L’Onisep, l’organisme public chargé de l’information sur l’orientation scolaire réalise ses brochures avec les entreprises Bayer et Sanofi, ou encore avec l’UIMM, syndicat patronal. Celle sur les métiers de l’agriculture est même réalisée uniquement avec le syndicat FNSEA, qui peut y diffuser largement ses idées.
Erwin Canard
Dans les CDI (centres de documentation et d’information) des collèges, les CIO (centres d’information et d’orientation) ou les salons de l’orientation, les élèves peuvent feuilleter des brochures éditées par l’Onisep pour réfléchir à leur avenir. La mission principale de l’Office national d’information sur les enseignements et les professions est d’ailleurs « d’élaborer et [de] mettre à la disposition des utilisateurs une information la plus complète possible sur les formations scolaires et universitaires et sur les métiers afin de faciliter l’orientation des élèves et des étudiants », rappelle la Cour des comptes dans un rapport de 2024 consacré à l’établissement public.

Alors que, surfant sur l’angoisse des jeunes à l’approche des moments clefs de leur orientation, fleurissent sur la Toile d’innombrables sites à but davantage lucratif qu’informatif, l’Onisep se veut une référence en termes d’impartialité.
Placé sous la tutelle des ministères de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur, l’Onisep, « est l’office historique qui œuvre sur l’édition neutre, publique et laïque des informations de l’orientation », explique Géraldine Duriez, représentante des psyEN (psychologues de l’Éducation nationale) au Snes-FSU.
Mais certains partenaires font vaciller la neutralité affichée. Parmi l’ensemble de la documentation qu’il édite, l’Onisep produit des « zooms » qui informent sur des métiers d’un secteur, principalement à travers des portraits de travailleurs et de travailleuses : « les métiers du bois », « les métiers du commerce et de la vente » ou « les métiers du paysage » par exemple. Ces brochures, disponibles gratuitement en versions papier et numérique, sont réalisées avec des acteurs extérieurs, en lien avec chaque secteur.
L’organisme public chargé de l’information sur l’orientation scolaire réalise ses brochures avec les entreprises Bayer, Sanofi ou encore avec l’UIMM, syndicat patronal. © Photomontage Mediapart avec documents
Le « zoom » sur les métiers de l’industrie et de la chimie a ainsi été produit avec une vingtaine de grandes entreprises du secteur, dont Sanofi et Bayer, au cœur de plusieurs scandales sanitaires et environnementaux, dont celui du glyphosate.
Celui sur les métiers du médicament est produit avec les plus grandes entreprises pharmaceutiques : Bayer et Sanofi de nouveau, mais aussi Roche ou Novo Nordisk. Les métiers sont ainsi présentés uniquement à travers le prisme des grandes entreprises.
« L’angle est surtout une présentation du parcours de formation et d’évolution d’une personne. Notre priorité n’est pas l’entreprise ou le partenaire, mais d’avoir accès à un ensemble de professionnels et de pouvoir faire des portraits représentatifs au maximum de notre société », explique à Mediapart Anne de Rozario, directrice générale par intérim de l’Onisep.
Une manière de présenter les secteurs qui interpelle Jérôme Martin, historien spécialiste de l’orientation scolaire : « L’Onisep n’a pas toujours fabriqué ces documents de cette manière. S’ils sont faits par des entreprises et organisations patronales, alors la manière de présenter les métiers est forcément positive. Rien n’est dit sur ce que l’on produit quand on travaille dans tel ou tel secteur, ou sur l’organisation sociale du travail. »
En outre, les entreprises choisies comme partenaires posent question. Que signifie le fait de placer, dans les mains des élèves, un document marqué du sceau de la neutralité ministérielle en réalité fabriqué avec l’entreprise à la base du scandale Monsanto ?
« Même s’il y a le nom de l’entreprise, nous ne mettons pas en avant Bayer mais un métier, au milieu de vingt autres. Nous ne sommes pas dans la valorisation de l’entreprise mais du parcours », justifie Anne de Rozario.
La FNSEA, rien que la FNSEA
Difficile, en revanche, de tenir le même argumentaire face au « zoom » consacré aux métiers de l’agriculture. Celui-ci n’est produit qu’avec un unique partenaire : la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA). Sur cette brochure, le logo du syndicat agricole s’affiche en première page et l’éditorial d’introduction est coécrit par la direction générale de l’Onisep et la présidence de la FNSEA. Le modèle est similaire pour le « zoom » sur les métiers de la production industrielle, réalisé avec la puissante UIMM (Union des industries et métiers de la métallurgie).
« Il y a une multitude de témoignages et rien ne met en avant ce qu’est la FNSEA et ce qu’elle porte », assure la directrice générale par intérim de l’Onisep, qui insiste en outre sur « la neutralité totale des agents de l’Onisep » et sur le fait qu’une charte encadre le travail avec les partenaires.
C’est la diversité qui doit être représentée et non pas une seule vision, qui plus est celle d’un modèle basé sur les pesticides et le productivisme.
Laurence Dautraix, syndicat Snetap-FSU
C’est toutefois le partenaire qui choisit les professionnel·les qui témoignent. Ainsi, si « certaines parties tendent à montrer la diversité des métiers, avec des mots comme “agriculture bio”, “permaculture”, on voit rapidement les antiennes de cette organisation : l’agriculture connectée, la valorisation de l’apprentissage… On a du mal à trouver certaines approches comme celles des paysans-boulangers ou de la relocalisation de l’alimentation », observe Frédéric Chassagnette, co-secrétaire général du Snetap-FSU, syndicat de l’enseignement agricole. Lui trouve « choquante » cette forme d’« entrisme ».
Sa co-secrétaire générale, Laurence Dautraix, complète : « La FNSEA est certes le syndicat le plus représentatif, mais c’est la diversité qui doit être représentée et non pas une seule vision, qui plus est celle d’un modèle basé sur les pesticides et le productivisme qui mène dans le mur. »
Ce « zoom » aurait par exemple pu être produit avec les chambres d’agriculture, plaide le syndicat Snetap. « Nous sommes ouverts à travailler avec la Confédération paysanne »,autre syndicat agricole, minoritaire, tempère, de son côté, Anne de Rozario.
L’Onisep en mal de financements
La FNSEA n’en est pas à son coup d’essai : un « kit agriculture » a été diffusé il y a quelques années par l’Onisep avec le syndicat comme tête de gondole. Le Snetap s’apprête aussi à contester auprès du ministère de l’agriculture un jeu vidéo « porté par la FNSEA et qui deviendrait l’outil de promotion de l’agriculture dans les établissements scolaires », s’alarme Laurence Dautraix.
Une raison principale explique ces partenariats : le budget. En tant qu’opérateur de l’État, l’Onisep se doit d’avoir ses propres sources de financement. Or, comme l’indique le rapport de la Cour des comptes, « l’Onisep est dans une situation financière incertaine. Sa dépendance aux subventions publiques s’est accrue avec le transfert de certaines de ses compétences aux régions, qui l’a privé d’une partie de ses ressources propres ».
Les partenariats sont alors vitaux. « Depuis un an ou deux, c’est le nerf de la guerre, et quand sont présentés les budgets, un des arguments utilisés est : on a des brochures zooms dans les tuyaux, on va recevoir de l’argent », raconte Louise Fromard, responsable du syndicat Snasub-FSU au sein de l’Onisep.
Alors que l’office est de plus en plus concurrencé par les régions et des acteurs privés, il se retrouve à faire appel lui-même à des partenaires privés pour survivre. Le privé est omniprésent, jusqu’à l’inversion des rôles : le Medef, syndicat patronal, a sorti en mars dernier une brochure contenant « 14 propositions sur l’orientation scolaire » intitulée : « Un jeune bien orienté, un succès pour tous ».
Erwin Canard