavalier législatif » (soit les dispositions sans lien suffisant avec le texte).

Reste à savoir si cette promesse de suspension pourra voir le jour. Car le gouvernement Lecornu II doit faire face à de nombreux obstacles : absence de majorité évidente pour faire passer le budget, et surtout renoncement du premier ministre à l’article 49.3 de la Constitution qui lui aurait permis de faire passer son texte même en cas de blocage au Parlement. Maître de conférences en droit public, Benjamin Morel estime que c’est l’un des deux « péchés originels » susceptibles de mener à l’impasse. Car l’article 49.3 est « intéressant pour les oppositions : il leur évite de voter un budget, moyennant le passage de certains de leurs amendements », rappelle-t-il. Ainsi, en son temps, le premier ministre socialiste Michel Rocard, de 1988 à 1991, passait grâce au 49.3 des budgets amendés à la marge par les communistes et les centristes ; ces derniers lui épargnant en retour la censure.

Second problème, les relations complexes entre M. Lecornu et le parti Les Républicains (LR), notamment depuis le départ de Bruno Retailleau du premier gouvernement Lecornu début octobre. Même si les députés n’ont pas voté la censure, la droite sénatoriale, plus proche de M. Retailleau, n’a pas envie de faire de cadeaux au nouveau chef du gouvernement. Les sénateurs de droite – qui sont majoritaires – sont, en outre, fortement hostiles à toute suspension de la réforme de 2023.

Or, après examen dans les deux chambres, le Palais du Luxembourg détiendra les clés d’une commission mixte paritaire sur ce texte et de son caractère conclusif ou non. En l’absence d’accord, le texte retournera à l’Assemblée, où les députés LR emmenés par Laurent Wauquiez, voudront aussi avoir leur mot à dire et empêcher à tout prix la concession faite aux socialistes de voir le jour. Problème : sans l’assentiment au moins tacite des LR, le budget ne passera pas. L’amendement de suspension de la réforme des retraites pourrait par conséquent plomber le budget de Sébastien Lecornu.

En cas de blocage, que peut-il se passer ? Si les parlementaires échouent à conclure avant le 31 décembre sur le projet de loi de finances, comme en 2024, le gouvernement pourrait avoir recours à une loi d’urgence, qui ne ferait que reporter l’examen du budget. L’autre option qui se présente à M. Lecornu serait inédite : faire valoir le fait que le Parlement ne s’est pas prononcé dans les délais impartis et solliciter l’article 47 de la Constitution pour faire passer le budget par ordonnances. Cette éventualité relève pratiquement d’un scénario de science-fiction pour les constitutionnalistes, car aucune jurisprudence n’existe en la matière. Même la définition d’un Parlement qui ne s’est « pas prononcé » fait débat. Pour Anne-Charlène Bezzina, faire appel aux ordonnances « paraît en l’état impossible » étant donné que l’une ou l’autre des deux chambres aura sans doute voté une version du projet de loi.

Dans cette hypothèse, quel texte serait retenu pour être mis en vigueur par voie d’ordonnances ? Selon M. Benzina, « dans une interprétation stricte, le gouvernement fait passer par ordonnance le projet de loi tel qu’il a été déposé devant le bureau de l’Assemblée nationale ; dans une interprétation plus souple, on peut imaginer que le texte est tel que le gouvernement le souhaite », donc pourquoi pas avec l’amendement de suspension de la réforme des retraites. Autre possibilité : c’est le dernier texte adopté qui prévaut, soit potentiellement la copie revue par LR adoptée au Sénat.

Mais l’adoption du budget par ordonnances amènerait une autre conséquence probable : la censure, puisque les oppositions pourraient se coaliser contre cet éventuel passage en force. Les concessions sur les retraites ne sont donc pas une solution pérenne, juste un répit. Pour M. Benzina, « c’est un compromis dilatoire, elles ne résolvent aucun des problèmes qui ont fait tomber le premier gouvernement Lecornu ». La sortie définitive de la crise politique n’est pas encore là.

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Cette entrée a été publiée le 26 octobre 2025 par dans ANTISOCIAL, BUDGET, FRANCE.