Olivier Faure a annoncé qu’il plaiderait pour que son groupe vote pour le budget de la Sécurité sociale, quittant de facto l’opposition au gouvernement. Un franchissement de seuil qui dénature l’idée même de compromis et réduit le capital de gauche du PS à néant.
C’estC’est un lapsus révélateur dont le premier secrétaire du Parti socialiste (PS) ne s’est pas rendu compte. Interrogé lundi 8 décembre sur ses intentions sur le vote du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), il a déclaré : « Aujourd’hui, la copie est passable et c’est la raison pour laquelle, devant mon groupe, je plaiderai pour que nous votions pour. » Par « passable », Olivier Faure entendait que suffisamment de gestes avaient été faits par le gouvernement de Sébastien Lecornu pour qu’il laisse ses troupes voter en faveur du texte, mardi 9 décembre.
Il eût été plus logique de la part du dirigeant d’un parti de gauche qu’il trouve ce texte « passable » au sens où on l’entend plus généralement, autrement dit tout juste moyen, voire médiocre compte tenu des économies qu’il veut faire sur le dos des plus démuni·es, et qu’il vote donc contre ou s’abstienne. Mais le socialiste a décidé d’ouvrir la voie à un autre monde. De manière inédite, un parti d’opposition pourrait voter pour un texte budgétaire et venir à la rescousse d’un premier ministre adverse, par ailleurs lâché par son propre camp – le patron du parti Les Républicains (LR), Bruno Retailleau, et celui d’Horizons, Édouard Philippe, refusant de soutenir ce budget.
Car si le mot « passable » est polysémique, l’attitude du PS, elle, ne sera pas équivoque. Si la majorité des 69 membres du groupe socialiste à l’Assemblée nationale vote pour le budget de la Sécurité sociale, comme le leur demande Olivier Faure, le parti n’aura jamais été aussi proche de la coalition gouvernementale. Comment comprendre un tel revirement ? Il y avait au départ une rationalité à ce que, compte tenu de la composition de l’Assemblée issue des législatives anticipées de 2024, sans majorité absolue, les socialistes tentent une stratégie nouvelle – celle du parlementarisme et de la négociation, et non plus celle de l’opposition bloc contre bloc.
Boris Vallaud, Patrick Kanner, Olivier Faure et Johanna Rolland après une rencontre avec le premier ministre Sébastien Lecornu à l’hôtel Matignon, à Paris, le 17 septembre 2025. © Photo Eliot Blondet / Abaca
En se privant de l’article 49-3 de la Constitution, Sébastien Lecornu avait donné toutes les cartes au groupe socialiste, devenu central pour lui assurer sa survie et qui disposait donc d’un levier politique incontestable. Que le PS se distingue à ce moment-là du reste de la gauche en prenant les devants de cette nouvelle ère pouvait à la limite s’entendre, même si déjà sa hâte à s’éloigner du programme du Nouveau Front populaire (NFP) sur lequel il avait été élu un an plus tôt pouvait questionner. « Arrêtez avec l’histoire du NFP », s’était d’ailleurs agacé Olivier Faure, interrogé par Le Média le 17 octobre à l’Assemblée.
Mais l’apparente impréparation des dirigeant·es du PS, leur peur bleue d’une nouvelle dissolution, le poids retrouvé du hollandisme en son sein et la tentation d’endosser la stature de « parti de gouvernement » tout en isolant La France insoumise (LFI) se sont conjugués pour que cette stratégie se fracasse sur le vote de mardi. Pour mesurer l’étendue de l’échec, il faut se rappeler le destin des « lignes rouges » que les socialistes avaient fixées au premier ministre en échange de leur non-censure le 14 octobre : elles n’ont cessé de bouger depuis, rendant leur stratégie des plus illisibles et faisant basculer leurs menaces dans le domaine du comique de répétition.
Une lente rétraction
Dès le moment où les « négociations » avec Sébastien Lecornu se sont ouvertes, les exigences du PS ont commencé à fondre, ouvrant une brèche à l’intérieur même de la gauche non mélenchoniste qui tentait de s’unir pour la présidentielle de 2027. De la taxe Zucman (rejetée le 31 octobre) à l’abrogation de la réforme des retraites, il ne reste plus rien de ces marqueurs dans le PLFSS ni dans le budget. La « négociation » a ainsi tout eu d’une rétrocession ; le « compromis », d’une reddition.
Une simple « suspension » de la réforme d’Élisabeth Borne « jusqu’à l’élection présidentielle », répondant explicitement à la demande de la CFDT, a suffi à lever les menaces des socialistes. Ces derniers ont alors rivalisé d’assurance pour revendiquer la « plus grande victoire d’un mouvement social depuis le CPE ». Autant dire que le PS avait sorti la Grosse Bertha et consciencieusement visé ses pieds. La députée macroniste Agnès Pannier-Runacher s’est encore dite « très à l’aise » avec cette « victoire » le 6 décembre : « Ce qui comptait pour nous, c’est-à-dire qu’on aille à 64 ans et qu’on aille jusqu’au bout de cette réforme, est toujours là dans le texte. C’est un décalage d’une génération. »
En outre, le parti d’Olivier Faure, trop occupé à se satisfaire des miracles du « compromis », n’avait pas balisé le chemin institutionnel pour garantir cette suspension ni la manière dont celle-ci serait financée. Devrait-il avaler son chapeau en s’abstenant sur un budget de la « Sécu » austère par ailleurs ? Le 19 octobre, dans un entretien à Mediapart, Olivier Faure évacuait la possibilité d’un vote « pour » mais n’écartait pas l’abstention : « C’est une option pour tous ceux qui auront accepté l’idée que, dans un Parlement sans majorité absolue, il faudra bien qu’on trouve le moyen d’avancer si le budget n’est pas un musée des horreurs et que nous y avons obtenu toute une série d’évolutions. »
Le PS semble volontaire dans la dilapidation du capital de réputation qu’il avait enfin réussi à reconstituer à gauche depuis 2022.
Un mois et demi plus tard, c’est donc le vote « pour » qui est devenu acceptable. Ce n’est pourtant pas comme si la copie budgétaire avait été révolutionnée entre-temps. Certes la proposition socialiste d’augmentation de la CSG sur le capital a été reprise in extremis la semaine dernière (en étant divisée par deux), certes le gouvernement a renoncé au doublement des franchises médicales, mais le budget de l’assurance-maladie implique encore des économies sans précédent. Tout participe à donner la sensation que le PS se contente donc de miettes et assume de tourner le dos au reste de la gauche.
Pire encore : selon le récit du Monde, le député socialiste Jérôme Guedj a vanté jeudi 4 décembre le compromis à l’ex-première ministre Élisabeth Borne, aujourd’hui députée macroniste, et à son ancien directeur de cabinet à Matignon, Aurélien Rousseau, désormais membre du groupe socialiste à l’Assemblée. « On aurait dû commencer en 2022 », leur a-t-il dit, comme si cette méthode était amenée à perdurer et comme s’il regrettait que le PS se soit engagé dans la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes). Un aveu là encore révélateur.
Le PS semble donc volontaire dans la dilapidation du capital de réputation qu’il avait enfin réussi à reconstituer à gauche depuis 2022. Après le fiasco du mandat de François Hollande, la vague macroniste qui l’avait laissé exsangue et le crash de la candidature d’Anne Hidalgo à la présidentielle de 2022, le parti d’Olivier Faure avait opportunément rejoint l’alliance constituée sous l’impulsion de LFI. Ce n’est que grâce à celle-ci qu’il a pu maintenir un groupe à l’Assemblée – groupe qu’il a encore renforcé en 2024 grâce au NFP.
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Après y avoir intégré les ex-macronistes Aurélien Rousseau, Sacha Houlié et Belkhir Belhaddad, ainsi que Martine Froger, qui siégeait au sein du groupe centriste Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (Liot), voilà que les socialistes veulent accréditer l’idée qu’une aile gauche du gouvernement est possible – les premiers à avoir tenté l’expérience peuvent pourtant témoigner de son impossibilité.
Les dirigeant·es du PS tentent maintenant de convaincre les écologistes de s’abstenir et de les suivre dans cette aventure hasardeuse. Une démarche qui pourrait prêter à sourire, si le profit que le Rassemblement national (RN) pouvait tirer de cette situation n’était pas si énorme.
« Il faut donner un budget de la Sécurité sociale aux Français », martèle désormais Olivier Faure, reprenant l’argument éculé du camp présidentiel depuis 2022. S’il pense qu’il y aura une prime à la « responsabilité », l’électorat risque de lui rappeler son manque de colonne vertébrale. Et combien il a révisé à la baisse son ambition première, d’être la gauche au gouvernement.