« Il n’y a ni justice ni liberté possibles lorsque l’argent est toujours roi. »,
Albert Camus dans Combat.
Les élites tentent de se servir de la crise pandémique pour avancer des
projets qu’elles gardaient dans les tiroirs jusque là et qui sont le fruit d’une
logique libérale qui fait la part belle aux entreprises privées et réduit l’individu à
sa fonction productive. Dans l’Education, cela se traduit par la volonté affichée
d’introduire en force les « outils » du numérique, projet qui n’a rien de neutre.
Une vieille lubie…
Le projet politique libéral porté par le gouvernement est essentiellement issu des
réflexions de l’Institut Montaigne. Cet institut a été le laboratoire à idées de la campagne
présidentielle de « En marche »1. Il a été récompensé par l’attribution du ministère de
l’Education Nationale à Jean-Michel Blanquer2 : au moment de sa nomination, celui-ci
siégeait au comité directeur de l’officine de l’institut, spécialisée dans les questions
d’Education, « Agir pour l’école ».
Dès 2016, on pouvait connaître les intentions de ce courant politique : introduire
massivement les neurosciences et les outils du numérique dans l’Education. Le café
pédagogique constatait à l’époque « L’idée de l’Institut est simple : il existe des méthodes
pédagogiques efficaces, nous les connaissons, il suffit de les dupliquer. D’où la proposition
d’utiliser le numérique pour diffuser les meilleures pratiques pédagogiques avec l’aide
d’enseignants volontaires ». La mise en place par Jean-Michel Blanquer d’un conseil
scientifique dont la vocation est de chapeauter les enseignants dans leur mission
pédagogique, au nom de la science, va dans le même sens. Dès sa mise en place, ce conseil a
tenté de réduire l’enseignement aux neurosciences et au développement du numérique3 tout
en niant l’aspect humain, la dimension sociale, ainsi que l’apport des sciences de l’éducation4.
Cette vision écarte toute liberté pédagogique : les « expérimentations » d’ « Agir pour
l’école » imposent aux enseignants une méthode prescriptive, « ici la technique pédagogique
prime »5. En clair les enseignants sont là pour appliquer une méthode infaillible, puisque
scientifique. Ils seront au service de « process » éducatifs et les outils du numérique vont
permettre – de surcroit – de réduire leur nombre, accroître leur productivité (plus de travail et
plus d’élèves par prof) tout en les remplaçant, dans de nombreux cas, par des personnels
moins qualifiés et donc moins « chers ».
Parmi les conséquences de cette entrée du numérique, on peut citer la marchandisation
de l’Education avec la part belle qui est déjà faite aux entreprises privées qui délivrent les
logiciels et s’apprêtent à en fournir d’autres, « complémentaires », aux parents (Pronote
1 A ce propos :https://www.mediapart.fr/journal/france/240717/laurent-bigorgne-et-l-institut-montaigne-les-cerveaux-de-lamacronie?
onglet=full
3 Pour s’en convaincre il suffit de lire la brochure de présentation du Conseil scientifique :
file:///C:/Users/Philippe/Downloads/CSEN-membres-10-janvier-2018-brochure_876730.pdf
4 Pour des points de vue critiques sur l’instrumentalisation des neurosciences par les libéraux dans l’Education,
on peut lire : https://www.liberation.fr/debats/2018/01/19/stanislas-morel-les-neurosciences-illustrent-la-depolitisationactuelle-
de-la-question-scolaire_1623801 et le livre très averti : « Neuropédagogie, le cerveau au centre de l’école », M. Blay et C. Laval, Tschann & Cie., mars 2019
5http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2016/03/07032016Article635929316548206139.aspx
commence des campagnes de publicité en ce sens) ; le flicage des élèves et des enseignants (le
Rectorat a accès à Pronote, par exemple) ; le remplacement des enseignants par des
enseignants virtuels ; la mise en place de cours magistraux en ligne réduisant le travail de
l’enseignant dans sa classe au rôle d’un aide aux devoirs ; la passation de certaines épreuves
par vidéotransmission et gérée par des boîtes privées (nous y sommes déjà en langues).
Les aspects financiers sont évidemment au coeur de cette politique. C’est une manne
d’argent colossale pour les boîtes privées6. Plusieurs conflits d’intérêts ont déjà été révélés7.
Mais c’est aussi une manière de réduire à peau de chagrin les effectifs de fonctionnaires.
L’Institut Montaigne milite depuis toujours pour l’augmentation du temps de travail des
fonctionnaires et la réduction drastique des effectifs. Lorsque l’on consulte le site de l’IFRAP
– un autre Institut libéral lié au pouvoir8 – qui milite également pour l’introduction du
numérique afin de transformer l’enseignement, on peut lire l’interview de Jean-Michel
Fourgoux, député des Yvelines – et membre de cet institut – qui annonçait déjà en 2012 :
« « Il serait nécessaire de s’interroger réellement sur le statut des enseignants […] afin de
l’adapter à la réalité : aujourd’hui, de trop nombreuses activités […] sont exclues de la
définition réglementaire du service des enseignants ». Il s’agirait par exemple d’introduire
un quota de travail en ligne dans la durée légale de travail, prenant la forme de tutoriaux
web ou bien du développement de ressources pédagogiques. »9
« Transformer les difficultés en opportunités ».
L’utilisation de la pandémie par les élites pour appliquer leurs politiques de prédation
relève de la stratégie des chocs10. C’est également l’application d’un principe bien connu de
management : étudier chaque situation nouvelle pour avancer dans les objectifs préfixés11.
C’est qu’il y a bien longtemps que les méthodes de manipulation des salariés sont appliquées
dans la fonction publique.
Dans l’Education Nationale, les intentions des élites sont limpides. L’institut Montaigne
propose une hausse du temps de travail des enseignants, sans contrepartie, et même la
suppression du jeudi de l’ascension et d’une semaine de vacances à la Toussaint12. Alain
Bouvier prévoit que « l’on va privatiser l’éducation »13. Et Jean-Michel Blanquer d’annoncer
que l’école de demain sera à distance et d’expliquer que cette crise « est l’occasion de
moderniser le système éducatif ».
6 Déjà en 2017, le site « Capital avec Management » s’enthousiasmait sur le sujet : https://www.capital.fr/votrecarriere/
ces-entreprises-qui-preparent-l-education-du-futur-1223712
7 Pour se faire une idée là-dessus, il est possible de consulter, entre autres, les articles de Question de classe(s) :
https://www.questionsdeclasses.org/?Bienvenue-dans-le-meilleurs-des et https://www.questionsdeclasses.org/?Faire-entrer-lecole-
dans-l-ere-du ou encore mediapart qui tirait la sonnette d’alarme lors de la mandature précédente :
8 Christophe KERRERO, directeur de cabinet de Blanquer siège au Conseil Scientifique de l’IFRAP,
http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2020/05/11052020Article637247793272742622.aspx
9 https://www.ifrap.org/education-et-culture/apprendre-autrement-lere-du-numerique
10 « La « doctrine du choc » est la stratégie politique consistant à recourir à des crises à grande échelle pour
faire avancer des politiques qui aggravent systématiquement les inégalités, enrichissent les élites et affaiblissent
les autres. », Naomi Klein in https://www.pressegauche.org/Les-elites-profitent-des-crises-pour-adopter-des-politiquesqui-
aggravent
11 Un exemple parmi d’autre de stage de management d’apprentissage de cette méthode :
12 On peut se référer aux articles suivants : https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/05/06/l-institut-montaignesouhaite-
une-augmentation-du-temps-de-travail-pour-rebondir-face-au-covid-19_6038851_823448.html et https://www.lacroix.
com/Economie/France/Le-think-tank-lInstitut-Montaigne-preconise-daugmenter-temps-travail-2020-05-06-
1201092945
13 http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2020/03/19032020Article637202010670285077.aspx
L’intérêt de la pandémie a été d’imposer une situation nouvelle que personne ne pouvait
contester : il fallait s’adapter. Aujourd’hui, il s’agit de transformer en habitude cette
adaptation temporaire à des conditions exceptionnelles. Et le ministre compte sur les
méthodes de management que nous subissons pour nous conduire au consentement.
Car ces méthodes ont fait leurs preuves. Le précurseur en la matière a commencé à
travailler sur le sujet dans les années 30, il s’appelle Reinhard Höhn. En matière de
management de la fonction publique, son objectif était simple : faire plus avec moins
d’hommes. Pour cela, il a imaginé – avec d’autres – une conception du travail où le salarié
consent à son sort parce qu’il est placé dans un espace de « liberté » et « d’autonomie » qui le
« responsabilise » : « Assuré de l’autonomie des moyens, sans pouvoir participer à la
définition et à la fixation des objectifs, l’exécutant se trouvait d’autant plus responsable – et
donc, en l’espèce coupable – en cas d’échec de la mission »14. Cette théorie, que le général SS élabore pour le III° Reich, il l’enseigne après la guerre dans « l’Académie des cadres » de Bad Harzburg qu’il a créée et qu’il dirige pour « développer et enseigner les formes de gestion des ressources humaines les plus adaptées à notre temps ». L’école allemande de management devient une référence internationale et ses théories de « management par délégation de pouvoir » participent aux réflexions des penseurs du management des années soixante qui débouchent sur les modèles de management par objectifs ou par le sens.
Il suffit de consulter les pages officielles du ministère pour comprendre que ce sont ces
théories qui prévalent dans le traitement des « ressources » humaines dans l’Education
Nationale15. D’ailleurs, un livre écrit sous la direction d’Alain Bouvier figure dans les
références de l’Institut des Hautes Etudes de l’Education et de la formation, son titre : « Les
paradoxes du management par le sens »16. Il n’est pas question ici de faire une étude
exhaustive de ces modèles de management mais simplement de prendre conscience de la
manière dont on nous manipule17.
L’autonomie des établissements, les consultations en tout genre, les politiques d’objectifs et de projets sont des applications très concrètes de cette forme de gouvernance. Ne pouvait-on pas lire dans le programme du candidat Macron cette promesse : « Les chefs d’établissement et leurs équipes pédagogiques auront davantage de liberté dans l’élaboration de leur projet pédagogique en contrepartie d’une responsabilisation accrue et d’une évaluation plus régulière » ? L’administration fixe les missions, évalue et contrôle l’atteinte des objectifs fixés, les salariés ont « la liberté » de choisir les voies pour y arriver. « La méthode de Bad Hazburg, comme les méthodes de management par objectifs qui lui sont apparentées, repose sur un mensonge fondamental, et fait dévier l’employé, ou le subordonné, d’une liberté promise vers une aliénation certaine, pour le plus grand confort de la direction qui ne porte plus elle seule la responsabilité de l’échec potentiel ou effectif. La conséquence (…) de cette perversion est tout sauf théorique : ne jamais penser les fins, être cantonné au seul calcul des moyens est constitutif de l’aliénation au travail dont on connaît les symptômes psychosociaux : anxiété,
14 « Libres d’obéir. Le management du nazisme à aujourd’hui », Johann CHAPOUTOT, Gallimard, 2020.
15 « Le chef d’établissement doit s’assurer de la coopération des enseignants par usage des valeurs et de mécanismes relationnels et ce conformément à la théorie des stakeholders », « Les Pratiques managériales dans les EPLE et implication des enseignants » Sandrine FOURNIER dans « Gestion et management public 2015/2
(Volume 3 / n° 4), pages 27 à 48, cette théorie de Freeman est partie intégrante de ces méthodes.
16http://www.ih2ef.education.fr/fr/ressources-par-type/detail-d-une-ressource/?idRessource=1687&cHash=406e02df4a&p=1
17 Pour ceux qui voudraient encore croire que ces méthodes sont des initiatives sincères de « démocratie participative », il suffit de consulter les formations qui les accompagnent pour être vacciné. Sur les efforts de concertation, on peut lire, par exemple : « Tout le monde ne voudra pas jouer le jeu mais ce n’est pas votre objectif.
Votre but est de permettre à vos alliés et ceux qui ont des idées de pouvoir s’exprimer et s’impliquer dans votre projet.
N’oublions pas que le but du jeu est de convertir les 61% de non engagés en engagés. Laissez les opposants là où ils sont.
Lorsque la « masse critique de succès » sera atteinte, les opposants à la nouvelle culture managériale n’auront plus d’autre que choix que d’adhérer ou de se démettre. » in https://www.journaldunet.com/management/ressources-humaines/1144554-
les-pratiques-manageriales-les-plus-innovantes-du-monde/
épuisement, « burn out » ainsi que cette forme de démission intérieure que l’on appelle
désormais le « bore out » »18
Ce sont les mêmes méthodes, au fond, que subissent également nos élèves avec le nouveau
baccalauréat et Parcoursup. Et les mêmes pathologies se développent parmi eux. A coup sûr,
une fois encore, l’administration va nous solliciter pour « inventer » l’école hybride
« distanciel/présentiel », l’école du numérique sans que nous discutions de son bien fondé.
Et pourtant, l’essentiel est bien là.
Quelle école pour quelle société ?
Le 14 mai dernier, le café pédagogique publiait une tribune de quinze hauts fonctionnaires
du ministère de l’Education Nationale qui dénonçait la politique réactionnaire de Jean-
Michel Blanquer, issue d’une « pensée conservatrice et néolibérale sommaire », son
scientisme, son double discours permanent et la mise au pas du ministère : « Nous
observons, consternés, un système éducatif détourné de ses fondements républicains et de
ses valeurs et ne pouvons nous taire (…) Les neurosciences (et encore, une école
particulière) sont érigées au rang de nouvelle doctrine pédagogique au détriment du savoir faire des enseignants et des personnels d’encadrement de terrain ; elles se substituent ainsi
à la compréhension des enjeux culturels, sociaux et cognitifs des apprentissages scolaires.
Le numérique éducatif, alpha et oméga de la pensée pédagogique actuelle, sert de cheval de
Troie pour infiltrer les pratiques pédagogiques et offrir l’échec scolaire en marché aux
éditeurs numériques et opérateurs privés. Les annonces récentes du Ministre au moment du
déconfinement sur l’importance future de l’enseignement à distance vont bien dans ce
sens. »19.
Sur le plan strictement pédagogique, de nombreuses voix remettent en question l’efficacité
du numérique et des neurosciences pour endiguer l’échec scolaire. Si ces outils peuvent
amener quelques évolutions dans la pratique pédagogique, leur accorder une place centrale
relève effectivement de l’idéologie et d’un certain scientisme20. Par ailleurs, on ne compte
plus les études qui s’entendent pour admettre que l’entrée du numérique va accroitre les
inégalités sociales21.
Certains partisans de cette « nouvelle école », comme Alain Bouvier,
prévoient même : « que l’État sera toujours soucieux d’accompagner les élèves les plus
défavorisés. Mais il pourra progressivement lever le pied sur les autres populations
scolaires capables de bénéficier de ressources variées. »22 Quant à l’exposition intensive des
enfants aux écrans : que penser de ces patrons du net, Bill Gates en tête, qui interdisent les
écrans à leurs enfants et les inscrivent dans une école non connectée de la Silicon Valley23 ?
C’est donc de la question politique qu’il faut d’abord traiter pour bien identifier le projet
de société que l’on essaie de nous imposer, sans passer par un débat transparent. « Gérer la
18 « Libres d’obéir. Le mangement du nazisme à aujourd’hui », Johann CHAPOUTOT, Gallimard, 2020, page 115.
19 http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2020/05/14052020Article637250435761243497.aspx
20 On trouve de nombreuses analyses sur le sujet. On peut par exemple consulter les articles de Philippe
MEIRIEU « La pédagogie et le numérique : des outils pour trancher ? » http://meirieu.com/ARTICLES/pedagogienumerique.
pdf ainsi que « « L’école d’après »… avec la pédagogie d’avant ? » paru dans le café pédagogique :
http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2020/04/17042020Article637227058065674645.aspx ou encore
l’interview de Gérard POMMIER : https://www.lepoint.fr/sante/les-neurosciences-d-un-point-de-vue-educatif-neservent-
a-rien-24-03-2018-2205198_40.php
21 En 2016 déjà des études abordaient le sujet (https://rue89bordeaux.com/2016/08/ecole-numerique-creuse-lesinegalites/)
et la période de confinement les a confirmées, par exemple : https://www.lejdd.fr/Societe/jai-pris-trop-deretard-
quand-la-fracture-numerique-et-le-confinement-creusent-les-inegalites-scolaires-3961067 et
22 http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2020/03/19032020Article637202010670285077.aspx
et-les-reseaux-a-leurs-enfants_2514445.html
Gérer la France comme une entreprise 24…
Voilà le projet avoué d’Emmanuel Macron. C’est dire combien il faut prendre au sérieux les méthodes managériales à la mode car elles ont pour vocation à s’étendre à tous les secteurs de la vie. Et il n’est pas étonnant qu’un nazi (qui n’a jamais rien renié de sa pensée) ait pu si facilement s’intégrer dans ce courant managérial libéral. A l’exclusion du racisme, le nazisme connait de nombreux points de convergences avec le libéralisme le plus radical notamment l’eugénisme et le darwinisme social.
Les élites en place partagent ces théories. En janvier 2019, l’eugénisme numérique était
défendu par le transhumaniste Laurent Alexandre lors d’un colloque devant les futures élites
de la nation, les élèves des trois grandes écoles de la République : Polytechnique,
CentraleSupelec et Normale Sup. Ils apprenaient que c’était la solution « pour en finir avec
les gilets jaunes »25, c’est-à-dire avec les populations déclassées. L’évènement était parrainé
par la députée LREM de l’Essonne, Amélie de Montchalin.
Sélectionner les hommes pour ne garder que les plus performants, considérer une part
entière de la population comme parasitaire, c’est bien la pensée sous-jacente aux déclarations
du président lui-même quand il fustige « ceux qui ne sont rien », « les feignants et les
cyniques » qui profitent des minimas sociaux « qui coûtent un pognon dingue ». Le
darwinisme social, cette théorie selon laquelle «il existe en permanence une classe inférieure
de pauvres, composée de personnes héréditairement sous-douées et condamnées
inévitablement à ce destin pour cette raison biologique »26 apparaît clairement dans les
interventions qui ont accompagné le projet de reforme de la Recherche : « Il faut une loi
ambitieuse, inégalitaire – oui, inégalitaire, une loi vertueuse et darwinienne, qui encourage
les scientifiques, équipes, laboratoires, établissements les plus performants à l’échelle
internationale, une loi qui mobilise les énergies. »27
Et même si Emmanuel Macron ne l’avoue pas publiquement, on retrouve une analogie entre sa parole politique et ce courant de pensée au point que le très bien pensant site Atlantico en vient à s’interroger : « Le macronisme ou le stade ultime du darwinisme ? ». Le darwinisme social touche au coeur de la pensée libérale car il justifie les inégalités sociales (ce sont les plus intelligents et les plus méritants qui réussissent) tout en prônant « l’abandon » des populations marginalisées.
Malthus considérait déjà qu’il n’y avait pas de place pour tous « au banquet de la vie »28.
Derrière cette vision de la société, se cache une vision de l’homme qui est réduit à sa
fonction productive. Un simple rouage de la machine économique, elle-même soumise à la
sacro-sainte loi du marché. « La loi du marché nous régit et est appelée à se réaliser telle
quelle dans l’histoire. Elle ne saurait faire l’objet d’un débat démocratique. Et contrairement
aux citoyens d’une République, les « clients et « consommateurs » qui forment les sujets de
l’époque, subordonnés à cet ensemble de lois économiques, ne décident nullement de ces
dernières (..) Tout doit concourir à « aider les entreprises à faire des marges » ; il s’agit de
l’unique finalité »29. Et peu importe, comme le souligne Johann Chapoutot, que « Discipliner
les femmes et les hommes en les considérant comme de simples facteurs de production et
dévaster la Terre, conçue comme un simple objet, vont de pair ». De là à penser que les
droits d’un Homme sont déterminés par ses performances, il n’y a qu’un pas. Un pas vite
comme-une-entreprise-144595.html
polytechnique
26 « La mal-mesure de l’homme », Stephen JAY GOULD, 1981, cité dans un article du site « Contretemps » :
6021868_3232.html
28 « Un homme qui est né dans un monde déjà occupé, si sa famille n’a pas les moyens de le nourrir ou si la
société n’a pas besoin de son travail, cet homme n’a pas le moindre droit à réclamer une portion quelconque de
nourriture, et il est réellement de trop sur la terre. Au grand banquet de la nature, il n’y a point de couvert mis
pour lui. La nature lui commande de s’en aller, et elle ne tarde pas à mettre elle-même cet ordre en exécution » in
« Essai sur le principe de population », Thomas Robert MALTHUS, 1798.
29 « Le totalitarisme pervers », Alain DENEAULT, Editions Rue de l’échiquier, 2017.
franchi… Que penser du tri des malades qui a été opéré dans le grand-Est et en région
parisienne en pleine crise du COVID-1930 ? Est-ce là la société que nous voulons ?
La transformation de l’école que veut réaliser Blanquer avec son introduction du
numérique est un élément clé pour imposer le projet libéral à l’ensemble de la société. Les
salariés de l’Education Nationale, les enfants et leurs parents seraient plongés dans un
univers où l’éducation ne serait plus un droit mais un privilège, où les méthodes perverses de
management par objectifs seraient omniprésentes et où la recherche des solutions
individuelles tant au niveau des promotions, de l’obtention de places dans les bons collèges –
pour les enfants comme pour les enseignants – la réussite des scolarités et des carrières
obéiraient à la loi du plus fort et tant pis pour les faibles. Dans cette école, tout le monde
serait soumis au stress et aux attitudes déloyales et l’on peut se demander si l’on voudrait
même de la vie de ceux qui seraient les gagnants. Cette « école » que l’on veut bâtir sous nos
yeux doit être un pilier d’une société basée sur les mêmes « valeurs ». Alors que la crise
pandémique nous montre combien le libéralisme est un système mortifère, et à terme
condamné, tandis que ses conséquences sociales et écologiques sont dramatiques, comment
pourrions-nous participer à la mise en oeuvre d’un tel projet ? Est-ce là la vie que nous
voulons pour les enfants et pour nous-mêmes ? Non. Il suffit simplement de dire non, car
rien ne peut se faire sans nous, puisque c’est nous qui travaillons…
Le 24 mai 2020, Jipé.
30 https://paris-luttes.info/covid-19-non-au-darwinisme-social-13890