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Quand la dette publique « légitime » la casse du droit du travail

27 novembre par Anouk Renaud , Simon Perrin

Alors que les « débats » sont ouverts à l’Assemblée sur la réforme du droit du travail déjà entrée en vigueur depuis deux mois en France et à laquelle le vote « solennel » du 28 novembre 2017 donnera force de loi, examinons au regard du dernier rapport de l’ONU consacré à l’impact de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque Africaine de Développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds Européen de Développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
extérieure sur les droits du travail, ces réformes qui, de la Grèce à la France, visent à rebooster la croissance pour « rembourser la dette ».

De l’ajustement macronien en France…

Comme le rappelait fin septembre l’actuel PDG d’Atos et ancien ministre de l’économie, Thierry Breton, sur le plateau de France Télévision, il aura suffi d’une décennie pour que l’Hexagone passe du peloton de tête au peloton de queue en matière de déficits publics, avec un endettement équivalent aujourd’hui à 98 % du PIB PIB
Produit intérieur brut Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
contre 62 % il y a 10 ans |1|. En prévision de l’application des mesures néolibérales décidées par le gouvernement En Marche, le ministre de « l’action et des comptes publics » Gérald Darmanin continue de faire porter aux Français-es la responsabilité de rentrer dans les clous des critères de Maastricht et leur demande d’assumer le paiement des quelques 42 milliards d’euros d’intérêts annuels |2| et le renouvellement des 185 milliards d’euros de titres de dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque Africaine de Développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds Européen de Développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
qui arriveront à échéance en 2018 |3| (car la France fait rouler sa dette en réempruntant chaque année sur le marché des capitaux la même somme qu’elle rembourse pour ses emprunts arrivés à échéance), ajoutés aux 60 milliards d’euros qui permettent de combler le déficit primaire : « votre dette, quand un petit français naît c’est 32 000 euros par habitant, quand il travaille c’est 75 000 euros. […] La vérité c’est que nous devons faire tous collectivement des efforts et nous promettons aux Français qu’ils se feront sur des économies et pas en augmentant les impôts » |4|. Plus que de ne pas augmenter les impôts, le gouvernement promet en fait une baisse de 10 milliards d’euros d’impôts |5| sur les sociétés et le capital (allègement des cotisations patronales, suppression de l’ISF, etc). Et avec en première ligne des « efforts collectifs » qui sont présentés dans le « plan d’action pour l’investissement et la croissance » : la réforme du droit du travail |6|.

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Les 36 mesures que comptent les 5 ordonnances Macron, attaquent de front les droits des travailleur-euse-s sur au moins trois axes : elles facilitent et réduisent le coût des licenciements, permettent de casser les normes existantes afin de précariser l’emploi et ses conditions d’exercice, et bouleverse la démocratie au sein de l’entreprise, en confisquant leur pouvoir de représentation aux syndicats.

Ainsi, sous la menace d’un licenciement pour « cause réelle et sérieuse » et sans obligation de reclassement, le contrat de travail sera désormais modifiable dans toutes ses dimensions grâce aux accords de maintien de l’emploi, qui pourront être imposés dans n’importe quelle situation du moment qu’ils permettent de « répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise » |7|.

Prenant exemple sur le Portugal |8|, la réforme prévoit également un plafonnement des indemnités de licenciement, en rupture totale avec le principe de libre appréciation par le juge du préjudice subi par les salarié-e-s au regard de leur situation individuelle : au-delà de 29 ans d’ancienneté, un-e salarié-e recevra au maximum moins de deux ans de salaires |9|.

La création du « CDI de chantier » qui est un CDD déguisé inspiré du Job Act italien, permettra, quant à lui, aux employeur-euse-s d’économiser la prime de précarité en fin de contrat.

Poursuivant la poussée menée avec la loi El Khomri en 2016 visant à briser la « hiérarchie des normes », comme en Espagne, en Irlande ou en Belgique, les ordonnances dites macroniennes élargissent les possibilités de déroger aux accords de branches et conventions collectives, en permettant aux employeur-euse-s de négocier des conditions de travail et de rémunération (en plus du temps de travail depuis 2016) en dessous des standards du secteur professionnel. Affaiblissant considérablement le pouvoir des syndicats dans l’entreprise, l’employeur-euse pourra faire voter l’accord directement par les salarié-e-s dans les entreprises de moins de 20 salarié-e-s, en s’adressant à des représentant-e-s non mandaté-e-s dans les entreprises de moins de 50 salarié-e-s, ou en obtenant seulement 30 % des voix des salarié-e-s avec l’accord de certains syndicats dans les entreprises de plus de 50 salarié-e-s |10|. Dans la même veine, la durée maximale des CDD ne sera désormais plus limitée par la loi, mais négociée au sein des branches : comme en Roumanie |11|, un-e salarié-e pourra voir son CDD renouvelé pendant 5 ans au sein de la même entreprise et sur le même poste.

C’est quoi l’inversion de la hiérarchie des normes ?

À l’instar d’autres domaines du droit, le code du travail obéit à une hiérarchie précise qui organise les différentes normes, leur donne plus de valeur que d’autres. La hiérarchie des normes était la suivante : la Constitution est plus forte que la Loi > la Loi est plus forte que les accords de branches et conventions collectives > les accords de branches et conventions collectives sont plus fortes que les accords d’entreprises. Ainsi, les conditions de travail et de rémunération négociées par accord de branche ne pouvaient être moins favorables que la loi et les conditions de travail et de rémunération négociées par accord d’entreprise ne pouvaient être moins favorables que l’accord de branche.

En brisant cette hiérarchie des normes, les dernières réformes du droit du travail mises en place partout en Europe visent à faire disparaître les accords de branches et conventions collectives, et l’ensemble des acquis sociaux qu’ils permettent de défendre au sein de chaque secteur professionnel.

Se faisant, Macron applique à la lettre les recommandations qui ont été faites à la France, en 2016 par la Commission européenne, s’appuyant elle-même sur le programme des Grandes orientations de politiques économiques, élaboré en concertation avec les ministres de l’Économie et les chefs d’État européens |12|, et en 2017 par le Semestre européen, organe de surveillance des politiques économiques et budgétaires créé en 2011 |13|. Pour remplir l’objectif de réduction des déficits publics à 3 % du PIB, la France est ainsi sommée de maintenir la réduction du coût du travail, de faciliter les licenciements et les dérogations aux dispositions juridiques générales, pour flexibiliser les contrats. Fondé sur l’idée que pour rembourser la dette il faut stimuler la croissance, et que pour recouvrer la croissance économique il faut déréglementer le marché du travail, l’ajustement des économies de l’Union européenne s’est accéléré depuis la crise de 2008 |14|, et s’est appliqué avec encore plus de brutalité aux pays du Sud de l’Europe, pour qui les recommandations sont également venues de la Banque centrale européenne BCE
Banque centrale européenne La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
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… À la stratégie du choc en Grèce

En Grèce, comme au Portugal, à Chypre et en Irlande, les réformes du droit du travail de ces dernières années sont intervenues directement suite à la crise de la dette. Le démantèlement du code du travail est devenu ainsi la contrepartie à l’octroi de prêts.

En Grèce, les deux premiers memoranda, conclus respectivement en 2010 et 2012 vont s’atteler notamment à deux chantiers d’importance : la démolition du système de conventions collectives et la baisse du salaire minimum. Pour ce faire, la Troïka Troïka Troïka : FMI, Commission européenne et Banque centrale européenne qui, ensemble, imposent au travers des prêts des mesures d’austérité aux pays en difficulté. (FMI FMI
Fonds monétaire international Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 188 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

Cliquez pour plus. , Banque centrale Banque centrale La banque centrale d’un pays gère la politique monétaire et détient le monopole de l’émission de la monnaie nationale. C’est auprès d’elle que les banques commerciales sont contraintes de s’approvisionner en monnaie, selon un prix d’approvisionnement déterminé par les taux directeurs de la banque centrale. européenne et Commission européenne) a exigé d’abord la fin du système d’extension des conventions collectives à un secteur tout entier, restreignant ainsi leur périmètre d’application aux seuls employeurs membres d’associations patronales. Tandis que les syndicats se voient supprimer leur capacité à conclure des conventions collectives nationales, une nouvelle instance est créée : les associations de personnes, des groupes ad hoc d’au moins cinq personnes et à qui l’on accorde le droit (traditionnellement réservé aux organisations syndicales) de conclure des accords d’entreprise. Enfin, l’inversion de la hiérarchie des normes, qui fait primer les accords d’entreprises (pouvant donc être conclus par des associations de personnes) sur les accords de secteur et nationaux fera le reste.

Concernant le salaire minimum : pour l’ensemble des travailleur-euse-s grec-que-s, il passera de 751 euros à 586 euros bruts, à l’exception des jeunes de moins de 25 ans pour qui un salaire minimum spécifique de 510 euros est créée. Ce salaire minimum d’exception (et donc illégal) fait partie du « package » du contrat jeune imposé par la Troïka. Il prévoit une période d’essai de deux ans, l’exonération des cotisations patronales et la suppression des allocations chômage pour les travailleur-euse-s de moins de 25 ans.

Parallèlement à cela, d’autres mesures seront imposées comme la mise en place d’une période d’essai pour tous les CDI durant laquelle le licenciement se fait sans préavis, l’extension de la durée maximale des CDD de deux à trois ans, l’abolition des Prud’hommes, ou encore le travail obligatoire dans certains secteur en cas de grève.

Toutes ces réformes ont-elles permis à la Grèce de sortir de la crise ? Non, et le cas de la Grèce a au moins le mérite de fournir un démenti empirique contre le discours macronien.

Si l’on regarde chez nos voisins hellènes, il ne fait aucun doute que les réformes du marché du travail n’améliorent ni l’emploi, ni la compétitivité des entreprises. Entre 2010 et 2016, le PIB grec a chuté de 27 % et le nombre de petites et moyennes entreprises est passé de 900 000 en 2009 à 450 000 aujourd’hui |15|. Les salaires sont aujourd’hui à 75 % de leur niveau de 2010, tandis que le chômage avoisinait les 24% de la population active et les 50 % chez les moins de 25 ans en 2016 |16|.

Quant aux prétendus « gains de compétitivité », on observe que la réduction du « coût » du travail, engendrée par toutes ces réformes, ne s’est pas traduite par une baisse des prix et donc une augmentation des parts de marchés gagnées par les entreprises grecques. En revanche, le taux de marge des entreprises en Grèce a augmenté de 36 % par rapport à la moyenne des autres pays de l’OCDE OCDE
Organisation de coopération et de développement économiques Créée en 1960 et basée au Château de la Muette à Paris, l’OCDE regroupe les quinze membres de l’Union européenne auxquels s’ajoutent la Suisse, la Norvège, l’Islande ; en Amérique du Nord, les États-Unis et le Canada ; en Asie-Pacifique, le Japon, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Entre 1994 et 1996, trois pays du Tiers-Monde ont fait leur entrée : la Turquie, candidate à entrer également dans l’Union européenne ; le Mexique qui forme l’ALENA avec ses deux voisins du Nord ; la Corée du Sud. Depuis 1995, se sont ajoutés trois pays de l’ex-bloc soviétique : la République tchèque, la Pologne et la Hongrie. En 2000, la République slovaque est devenue le trentième membre.

Liste des pays membres de l’OCDE par ordre alphabétique : Allemagne, Australie, Autriche, Belgique, Canada, Corée du Sud, Danemark, Espagne, États-Unis, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Irlande, Islande, Italie, Japon, Luxembourg, Mexique, Norvège, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République slovaque, République tchèque, Royaume-Uni, Suède, Suisse, Turquie.
Site : http://www.oecd.org/fr/
 |17|. Même la Commission européenne le reconnaissait à demi-mot en 2013 : « les taux de marge ont augmenté (…) absorbant ainsi une partie de la réduction des coûts salariaux unitaires » |18|.

En absence d’une quelconque utilité économique, l’application de ces réformes, destinées à miner le droit du travail, semble être motivée par d’autres facteurs

En revanche, les conditions de travail et les droits des salarié-e-s se sont vus largement dégradés. L’inspection du travail recensait 6 500 accidents du travail déclarés en 2016 contre 5 721 en 2010 et cela malgré la réduction significative de l’activité des entreprises |19|. Alors qu’en 2009, 83 % des travailleur-euse-s étaient protégé-e-s par une convention collective, ils-elles ne sont plus que 42 % en 2013. Considérant en plus qu’en 2013 et 2014 la majorité des conventions a été conclue par des associations de personnes, parmi ces 42 % beaucoup de travailleur-euse-s sont couvert-e-s par des accords bien moins protecteurs que les conventions de secteur ou nationales |20|. Sur 200 conventions collectives avant l’arrivée de la Troïka, il n’en reste aujourd’hui qu’une petite dizaine… |21|

Un groupe d’experts indépendants invalide les réformes grecques en matière de droit du travail

Alors que les mauvais résultats en Grèce mettaient clairement à mal la pertinence des réformes imposées par les Institutions (FMI, BCE, CE et MES), celles-ci ont dû concéder, dans le troisième mémorandum, la mise en place d’un groupe d’experts indépendants pour évaluer le marché du travail grec, composé de quatre experts nommés par le gouvernement grec et de quatre autres (dont le président) désignés par les Institutions. À côté de ce groupe d’experts, le troisième mémorandum demande au gouvernement grec d’aller encore plus loin dans la « flexibilisation » du marché du travail, en libéralisant les procédures de licenciement collectif, en légalisant le lock-out |22| et restreignant le droit de grève. Des exigences dont le FMI se fait le relais le plus zélé.

Pourtant dans son rapport de septembre 2016 |23| ce groupe d’experts fait le constat que le contrat individuel règne dans l’économie grecque au détriment d’une réelle protection des droits des travailleur-euse-s. Parmi ses recommandations |24|, on trouve la nécessité de ne pas toucher au droit de grève, garanti constitutionnellement et déjà bien trop limité ainsi que le maintien de l’interdiction du lock-out, elle aussi garantie constitutionnellement. Ou encore le fait qu’un accord d’entreprise ne peut pas être moins protecteur qu’un accord national ou sectoriel.

Bien évidemment, ce rapport n’a été utilisé ni par les Institutions, ni même d’ailleurs par le gouvernement grec. Des conclusions complètement ignorées, puisque dans le cadre de la troisième revue entamée en juin 2017, le gouvernement Anel-Syriza s’est engagé à mettre en œuvre 95 mesures parmi lesquelles la « simplification » du code du travail, la modification des conditions de vote du droit de grève…


Ou comment revenir sur la distribution de la valeur

Dans un rapport de décembre 2016, l’expert de l’ONU, Juan Pablo Bohoslavsky, traite des effets de la dette extérieure sur les droits du travail |25|. Une large part y est consacrée à la dénonciation des nombreuses violations des droits de l’Homme, à commencer par les droits du travail, commises au nom du remboursement de la dette, avec le soutien sans faille des grandes institutions financières internationales. Pour beaucoup d’entre elles, les réformes du droit du travail de ces dernières années sont frappées d’illégalité, dans la mesure où elles entrent en contradiction avec plusieurs instruments de droit interne et international, voire les nient totalement. Il est évident que les exigences de la Troïka et des États créanciers violent notamment les conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail OIT
Organisation internationale du travail Créée en 1919 par le traité de Versailles, l’Organisation internationale du travail (OIT, siège à Genève) est devenue, en 1946, la première institution spécialisée des Nations unies. L’OIT réunit les représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs, dans le but de recommander des normes internationales minimales et de rédiger des conventions internationales touchant le domaine du travail. L’OIT comprend une conférence générale annuelle, un conseil d’administration composé de 56 membres (28 représentants des gouvernements, 14 des employeurs et 14 des travailleurs) et le Bureau international du travail (BIT) qui assure le secrétariat de la conférence et du conseil. Le pouvoir du BIT (Bureau International du Travail) est très limité : il consiste à publier un rapport annuel et regroupe surtout des économistes et des statisticiens. Leurs rapports défendent depuis quelques années l’idée que le chômage provient d’un manque de croissance (de 5% dans les années 60 a 2% aujourd’hui), lui-même suscité par une baisse de la demande. Son remède est celui d’un consensus mondial sur un modèle vertueux de croissance économique, ainsi que sur des réflexions stratégiques au niveau national (du type hollandais par exemple). L’OIT affirme qu’il est naïf d’expliquer le chômage par le manque de flexibilité et que les changements technologiques n’impliquent pas une adaptation automatiquement par le bas en matière de salaires et de protection sociale.
et la Charte sociale européenne. En septembre 2014, la Confédération générale des travailleurs grecs (GSEE) déposait d’ailleurs une plainte auprès du Conseil de l’Europe contre l’État grec pour non-respect de la charte sociale européenne, garantissant notamment un salaire digne, le droit de négociation, le droit de grève, un délai raisonnable de licenciement |26|. Des obligations internationales également violées par les institutions financières internationales, tenues de les respecter elles aussi lorsqu’elles accordent des prêts et imposent des réformes en contrepartie.

Sur le terrain de la théorie économique, le rapport de Juan Pablo Bohoslavsky s’avère également très utile, dans la mesure où il bat en brèche le fondement de ces réformes du droit du travail, dictées au motif qu’elles « générerai[en]t de la croissance et permettrai[en]t ainsi de prévenir ou de contribuer à enrayer les crises de la dette » (Bohoslavsky, p. 1). En effet, voici des décennies que l’OCDE, le FMI, la BM Banque mondiale
BM La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies. En 2011, 187 pays en étaient membres.

Créée en 1944 à Bretton Woods dans le cadre du nouveau système monétaire international, la Banque possède un capital apporté par les pays membres et surtout emprunte sur les marchés internationaux de capitaux. La Banque finance des projets sectoriels, publics ou privés, à destination des pays du Tiers Monde et de l’ex-bloc soviétique. Elle se compose des cinq filiales suivantes :
La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD, 189 membres en 2017) octroie des prêts concernant de grands secteurs d’activité (agriculture et énergie), essentiellement aux pays à revenus intermédiaires.
L’Association internationale pour le développement (AID, ou IDA selon son appellation anglophone, 164 membres en 2003) s’est spécialisée dans l’octroi à très long terme (35 à 40 ans, dont 10 de grâce) de prêts à taux d’intérêt nuls ou très faibles à destination des pays les moins avancés (PMA).
La Société financière internationale (SFI) est la filiale de la Banque qui a en charge le financement d’entreprises ou d’institutions privées du Tiers Monde.
Enfin, le Centre international de règlements des différends relatifs aux investissements (CIRDI) gère les conflits d’intérêts tandis que l’Agence multilatérale de garantie des investissements (AMGI) cherche à favoriser l’investissement dans les PED. Avec l’accroissement de l’endettement, la Banque mondiale a, en accord avec le FMI, développé ses interventions dans une perspective macro-économique. Ainsi la Banque impose-t-elle de plus en plus la mise en place de politiques d’ajustement destinées à équilibrer la balance des paiements des pays lourdement endettés. La Banque ne se prive pas de « conseiller » les pays soumis à la thérapeutique du FMI sur la meilleure façon de réduire les déficits budgétaires, de mobiliser l’épargne interne, d’inciter les investisseurs étrangers à s’installer sur place, de libéraliser les changes et les prix. Enfin, la Banque participe financièrement à ces programmes en accordant aux pays qui suivent cette politique, des prêts d’ajustement structurel depuis 1982.

TYPES DE PRÊTS ACCORDÉS PAR LA BM :

1) Les prêts-projets : prêts classiques pour des centrales thermiques, le secteur pétrolier, les industries forestières, les projets agricoles, barrages, routes, distribution et assainissement de l’eau, etc.
2) Les prêts d’ajustement sectoriel qui s’adressent à un secteur entier d’une économie nationale : énergie, agriculture, industrie, etc.
3) Les prêts à des institutions qui servent à orienter les politiques de certaines institutions vers le commerce extérieur et à ouvrir la voie aux transnationales. Ils financent aussi la privatisation des services publics.
4) Les prêts d’ajustement structurel, censés atténuer la crise de la dette, qui favorisent invariablement une politique néo-libérale.
5) Les prêts pour lutter contre la pauvreté.
Site : http://www.banquemondiale.org
ou encore la Banque centrale européenne défendent l’idée selon laquelle les droits du travail et les lois de protection de l’emploi sont parmi les principaux obstacles à la croissance économique Or, cette idée, « vigoureusement remise en cause par la recherche théorique », ne passe pas l’épreuve des faits (p.16). Ayant minutieusement épluché une trentaine d’ouvrages et de corpus d’études produits sur le sujet, Bohoslavsky nous rappelle tout bonnement qu’aucun élément concret ne permet d’affirmer que les réformes du marché du travail, menées dans le cadre des politiques d’austérité, contribuent à la reprise économique des pays après une crise de la dette. Tout au mieux, les études menées concluent à une absence de lien « consistant, négatif ou positif, entre les lois générales sur le travail et le chômage » (p.17). Une étude de Dean Baker publiée en 2005 sur les données de 20 pays de l’OCDE indiquait ainsi ne parvenir à démontrer aucune relation entre l’affaiblissement des institutions du marché du travail et la baisse du chômage. Une absence de résultats criante, également observable dans les rares études menées dans les pays en développement. En réalité, les chercheur-euse-s ont bien plus de facilité à prouver exactement le contraire, en identifiant les fonctions du droit du travail qui contribuent à « l’efficacité économique » : un meilleur fonctionnement du marché, la stabilisation de la demande dans les périodes de récession Récession Croissance négative de l’activité économique dans un pays ou une branche pendant au moins deux trimestres. (p.18) ou encore leur effet positif sur la répartition du revenu (p.17). Notons ainsi les résultats d’une étude menée en 2013 par Pasquale Tridico qui conclut que les pays de l’Union européenne ayant eu les meilleurs résultats pendant la crise économique de 2007 à 2011 étaient ceux dont les marchés du travail étaient les moins flexibles (p.18).

Ainsi l’experte conclut qu’en absence d’une quelconque utilité économique, l’application de ces réformes, destinées à miner le droit du travail, semblent être motivées par d’autres facteurs « tels que des préjugés idéologiques et la volonté non déclarée de revenir sur les programmes de distribution [de la richesse produite] » (p.21).


Contre l’agenda néolibéral global : auditons les dettes, renforçons les luttes

Qu’elles soient appliquées sur un court terme à la faveur d’une crise de la dette latente comme en Grèce ou bien distillées sur un plus long terme comme le recommandait l’OCDE il y a déjà 20 ans |27|, à l’instar de la France qui agite le spectre d’une crise de la dette imminente ; ces mesures d’ajustement, parmi lesquelles les réformes du travail occupent une place de choix, reposent donc sur des raisonnements fallacieux. Le rapport de l’expert ONUsien, J. Pablo Bohoslavsky vient corroborer cette analyse en fournissant de précieux arguments théoriques et empiriques à charge contre les fondements et les effets de ces ajustements menés partout dans le monde depuis des années au nom de la dette.

Les institutions financières internationales […] feront sans doute des concessions sur les questions liées au marché du travail, si elles sont confrontées à un mouvement de protestation important

Plus que jamais, il ne peut y avoir de lutte anti-austérité sans s’attaquer à la dette, sans l’auditer, sans remettre en question le pouvoir qu’elle produit. Sinon elle restera l’éternel « prétexte » à la destruction des droits des travailleur-euse-s, c’est-à-dire « la raison invoquée pour cacher le vrai motif d’une action » |28| : à savoir l’application d’un agenda néolibéral global. Une lutte anti-austéritaire qui ne peut se limiter aux arènes feutrées ONUsiennes, tant les institutions semblent sourdes aux constats économiques et aux arguments juridiques. L’expert de la dette précise d’ailleurs dans son rapport que « les institutions financières internationales sont plus sensibles qu’on ne le croit aux pressions politiques exercées par les syndicats nationaux et qu’elles feront sans doute des concessions sur les questions liées au marché du travail si elles sont confrontées à un mouvement de protestation important » (p.24).

Gardons espoir que les journées de grève et de manifestations qui se multiplient en France depuis la rentrée, et ciblent maintenant l’ensemble de la « politique libérale » et « antisociale » de Macron et sa clique (fiscalisation des cotisations chômage et maladie |29|, fusion des régimes de retraite |30|, durcissement des contrôles sur les recherches d’emploi |31|, en prélude à la destruction de la protection sociale) puissent venir à bout des velléités du gouvernement En Marche.


Avec l’aimable contribution du CADTM France. Merci à elles et eux !

Notes

|1| Thierry Breton était l’invité « inattendu » de l’Émission politique consacrée au Premier ministre du gouvernement En Marche Édouard Philippe, sur France 2, le 28 septembre 2017. La vidéo est accessible sur le lien suivant : https://www.youtube.com/watch?v=_XWyMYm1B70

|2| Les dernières prévisions du montant de la charge de la dette pour 2017 sont disponibles sur le site internet de l’Agence France Trésor, et accessibles sur ce lien : http://www.aft.gouv.fr/rubriques/charge-de-la-dette_93.html

|3| Les prévisions de financement de l’État par émissions de dette à moyen et long terme nettes des rachats sont disponibles sur le site internet de l’Agence France Trésor, et accessibles sur ce lien : http://www.aft.gouv.fr/articles/besoins-et-ressources-de-financement-de-l-etat-en-2018-et-point-sur-l-annee-2017_13044.html

|4| Gérald Darmanin était l’invité de Jean-Jacques Bourdin dans son émission de radio sur RMC le 30 juin 2017. La vidéo est accessible sur le lien suivant : https://www.youtube.com/watch?v=Sri7pmJMKbE

|5| Henri Wilno économiste membre de la Fondation Copernic, « Budget : les inégalités pour programme », Le Chiffon Rouge Morlaix. Article accessible sur ce lien : http://www.le-chiffon-rouge-morlaix.fr/2017/10/fondation-copernic-budget-les-inegalites-pour-programme-henri-wilno-economiste.html

|6| Le plan d’actions pour l’investissement et la croissance, présenté par le premier ministre en déplacement à Niort le 11 septembre 2017 est disponible sur ce lien : http://www.gouvernement.fr/sites/default/files/contenu/piece-jointe/2017/09/dossier_de_presse_-_plan_dactions_pour_linvestissement_et_la_croissance_-_11.09.2017.pdf

|7| Dan Israel, « Ordonnances : le contrat de travail n’est plus une protection », Notre dossier : Loi travail saison 2, Mediapart, 22 septembre 2017. Article accessible sur ce lien : https://www.mediapart.fr/journal/economie/dossier/notre-dossier-loi-travail-saison-2

|8| Rachel Knaebel, « Les réformes du droit du travail généralisent la précarité partout en Europe », Bastamag, 22 mars 2016. Article accessible sur ce lien : https://www.bastamag.net/Partout-en-Europe-les-reformes-du-travail-facilitent-les-licenciements-et

|9| Dan Israel, op. cit.

|10| Dan Israel et Manuel Jardinaud, « Loi travail : ce que le gouvernement fait aux salariés », Notre dossier : Loi travail saison 2, Mediapart, 31 août 2017. Article accessible sur ce lien : https://www.mediapart.fr/journal/france/310817/ce-que-le-gouvernement-fait-aux-salaries?page_article=3

|11| Rachel Knaebel, op. cit.

|12| Coralie Delaume, « Ce que la loi El Khomri doit à l’Union européenne », Figaro Vox, Le Figaro, 17 mai 2016. Article accessible sur ce lien : http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2016/05/17/31001-20160517ARTFIG00137-ce-que-la-loi-el-khomri-doit-a-l-union-europeenne.php

|13| Isabelle Schömann de l’Institut syndical européen, citée dans Rachel Knaebel, op. cit.

|14| Emmanuelle Mazuyer, directrice de recherche au CNRS, « Réforme du code du travail : Un mouvement d’ampleur en Europe depuis la crise de 2008 », Le Monde, 22 septembre 2017. Article accessible sur ce lien : http://www.lemonde.fr/politique/article/2017/09/22/reforme-du-code-du-travail-un-mouvement-d-ampleur-en-europe-depuis-la-crise-de-2008_5189903_823448.html

|15| Fabien Perrier, « En Grèce, les lois Macron avant l’heure… », Regards, septembre 2017. Accessible à : http://www.regards.fr/web/article/en-grece-les-lois-macron-avant-l-heure

|16| Wolfgang Däubler, “On the other side, you have only crocodiles : Greece under the Troika”, International Union Rights, Vol. 24, No. 1, World Bank & IMF (2017), pp. 11-13

|17| Michel Husson, « Grèce : une économie dépendante et rentière », ATTAC, avril 2015. Accessible à : https://france.attac.org/nos-publications/les-possibles/numero-6-printemps-2015/dossier-monnaie-et-finance/article/1-michel-husson-grece-pourquoi-une#t3-Les-baisses-de-salaires-n-ont-pas-ete-repercutees-dans-les-prix-a-nbsp

|18| Commission européenne, « Labour Costs Pass-through, Profits and Rebalancing in Vulnerable Member States », Quarterly Report on the Euro Area, vol. 12, n°3, 2013 ; cité par Michel Husson, op.cit.

|19| Fabien Perrier, op. cit.

|20| Wolfgang Däubler, op.cit.

|21| Amélie Poinssot, « Yorgos Katrougalos : ce qu’a produit la réforme du marché du travail en Grèce », Mediapart, septembre 2017. Accessible à : https://www.mediapart.fr/journal/economie/070917/yorgos-katrougalos-ce-qu-produit-la-reforme-du-marche-du-travail-en-grece?onglet=full

|22| Le lock-out est une procédure qui permet de fermer temporairement une entreprise, non pas pour des motifs économiques mais pour appuyer des revendications patronales lors d’un conflit. Le lock-out peut ainsi être utilisé pour « casser » une grève.

|23| Voir le rapport en question : http://www.capital.gr/content/relatedfiles/68/6898c2f55b6f4348828383f331261304.pdf

|24| Sur 12 recommandations, 8 ont été décidées à l’unanimité tandis que 4 à la majorité.

|25| Juan Pablo Bohoslavsky, Rapport de l’expert indépendant chargé d’examiner les effets de la dette extérieure et des obligations financières internationales connexes des États sur le plein exercice de tous les droits de l’homme, en particulier des droits économiques, sociaux et culturels, présenté au cours de la 34e session du Conseil des droits de l’Homme, Haut-commissariat aux droits de l’Homme, 27 décembre 2016. Le rapport en six langues sur ce site : http://ap.ohchr.org/documents/dpage_f.aspx?s=40 ; ainsi qu’en langue française sur ce lien : https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G16/441/39/PDF/G1644139.pdf?OpenElement

|26| Greek general Confederation of Labour (GSEE) v. Greece, Case No. 111/2014

|27| Chistian Morisson, « La faisabilité politique de l’ajustement », Cahier de politique économiques, OCDE, 1996, cité dans, Éric Toussaint, La Bourse ou la Vie. La Finance contre les peuples, 1998.

|28| Définition du dictionnaire Larousse.

|29| Ivan Best, « Suppression des cotisations chômage et maladie : ce que veut dire la proposition Macron », La Tribune, 08 décembre 2016. Article accessible sur ce lien : http://www.latribune.fr/economie/france/suppression-des-cotisations-chomage-et-maladie-ce-que-veut-dire-la-proposition-macron-623310.html

|30| Philippe Pihet, « Retraites : chronique d’une réforme annoncée », Miroir Social, 27 septembre 2017. Article accessible sur ce lien : http://www.miroirsocial.com/actualite/15059/retraites-chronique-d-une-reforme-annoncee

|31| Emmanuel Macron était l’invité de l’émission Grand entretien diffusé sur TF1 le 15 octobre 2017. La vidéo est accessible sur ce lien suivant : https://www.youtube.com/watch?v=orKQ_A5MFZQ

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Cette entrée a été publiée le 30 novembre 2017 par dans anticapitalisme, économie, BANQUES, capitalisme, dette.
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