Force ouvrière a déjà choisi une date : le 21 septembre, le troisième syndicat de France battra le pavé pour s’opposer au régime universel par points défendu par l’exécutif. «S’il faut aller à la grève d’ensemble [générale, ndlr] pour préserver la retraite et la protection sociale, FO y est prête et déterminée», explique Yves Veyrier, le secrétaire général de la centrale, dans un éditorial. Mais ce «rassemblement d’ampleur nationale» voulu par FO n’a encore reçu le soutien d’aucune autre centrale. Pour Philippe Martinez (CGT) – qui n’a, pour l’heure, annoncé aucune date -, il faudrait «plusieurs journées» de mobilisation fédérant «tous les mécontentements» à la rentrée. Loin de vouloir cantonner la riposte à la réforme des retraites, la CGT voudrait l’étendre à toute la politique «antisociale» du gouvernement. Mais un tel élargissement risque de braquer d’autres centrales. «On discute», assure le cégétiste, qui souhaite que les syndicats trouvent «un terrain d’entente pour dire que ça suffit». C’est, a-t-il expliqué sur Sud Radio, «le grand défi de la rentrée». Mais il reste du chemin.
La colère, certes, grimpe du côté des syndicats, agacés par un calendrier de la réforme devenu aussi incertain que son contenu. En cause, notamment : les bruits de couloir sur un possible allongement par l’exécutif de la durée de cotisation, avec un passage à 172 trimestres dès cet automne. «Un tel changement touche[rait] aujourd’hui plus rapidement ceux qui sont en perspective de pouvoir partir bientôt à la retraite, et va toucher les générations futures tout le temps. Et ça, c’est grave», prévient Veyrier.
Un scénario qui fait aussi bondir la CFDT, jusqu’alors plutôt ouverte à l’idée d’une réforme par «points». Toucher aux «mesures d’âge», et notamment à la durée de cotisation, sera une «ligne rouge» pour la centrale, prévient Frédéric Sève, en charge du dossier pour la CFDT. Pour le cédétiste, le nouveau calendrier de la réforme, qui laisse «plus de temps» pour «discuter sur pièce» des propositions que Delevoye doit faire d’ici mi-juillet, est une «très bonne chose». Mais il ne cache pas son inquiétude face aux récentes préoccupations financières du gouvernement autour de la question de la dépendance. «Tout mélanger, ça rend la réforme Delevoye politiquement infaisable», souligne le syndicaliste.
Pour autant, la centrale, soucieuse de préserver le dialogue social – ou du moins ce qu’il en reste – est encore loin d’envoyer ses troupes dans la rue. «Nous ne serons pas de ceux qui diront que tout est à jeter et qu’il faut déjà faire des mobilisations sur une réforme dont on ne connaît même pas le début», expliquait mi-juin à Libé Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT. Lequel garde un souvenir amer des mobilisations de 2010 contre une énième réforme des retraites. «Le dernier grand échec syndical», résume-t-il. Prudence donc, même si rien n’est exclu : «Si le gouvernement a la même logique à l’égard de nos propositions que sur le précédent dossier [l’assurance chômage], c’est-à-dire d’en avoir rien à faire, évidemment, nous serons en opposition», poursuit-il. Pour l’heure, le camp des réformistes attend surtout d’y voir plus clair. «C’est le bordel généralisé», résume Dominique Corona, de l’Unsa qui réclame des éclaircissements. «Je demande à ce qu’Agnès Buzyn [la ministre de la Santé] nous reçoive et nous présente ce que le gouvernement compte faire !» s’agace-t-il. Et d’ajouter : «Si, en pleine concertation, on nous colle une réforme « paramétrique », où est la confiance après ?»
L’idée d’un passage brutal à 172 trimestres de cotisation passe aussi très mal à l’Unsa : «On toucherait de plein fouet à des gens qui sont à cinq ans de la retraite ! En fait, le gouvernement finance les mesures gilets jaunes par les gilets jaunes», poursuit Corona. Même son de cloche, à FO. «C’est pour récupérer de l’argent ! Le gouvernement change de doctrine : la retraite devient une variable d’ajustement comptable du budget général», s’agace Philippe Pihet (FO), qui crie à l’«enfumage» et se félicite d’avoir claqué dès avril la porte de la «concertation».
En attendant un encore très incertain front commun syndical, la CGT tente d’avancer sur un autre terrain : la bataille de l’information. Fin mars, la centrale a entamé une campagne de mobilisation intitulée «Pas de hasard pour ma retraite». Cette semaine, c’est au tour de la CGT des cadres (Ugict-CGT) de lancer son site web de décryptage de la réforme, comprenant un «comparateur avant-après» ou encore un «décodeur»du programme du gouvernement. Un outil pour mobiliser massivement en ligne. A défaut, pour l’heure, d’attirer les foules dans la rue.
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