Pour faire barrage au FN, on nous a demandé de voter Macron. Dix-huit mois plus tard, contesté par un mouvement social soutenu par trois quarts des Français, le gouvernement dépêche les blindés sur les Champs-Élysées. Le décès et les mutilations causés par les violences policières n’ont pas conduit le gouvernement à reculer, ni même à chercher l’apaisement. Au contraire, il poursuit une stratégie de la terreur, arrête les lycéens par centaine, menace les citoyens à coup de déclaration fracassante sur les « risques de morts » et cherche à interdire les marches pour le climat.
Pour Emmanuel Todd, les institutions de la République sont menacées. Pas par les Gilets Jaunes, mais par le pouvoir lui-même, aveuglé par une idéologie obsolète, corrompu par une oligarchie qui refuse d’acquitter l’impôt, rendu fou par l’hubris et l’arrogance propre à une classe sociale ayant perdu tout contact avec le monde réel et le peuple qu’elle est censée gouverner.
Face au risque fasciste, notre devoir est de s’opposer à un régime sur le point de basculer.
Emmanuel Macron a choisi la logique de l’affrontement. Une fois le brouillard des gaz lacrymogènes dissipé, la vérité sur les violences de samedi dernier a fini par émerger. Le gouvernement aurait orchestré les violences dans le but de discréditer le mouvement (1). Du propre aveu des forces de l’ordre, les consignes reçues exigeaient l’emploi démesuré de la force, pour faire des blessés (2). Premier signal faible qui pointe la dérive d’un régime épousant des tactiques fascistes. Cette stratégie fut relayée à outrance par la presse audiovisuelle, appelant sans cesse à la condamnation des violences des Gilets Jaunes, tout en passant les images d’émeutes en boucle. Deuxième signal faible, la presse relaye la propagande du gouvernement, au lieu de jouer son rôle de contrepouvoir. (3)
Dans une démocratie fonctionnelle, on nous aurait aussi (surtout ?) montré les images hallucinantes des tabassages en règle de manifestants pacifistes et le musée des horreurs que constituent les innombrables photos des blessures et mutilations subies par les manifestants. Mains arrachées, visages tuméfiés, jeunes éborgnés, retraités défigurés, nez cassés, chairs déchirées ; il s’agit bien là de blessures de guerre infligées par des forces de police pratiquant le tir tendu à l’aide d’armes interdites partout ailleurs en Europe. Conscient que son pouvoir ne tient que par la Police, Macron s’est empressé de promettre aux forces de l’ordre une prime exceptionnelle. Comme quoi, il est parfois possible de trouver de « l’argent magique ».
Les casseurs allaient être punis, nous a-t-on dit. La garde des sceaux supervisa elle-même les comparutions immédiates, rendant les verdicts non recevables selon un collectif d’avocat. (4) Peu importe, les juges se sont exécutés en faisant tomber une pluie de peines de prison sur la centaine de gilets jaunes tétanisés. Autant de vies brisées par une justice aux ordres du pouvoir. Troisième signal faible du glissement vers l’autoritarisme.
En vérité, c’est toute une classe sociale qui panique. Éditorialistes, magistrats, élites politiques : tous sont aux abois. Tandis qu’ils condamnent les violences à tout bout de champ, les portraits des casseurs en question viennent démontrer un nouveau mensonge journalistique : il n’y a pas de casseurs, seulement des pères de familles et pauvres gens. Une large part d’entre eux n’avait jamais mis les pieds à Paris. (5) Les témoignages des journalistes présents sur les Champs sont clairs : les forces de l’ordre ont poussé les manifestants à la violence.
Ce n’est pas le mouvement qui se radicalise, c’est le gouvernement qui radicalise le mouvement.
Dès lundi, les lycéens dont l’avenir a été détruit par Parcoursup ont commencé à rejoindre le mouvement. Ils ont été cueillis par les gaz lacrymogènes, les chiens de garde policiers et les matraques dans une débauche de violence qui a tétanisé leurs professeurs. (6) Jeudi, près d’un millier d’entre eux était placé en garde à vue. La scène de Mantes-la-Jolie fait froid dans le dos. Jugez plutôt :
Samedi s’annonce donc décisif. Après avoir tenté d’interdire la manifestation pour le climat, le gouvernement opte pour la stratégie de la terreur. Il prévient : « il risque d’y avoir des morts ». La rédaction de Médiapart, celle-là même qui fustigeait jadis les leaders politiques refusant de donner des consignes de vote pour le second tour de la présidentielle d’irresponsables « apprentis sorciers », dénonce désormais la stratégie gouvernementale de l’escalade (7). Douze blindés et l’ensemble des forces de l’ordre du pays seront déployés pour faire face à un mouvement censé s’essouffler. Les médias reprendront en boucle les scènes de violences. On déclarera l’État d’urgence malgré le fait que ses dispositions ont déjà été retranscrites dans le droit commun, et on interdira toute manifestation en attendant que les fêtes de fin d’année viennent ramener le calme. Il sera alors temps de faire voter de nouvelles lois liberticides et sécuritaires. La période qui s’ouvre est dangereuse, disait Emmanuel Todd sur France Culture, car Macron est capable de mener un véritable coup d’État.
Ses options sont limitées. Difficile d’imaginer qu’il démissionne ou dissolve l’assemblée, car cela le contraindrait à abandonner ses fameuses « réformes » auxquelles ses commanditaires tiennent tant. Il pourrait concéder certaines choses, rétablir l’ISF et transférer les 40 milliards de CICE vers la transition écologique et l’augmentation des aides sociales. La hausse du SMIC serait économiquement faisable et souhaitable. Mais toutes ces options signeraient la mort de son agenda. Adieux veaux, vaches, cochons et privatisations des systèmes de retraites et de la santé.
Et de ça, lui et ses commanditaires ne veulent pas. Comme au Brésil, l’oligarchie préfère le totalitarisme à toute remise en question, même minime, de son pouvoir.
Il faut tout de même rappeler à quel point Macron s’accroche à des totems du passé. Les autres nations ont depuis longtemps abandonné le libéralisme thatchérien qui sert d’unique horizon à Emmanuel Macron. Seules les élites parisiennes sont assez folles pour vendre l’industrie française, privatiser les barrages EDF, démanteler la SNCF lorsque le Financial Times et The Economist fustigent le bilan de ces mêmes politiques au Royaume-Uni, et vendre les aéroports de Paris.
Macron est un anachronisme, comme le détaillait Emmanuel Todd sur France Culture. Sa stratégie européenne vient de déboucher sur une véritable humiliation, la France étant le seul pays à repartir la queue entre les jambes de l’Eurogroupe sans n’avoir rien obtenu. (8) Il serait temps de tourner la page.
Macron, c’est les violences policières, l’État d’urgence dans le droit commun, les enfants migrants emprisonnés 90 jours, la criminalisation des ONG et des syndicalistes, l’Aquarius démantelé pendant que les réfugiés se noient, les câlins au dictateur et tortionnaire saoudien, le démantèlement absurde de la SNCF, la hausse des émissions de C02 de 3,2 %, la croissance économique divisée par deux, la justice aux ordres, les perquisitions des opposants politiques, la mine d’or en forêt amazonienne, l’importation massive d’huile de palme, la suppression des aides à l’agriculture biologique, la fin du CDI et une politique économique hors-sol. Alors que ses propres services démontrent le naufrage qu’est le CICE, prouvent que la suppression de l’ISF est un non-sens économique et que toutes les grandes nations abandonnent le libre-échange pour adopter une certaine forme de protectionnisme, Macron persiste (9). Sûr de son fait. Voilà la marque d’un homme fou dangereux, capable de mener le pays au chaos.
Nous écrivions récemment qu’il fallait enfiler un gilet jaune pour sauver la planète. Avant cela, il s’agit désormais de sauver notre bien le plus précieux : la démocratie.
Mettre un gilet jaune et défiler dans les rues de Paris n’est pas à la portée de tous. Mais partout en France auront lieu en parallèle les marches pour le climat. Et puis il y a les ronds-points, où l’on peut venir klaxonner en soutien, apporter du café chaud, dire merci et échanger quelques mots.
Sources :