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Cette révolution anticoloniale que la France ne pardonne pas à l’Algérie !

Obtenue sur une rupture dans les relations franco-algériennes, la première victoire parlementaire du Rassemblement national souligne combien l’ascension de l’extrême droite vers le pouvoir est portée par la résurgence, bien au-delà de ses rangs, d’une question coloniale que la France n’a toujours pas soldée.

Edwy Plenel

« L’Assemblée« L’Assemblée générale, convaincue que le maintien du colonialisme empêche le développement de la coopération économique internationale, entrave le développement social, culturel et économique des peuples dépendants et va à l’encontre de l’idéal de paix universelle des Nations unies, convaincue que tous les peuples ont un droit inaliénable à la pleine liberté, à l’exercice de leur souveraineté et à l’intégrité de leur territoire national, proclame solennellement la nécessité de mettre rapidement et inconditionnellement fin au colonialisme sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations… »

Cela fera soixante-cinq ans à la fin de cette année que les Nations unies ont prononcé l’acte de décès du colonialisme. C’était le 14 décembre 1960, sous la forme d’une « Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et peuples coloniaux », qui fut adoptée sans qu’aucun État membre n’ose s’y opposer : 89 voix pour, aucun vote contre. Depuis, un Comité spécial de la décolonisation est toujours en activité à l’ONU.

Il y eut seulement 9 abstentions, essentiellement celles des principales puissances coloniales d’alors : la Belgique, l’Espagne, la France, le Portugal et le Royaume-Uni, accompagnés de l’Australie et de la République dominicaine. Et rejointes par les États-Unis, dont les États sudistes pratiquaient encore la ségrégation raciale, ainsi que par l’Afrique du Sud, où régnait depuis son invention en 1948 l’apartheid raciste.

Illustration 1© Photo Farouk Batiche / Zuma / REA

Le formidable travail d’archives de l’exceptionnel documentaire Soundtrack to a Coup d’État (2024) permet de revivre ce moment d’espérance où, dans le sillage de la conférence de Bandung d’avril 1955 et des premières indépendances asiatiques et africaines, s’imposait le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et s’affirmait la voix des nations du tiers-monde.

Mais, à partir du récit de la tragédie du Congo belge, ce film introduit la suite, bien moins réjouissante, dont l’assassinat de Patrice Lumumba en janvier 1961 fut le symbole sanglant : les manœuvres cyniques des pays coloniaux et de l’impérialisme nord-américain pour renverser un rapport de force qui leur devenait défavorable, en soumettant durablement les indépendances à leurs intérêts.

Or, à cette même époque, il est un peuple qui ne se soumettra pas et dont l’indépendance, chèrement acquise après huit années d’une guerre terrible (1954-1962), va devenir le symbole victorieux de l’anticolonialisme : le peuple algérien. Si Alger fut dans les années 1960 surnommée « la Mecque des révolutionnaires », c’est à la mesure de l’événement universel que signifia l’indépendance algérienne en juillet 1962.

En écho à la révolution haïtienne

Qu’elle ait été par la suite confisquée ou trahie par de nouvelles classes dirigeantes, évidence dont ont régulièrement témoigné les soulèvements du peuple algérien pour reconquérir droits et libertés, n’amenuise en rien cet événement dont l’Algérie reste le symbole : une révolution anticoloniale.

À cet égard, l’impact de la révolution algérienne évoque celui de la révolution anti-esclavagiste haïtienne (1791-1804). D’autant plus qu’il s’agit des deux pays qui furent tenus pour les joyaux de l’empire colonial français et de fait son trésor marchand : Saint-Domingue au XVIIIsiècle, l’Algérie au XXsiècle.

Voici donc deux révolutions à portée universelle, au même titre que la révolution parlementaire britannique (1642-1651), la révolution indépendantiste américaine (1775-1783) et la révolution républicaine française (1789-1799). Mais ce sont deux révolutions venues des peuples subalternes, brandissant la promesse d’égalité des droits contre une nation occidentale qui les a proclamés depuis 1789 et qui les niait, d’abord par l’esclavage, puis par l’indigénat.

Toutes deux victorieuses de la France – victoire du faible contre le fort, de l’opprimé contre l’oppresseur, du prétendu barbare contre l’autoproclamé civilisé –, ces deux révolutions ont donc brandi des valeurs universelles contre le pays européen qui s’en est déclaré propriétaire pour, ensuite, les piétiner, dans un double standard hélas promis à une longue descendance.

C’est pourquoi l’audace de ces deux révolutions n’a cessé de parler au monde. Les travaux de l’historienne Malika Rahal le soulignent de nos jours dans le cas algérien, tout comme l’œuvre pionnière du Trinidadien C. L. R. James, Les Jacobins noirs (1938, première traduction en 1949), l’avait tôt magnifié dans le cas haïtien.

Une audace que, dans les deux cas, la puissance vaincue n’a jamais digérée. La jeune république haïtienne fut économiquement mise à genoux, à partir de 1825, par la dette incommensurable que lui imposa la France comme rançon de sa liberté, en échange de son acceptation dans le concert des nations, dette que notre pays a toujours refusé de rembourser.

Il y a vingt ans, « le rôle positif »

Quant à l’Algérie, la victoire parlementaire obtenue par le Rassemblement national, en faisant adopter une résolution visant à dénoncer les accords franco-algériens de 1968, consacre symboliquement ce passé qui ne passe pas d’une indépendance contre laquelle l’extrême droite s’est toujours dressée. Et d’un colonialisme dont une bonne partie du monde politique n’a toujours pas fait le deuil.

La preuve vient d’en être donnée par Sébastien Lecornu, qui a annoncé mardi 4 novembre sa volonté de renégocier au plus vite les accords franco-algériens. Ce faisant, le premier ministre s’inscrit dans la continuité du président de la République qui, l’an dernier, a de lui-même aggravé les tensions avec l’Algérie en cédant à une surenchère diplomatique en faveur du royaume marocain sur le dossier du Sahara occidental.

À droite comme à gauche, le refus des présidents successifs et de leurs majorités parlementaires d’assumer clairement un discours de rupture avec le colonialisme, de reconnaissance de son illégitimité, de ses injustices et de ses crimes, de vérité et de réconciliation à l’égard des peuples qui en ont été les victimes, a permis au refoulé colonial de resurgir au cœur du débat public.

À tel point qu’une loi du 23 février 2005 a affirmé « le rôle positif » de la colonisation française, euphémisée en « présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord ». L’abrogation par décret, un an plus tard, de cette formulation qui avait fait scandale, notamment auprès des historiens, n’empêche pas cette loi d’être toujours en vigueur où « la nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l’œuvre accomplie par la France » dans ses colonies, et plus particulièrement « dans les anciens départements français d’Algérie ».

L’extrême droite est ici à l’avant-garde d’un désir de revanche qui va au-delà de ses rangs. Car la révolution anticoloniale algérienne confronte la France non pas à son passé, mais à son présent.

Cette résurgence, à l’image d’un fleuve souterrain remontant à la surface, a ainsi ouvert la voie au fonds de commerce identitaire de l’extrême droite française pour laquelle la guerre d’Algérie ne sera jamais finie. En 1999, l’historien Benjamin Stora avait tôt alerté sur ce « transfert de mémoire » qui entretenait un « sudisme » français, profondément raciste, hérité de la colonisation algérienne, semblable à l’héritage ségrégationniste propre aux États du sud des États-Unis.

Et son collègue Alain Ruscio, dans Nostalgérie (La Découverte), avait souligné en 2015 combien le legs de l’OAS, cette organisation terroriste qui multiplia attentats et assassinats pour empêcher l’indépendance algérienne, était encore actif, empuantissant le climat politique d’un pays dont la population, multiculturelle, est tissée à l’infini par son passé colonial.

La question algérienne n’est donc pas secondaire mais bien centrale. L’extrême droite est ici à l’avant-garde d’un désir de revanche qui va au-delà de ses rangs. Car la révolution anticoloniale algérienne confronte la France non pas à son passé, mais à son présent. Et cela ne date pas d’aujourd’hui : déjà, durant les quatorze longues années de sa présidence, François Mitterrand verrouillait un rapport lucide et serein de la France aux deux parts d’ombre de son histoire contemporaine, la collaboration de Vichy et la guerre d’Algérie.

De nos jours, le dossier néo-calédonien, où la France refuse toujours l’indépendance kanak au point qu’Emmanuel Macron et Sébastien Lecornu ont tout fait pour mettre à bas les accords de Matignon, puis de Nouméa, qui ouvraient la voie d’une décolonisation, rappelle que notre pays est la dernière puissance coloniale directe au monde.

Oui, elle est le dernier pays européen à avoir des possessions sur tous les autres continents, excepté l’Asie, de la Guyane à la Polynésie en passant par les Antilles et La Réunion, et à s’y accrocher contre vents et marées, dans une quête de puissance toujours inassouvie.

Tant qu’il reste fermé, le verrou colonial continue d’entraver la construction d’un imaginaire commun qui projette la France et son peuple, dans sa diversité, à la rencontre du monde. Pis, il l’enferme dans une régression qui évoque ce constat émis en 1961 par Pierre Nora, alors jeune historien, au terme d’une enquête sur les Français d’Algérie, à propos des « ultras » de l’Algérie française : « Ils se sont installés à contre-courant de toute évolution. Ils ont bloqué l’histoire. »

Cette régression nous mène à l’abîme, vers un horizon de guerre civile, où une partie de la France cherchera à régler son compte à une autre, qualifiée d’anti-France. À la tribune de l’Assemblée nationale, Guillaume Bigot, le député RN qui défendait la résolution anti-algérienne, a assumé ce langage, désignant ses opposants sur les bancs de la gauche comme « le parti de l’étranger ».

La vérité, c’est que ce parti-là, le nôtre, est celui de la France. D’une France réconciliée avec elle-même parce que réconciliée avec le monde, ces « étranges étrangers », comme disait le poète Jacques Prévert, qui ont fait et qui font toujours la richesse de son peuple.

Edwy Plenel

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Cette entrée a été publiée le 5 novembre 2025 par dans ALGERIE, COLONIALISME, FRANCE.