Il y a soixante-quinze ans, Paris fêtait sa libération. Parmi les soldats français qui défilent alors, aucun combattant noir. Une discrimination appelée « blanchiment », exigée par l’état-major américain.
Il y a soixante-quinze ans, Paris fêtait sa libération, et la fin de quatre années d’occupation nazie. Le 25 août 1944, la capitale organisait même une cérémonie d’hommage à la division blindée qui a libéré Paris, celle du général Leclerc. Une 2e division blindée (DB) devenue célèbre, avec les chars et ses 16 000 hommes. Mais les images de l’époque ne montrent étrangement pas un seul combattant noir, alors que les troupes coloniales ont formé une part importante des Forces françaises libres. La raison en est le « blanchiment » de troupes, opéré par les armées américaines, britanniques et françaises à plusieurs reprises au XXe siècle.
Il consiste à remplacer les soldats noirs par des soldats blancs. Un « blanchiment » exigé en 1944 par l’armée américaine, qui forme et équipe la 2e DB. Explications, avec Raffael M. Scheck, professeur d’histoire moderne au Colby College (Etats-Unis).
Plaque commémorative en mémoire des troupes coloniales à Champagne-au-Mont-d’Or.
Le blanchiment des troupes coloniales consiste dans le retrait des troupes coloniales des premières lignes des défilés de victoires, voire leur rapatriement en Afrique après qu’elles ont participé à la campagnes d’Afrique et à la
Durant l’automne 1944, sur ordre du général de Gaulle, les 15 000 tirailleurs sénégalais des 9e division d’infanterie coloniale et 1re DMI sont remplacés (« blanchis ») par des FFI au sein de la 1re armée française1.
Après le débarquement de Provence, les soldats noirs sont volontairement retirés des troupes françaises à la suite d’un mémo du chef d’état major américain, Walter B. Smith, qui voulait une séparation identique à celle pratiquée dans les régiments de G.I., où les Noirs ne combattaient pas aux côtés des Blancs jusqu’aux derniers moments de la guerre2. Cantonnés à Toulon, puis renvoyés en Afrique, les soldats noirs ont été remplacés par des recrues blanches issues de la Résistance. Concernant les tirailleurs nord-africains, la relève ne se fit que partiellement à partir de janvier 1945 lorsque, dans chaque division de l’Armée d’Afrique, un régiment FFI remplaça un régiment d’Afrique du Nord3. Cependant, de nombreuses unités de tirailleurs continuèrent le combat durant l’hiver 1944 dans les Vosges, ainsi qu’en avril 1945 dans la réduction de la poche de Royan4 et plusieurs unités défilèrent le 18 juin 1945 sur l’avenue des Champs-Élysées à Paris5.
Lors de la première exposition photographique consacrée à la Libération de Paris présentée le 11 novembre 1944 au musée Carnavalet, il est probable qu’aucun Noir n’ait été présenté (deux des panneaux d’exposition n’ont pas été photographiés) alors que dans le fonds ayant alimenté l’exposition un seul cliché intègre un soldat noir6. La présence de rares soldats noirs est cependant attestée en août 1944 à Paris, dont Claude Mademba Sy, tirailleur sénégalais qui jouissait d’un statut de citoyen français et non de citoyen de l’empire, Georges Dukson, un Gabonais membre des FFI et une femme en uniforme dont l’identité est inconnue6.
Raisons du blanchiment
Dans son documentaire Le Blanchiment des troupes coloniales7, le réalisateur Jean-Baptiste Dusséaux montre que l’armée française a préféré se priver de vingt mille combattants aguerris — au grand dam de certains officiers — plutôt que d’associer des hommes noirs à la Libération. Un film de propagande justifie ce choix par le climat : « Les frères de couleur vaincus par l’hiver ! » alors que l’état-major craint pour le prestige de la 1re armée et voit comme une « atteinte à l’ordre colonial » le contact entre soldats noirs et femmes blanches7.
Le blanchiment aurait été également un moyen pour le général de Gaulle de contrôler les ex-FFI, en les incorporant dans l’armée régulière (sic !)
Les raisons exactes du blanchiment sont mal analysées. Pour l’historienne Christine Levisse-Touzé, il serait « éminemment faux que de Gaulle ne voulait pas de Noirs aux portes de Paris », appuyant son argument sur le défilé du 18 juin 1945 : les troupes de l’empire colonial étaient présentes, alors qu’en 1943 et 1944 les Forces Françaises Libres étaient soumises aux ordres des Américains, dont l’armée fut ségréguée jusqu’en 19486.
Notes et références
↑ « (…) de novembre 1944 à mars 1945, le nombre d’autochtones rapatriés en AOF (Afrique-Occidentale française) (…) s’élève à 9 678, soit 3 261 ex-prisonniers et 6 334 rapatriés de France (…) », in Gilles Aubagnac, « Le retrait des troupes noires de la 1re Armée », Revue historique des armées, no 2, 1993, p. 34-46.
↑ Mike Thomson, Paris liberation made ‘whites only’, Document, BBC Radio 4, lire en ligne
↑ Brahim Senouci, Préface de Stéphane Hessel, Algérie, une mémoire à vif : Ou le caméléon albinos, L’Harmattan, 2008, page 84 [1]
↑ « Le Bataillon de marche de l’Oubangui-Chari et la libération de Royan , 21 septembre 2010
↑ Bilan de la Seconde Guerre mondiale, RFI, 10 mai 2010, lire en ligne
↑ a b et c Luc Briand et Aude Deraedt, « Libération de Paris : pourquoi il n’y a (presque) pas de Noirs sur les photos , sur liberation.fr, 25 août 2014 (consulté le 31 août 2018)
↑ a et b Isabelle Poitte, « Le blanchiment des troupes coloniales , telerama.fr, 9 juillet 2016 (consulté le 27 mai 2017)
↑ Julien Masson, « Mémoire en marche : Sur les traces des tirailleurs sénégalais de 1939-1945 sur RFI, 2016