27 DÉCEMBRE 2020 PAR FRANÇOIS BONNET
Ils ont été les bâtisseurs du Parti communiste. Quand tant d’autres ont été éliminés ou ont claqué la porte, Marcel Cachin, Eugen Fried et Maurice Thorez sont restés au sommet jusqu’à leur mort. Le prix ? Tout accepter : les ignominies staliniennes et les volte-face de Moscou.
Voilà trois hommes radicalement différents. Ils n’ont en commun qu’une intelligence vive, une passion dévorante de la révolution et une force de travail peu commune. Tous les trois ont accompagné la bolchévisation puis organisé la stalinisation accélérée du Parti communiste. Ils sont passés à travers toutes les réorganisations, les crises, les purges et les changements de ligne décidés par le Komintern, cette direction de la Troisième Internationale basée à Moscou, capitale de la révolution mondiale.
En 1920, Marcel Cachin a déjà 51 ans et pourrait presque faire figure de notable socialiste. Il est député depuis 1914, directeur de L’Humanité depuis 1918 et pilier du centre du parti.
En 1920 toujours, voilà Maurice Thorez. Il n’a que 20 ans, vient de rejoindre le Comité pour la Troisième Internationale et se distingue déjà comme un activiste averti dans le bassin minier du Pas-de-Calais.
Cette même année, Eugen Fried, 20 ans lui aussi, est un jeune révolutionnaire juif de la minorité hongroise en Tchécoslovaquie. Il va participer à la fondation du Parti communiste de Tchécoslovaquie (PCT), en septembre 1921, et siéger à son comité central. Dix ans plus tard, il sera en France l’ombre agissante de Maurice Thorez, son double. Et ce, jusqu’à son assassinat à Bruxelles, en août 1943, par la Gestapo.
Marcel Cachin en 1925. © (dr)
Ces trois hommes incarnent les trois facettes de ce que fut le Parti communiste. Cela explique pour une part leur exceptionnelle longévité. Marcel Cachin installe la filiation avec le socialisme révolutionnaire français hérité de 1789. Il a été un partisan inconditionnel de Jules Guesde et un militant du Parti ouvrier français dès 1892. Licencié de philosophie, passionné de peinture, orateur hors pair et homme de réseaux, il est parfaitement à l’aise dans la classe politique de la IIIe République.
Maurice Thorez, brillant élève de la primaire puis autodidacte de talent, incarne à merveille cette nouvelle classe ouvrière au lendemain de la boucherie de 1914-1918. Ayant grandi dans le bassin minier, il porte les enjeux du nouveau siècle, ceux du monde ouvrier français, de l’émancipation du prolétariat européen et de la révolution mondiale.
Eugen Fried apporte, lui, la culture internationaliste des jeunes révolutionnaires d’Europe centrale. Parlant à la perfection quatre langues (l’allemand, le hongrois, le russe, le français) et se débrouillant avec quelques autres, il connaît la prison en Tchécoslovaquie avant de rejoindre Moscou et l’Internationale communiste. Ce « kominternien » courtois, cultivé et grand connaisseur de la Révolution française, entreprend de reconstruire du sol au plafond le PCF, à partir de 1930-1931.
Pourquoi eux trois ? Et pourquoi pas d’autres, tant d’autres militants et responsables tout aussi talentueux et dévoués à la révolution mondiale ? Parce qu’ils ont compris, sans doute plus que tous les autres, ce qu’ont représenté et ont été la révolution russe puis le régime stalinien : une fascination continue pour l’espérance révolutionnaire articulée à une exigence d’obéissance absolue. Sans l’un et l’autre, il ne pouvait être de communiste durable. L’ambition et les capacités manœuvrières ont fait le reste.
Cette réponse, on la trouve pour partie dans les Carnets de Marcel Cachin, remplis tout au long de sa vie et magnifiquement édités en 1993 par un collectif d’historiens piloté par Denis Peschanski.
Dans le tome II (1917-1920) de ces Carnets, Cachin raconte en détail son voyage en Russie avec Louis-Oscar Frossard, du 15 juin au 29 juillet 1920. Tous deux sont mandatés par le parti socialiste pour négocier avec les bolchéviques et la Troisième Internationale, créée en 1919, les conditions d’adhésion de la SFIO. Ce voyage, décrit comme « le tournant fondamental de la vie de Cachin » par l’historien Gilles Candar, apparaît a posteriori comme la matrice des soumissions successives des communistes français à l’Internationale version Komintern et au Kremlin.
Les notes détaillées de Cachin racontent comment ils sont froidement reçus à Moscou : aussitôt critiqués par le groupe des communistes français vivant à Moscou, mis en accusation par le comité exécutif de l’Internationale communiste, sermonnés pour leur centrisme, leur opportunisme et leur manque de soutien à la révolution bolchévique par Trotski et Zinoviev.
Les conditions d’adhésion sont durcies. Les bolchéviques ne veulent pas de socialistes déguisés. Zinoviev est catégorique : l’Internationale est une organisation centralisée de lutte, un « parti communiste unique, avec des sections dans les divers pays ». Ces sections doivent « être purifiées des éléments opportunistes » et fonctionner sur une discipline de fer. Le Komintern entend se mêler et décider des directions de ces « sections », des futurs cadres comme des programmes. D’ailleurs, le dirigeant de la SFIO Jean Longuet devra être exclu.
C’est la douche froide. « Il faut épurer, purifier, il faut que le travail du parti soit changé », leur explique Lénine, note Cachin. Mais dans les couloirs ou en tête-à-tête, des discussions plus conciliantes sont menées. Ce qui était la veille « inacceptable » pour Frossard, « peu réjouissant » pour Cachin, devient soudain possible, à portée de main, « enthousiasmant » parfois.
Le régime bolchévique sait déjà parfaitement jouer des images. Le pays est en ruines, déchiré par une guerre civile abominable, ravagé par des famines, déjà martyrisé par la Tchéka (lire à ce sujet le récent livre de l’historien Jean-Jacques Marie, Vivre dans la Russie de Lénine). Il n’empêche. Le Komintern organise à l’attention des délégués étrangers un long voyage sur la Volga, plus de 3 000 kilomètres.
Marcel Cachin tombe sous le charme de cette aventure Potemkine. Il porte la blouse russe et « se russifie de jour en jour », note Frossard. Descente en bateau du fleuve, visites de villages et d’usines, meetings, « chants de la Volga dans la nuit qui vient », « paysages féeriques ». De retour à Moscou, les deux hommes s’engagent devant l’Internationale à plaider pour l’adhésion. Ils convaincront la majorité de leurs camarades. Au congrès de Tours, la motion Cachin-Frossard (qui a été largement rédigée par Boris Souvarine) l’emporte aisément.
Marcel Cachin a multiplié les meetings avant le congrès de Tours. Il ne parle pas de parti à la discipline de fer, encore moins d’une direction de fait du futur parti communiste par le Komintern. Non, il s’agit d’abord de « communier » avec la révolution russe, « pour le triomphe de la révolution mondiale qui vous libérera comme elle les a libérés ».
« Avec éloquence, note l’historien Gilles Candar, Cachin fait donc vivre la vieille conception religieuse du socialisme, considéré comme une doctrine de rédemption aux accents messianiques. »
Jusqu’à sa mort, en 1958, celui qui est demeuré pendant quarante ans patron de L’Humanité et a été décoré de l’ordre de Lénine en 1957, n’aura de cesse de proclamer sa fidélité à Staline et au régime soviétique. Un seul exemple : en 1937, Marcel Cachin assiste à Moscou aux grands procès politiques.
Il se fait sans barguigner le porte-parole de l’accusation. « Les victimes dénoncent les crimes et exigent un verdict impitoyable » : ainsi titre-t-il l’un de ses articles. « Nous avons entendu tout cela de nos oreilles, nous avons vu de nos yeux. Nous dirons des détails typiques, irréfutables, écrasants, dans les jours qui viennent », écrit-il dans L’Humanité du 27 janvier 1937.
Louis-Oscar Frossard ne sera, lui, que le premier et éphémère secrétaire général du Parti communiste (de janvier 1921 à janvier 1923). Battu par l’aile gauche du parti, emmenée entre autres par Boris Souvarine, il quitte l’organisation, premier départ d’une longue liste. Des années plus tard, il dressera un portrait acerbe de Marcel Cachin, décrit en insubmersible « opportuniste », « toujours du côté de la victoire ».
Maurice Thorez n’a pas fait le voyage fantasmagorique sur la Volga de juillet 1920. Mais le jeune homme suractif croit avec passion au surgissement révolutionnaire. Thorez se forme seul et plonge, entre autres publications, dans Le Bulletin communiste que Boris Souvarine a créé en 1919.
L’ancien socialiste français, devenu secrétaire de la Troisième Internationale, a été un partisan déterminé de la scission de Tours. Souvarine bataille contre Frossard et Cachin, « les représentants du vieux parti », pour construire un parti prolétarien de combat, délivré des carriéristes politiques. Mais il rend aussi compte des débats qui traversent le parti soviétique et annoncent l’élimination de Trotski.
Maurice Thorez, lorsqu’il est député de 1932 à 1936. © Assemblée nationale
Souvarine remarque Thorez dès le deuxième congrès du Parti communiste, en 1922. Le militant du Pas-de-Calais est délégué, partisan de l’aile gauche. Il s’enthousiasme pour Manouilski, envoyé du Komintern, venu clandestinement assister au congrès. Manouilski va, jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, suivre les partis européens et nouer de fortes relations avec Thorez. Mais le mentor intellectuel de Maurice Thorez devient très vite Souvarine. C’est sans doute lui qui le fait nommer suppléant au comité central du parti avant d’en devenir membre à part entière en 1925.
Cette relation ne durera pas. Car à Moscou, Zinoviev et Staline ont lancé l’offensive contre Trotski. Et Zinoviev, qui préside alors le Komintern, veut un grand ménage dans les « sections ». Souvarine, qui a rendu compte de ces débats dans Le Bulletin communiste et qui publie en France des textes de Trotski sous le titre Cours nouveau en 1924, est une cible.
Auguste Gouralski est envoyé à Paris par l’Internationale pour éliminer Souvarine et purger le parti de ses soutiens. C’est chose faite en quelques mois dans une succession de crises qui entraînent des centaines de départs. Le Komintern impose le sinistre Albert Treint à la tête du parti ; Boris Souvarine est exclu en juillet 1924. Le secrétariat du PC justifie cette décision en ces termes : « C’est dans la mesure où toutes les survivances du “moi’’ individualiste seront détruites que se formera l’anonyme cohorte de fer des bolchéviques français. »
Maurice Thorez aurait dû, dans cette logique épuratrice, tomber avec lui. En avril encore, il écrivait à Souvarine pour lui faire part de son soutien ; il a souscrit à l’édition des textes de Trotski. « Je te prie de me considérer comme solidaire des idées que tu as émises à la conférence. Fraternellement », lui écrit-il, le 6 avril. Mais Gouralski, sur les conseils de Suzanne Girault, sauve le soldat Thorez. C’est un militant efficace, loyal, aimé des camarades, formidable orateur. Et le parti, en pleine crise, en manque cruellement.
Thorez est épargné. Il lui est demandé de faire partie de la commission politique chargée de condamner Souvarine. En janvier 1925, il rejoint le comité central. En mars de la même année, Gouralski le choisit pour faire partie de la délégation du parti français envoyée à Moscou pour des réunions du Komintern. Thorez ne dira rien publiquement à propos de Souvarine. La bolchévisation du parti est réalisée en cette fin d’année 1924.
À Moscou, il rencontre pour la première fois Staline avec la délégation française. « Ses interventions, toutes à la fois simples et profondes, produisaient une forte impression sur tous les militants. […] Sa cordialité souriante nous mit à l’aise dès l’abord. L’entretien dura plus de deux heures. Nous avions peur d’abuser », explique-t-il dans sa « biographie » Fils du peuple (en fait écrite par Jean Fréville, puis modifiée au fil des éditions).
Staline, Thorez. Si l’on sait la vénération du dirigeant français pour le Vojd (guide) soviétique, l’inverse ne nous est pas connu. Mais le fait est que Staline aura toujours soutenu Maurice Thorez, même aux pires moments, les deux dernières années de son exil en URSS pendant la guerre, par exemple, quand le leader français est isolé et court-circuité.
Dans un texte autobiographique, Albert Vassart, un temps membre du bureau politique du parti avant d’être démis sur ordre du Komintern, raconte une longue conversation avec Maurice Thorez en 1932. Le dirigeant français vient de passer un sale moment au XIIe plénum de l’Internationale, à Moscou, critiqué de toutes parts. Mais Thorez explique le mode d’emploi de la relation avec Moscou en ces termes :
« Pas de malentendu : les dirigeants du Komintern, c’est ceux du secrétariat du PC russe et, dans le secrétariat, Staline. Si lui, Thorez, avait réussi à se maintenir dans toutes les directions du PCF depuis 1925, c’est parce qu’il avait toujours su jouer la bonne carte russe, celle de la confiance à Staline. » Commentaire de Vassart : « Quand il partait pour Moscou, Thorez ne savait pas ce qu’il en rapporterait, mais il savait déjà qu’il défendrait la ligne quelle qu’elle soit. » Cela se vérifiera jusqu’à la mort de Staline.
Au tout début des années 1930, les errements stratégiques et les épurations successives ont réduit le grand parti de Tours à une secte bolcho-stalinienne d’à peine quelques dizaines de milliers de militants déconcertés par les virages successifs et les mauvais résultats électoraux. L’Internationale décide de reprendre les choses en main. Staline a achevé de prendre les pleins pouvoirs en éliminant Zinoviev et Boukharine et en parachevant sa mainmise sur le Komintern.
Il faut désormais stabiliser la direction du PC français et construire pour le long terme. Maurice Thorez devient secrétaire général du parti en juillet 1930. Il part pour Moscou, où le Komintern lui demande de promouvoir un « tournant », dans le cadre de la tactique « classe contre classe ». Surtout, le Komintern réorganise ses « envoyés spéciaux » à Paris.
Fin 1930, Eugen Fried part s’installer à Paris, accompagné de la dirigeante roumaine Ana Pauker, avec qui il aura une fille en 1932. Une nouvelle histoire débute qui va, quinze ans plus tard, à la Libération, faire du PCF la première force politique française.
Eugen Fried. © (dr)
Jusqu’à son assassinat, en 1943, Eugen Fried demeurera un clandestin. Il est connu sous le pseudonyme de « camarade Clément ». L’homme est chaleureux, subtil et sait écouter. Cela change des quelques dogmatiques bas du front parfois envoyés par Moscou. Fried s’immerge dans le parti français. Il visite les sections, se coule dans l’assistance lors de réunions fédérales, suit de près les publications et journaux du parti. Il assiste, au moins jusqu’en 1935, aux réunions du bureau politique.
En 1935, quand le Komintern, désormais présidé par le Bulgare Dimitrov, décide d’alléger la tutelle de l’Internationale sur les directions des « sections nationales », Eugen Fried demeure tout aussi présent. « Nous ne nous étonnions pas de voir Clément toujours parmi nous, tant il nous paraissait inséparable de la vie quotidienne des communistes français. C’était simplement un camarade plus sage, plus expérimenté, admirablement instruit du passé et du présent de la France », note Georges Cogniot, haut dirigeant du parti.
« Fried est le meilleur délégué de l’Internationale que nous ayons jamais eu », s’enthousiasme Maurice Thorez. Les deux hommes vont rapidement former un tandem efficace et travailler en pleine confiance. Eugen Fried fait un choix stratégique : protéger Thorez et le défendre devant les instances du Komintern, où le Français est régulièrement mis en accusation (entre autres par André Marty, délégué du parti français à l’Internationale).
Fried monte avec l’aide de Manouilski l’affaire Barbé-Célor pour renforcer la position de Thorez. Il règle le cas de Jacques Doriot en 1934. Le maire de Saint-Denis, le « grand Jacques », menace clairement Thorez. Il est éliminé. Fried s’occupe aussi de faire rentrer dans le rang Jacques Duclos, le « petit Jacques ». Il construit une direction du parti homogène avec Benoît Frachon, Marcel Gitton, Jacques Duclos, Albert Vassard. Une direction qui va perdurer durant des décennies, bien après la mort de Thorez, en 1964 : Duclos sera le candidat du parti à la présidentielle de 1969 et Frachon est toujours membre du bureau politique début 1970, sous Marchais…
Surtout, Eugen Fried crée la section des cadres et instaure la règle des biographies de militants. Il s’agit de construire le parti, de sortir des tendances groupusculaires, de s’assurer de la pureté idéologique de l’appareil et de son efficacité. Pour cela, il faut des cadres de confiance et formés. Car Fried demeure, pendant ces dix années, un relais organisé du Komintern stalinien. On le surnomme « le miroir » tant il décline et impose à Paris la ligne voulue par Staline.
La relation de confiance qui se crée entre Thorez et son conseiller clandestin est renforcée par une équation quasi familiale. En 1934, Eugen Fried se met en couple avec Aurore Membœuf, la première femme de Maurice Thorez. Ensemble, ils élèveront jusqu’à son assassinat à Bruxelles Maria, la fille qu’il a eue avec Ana Pauker, et Maurice, le fils aîné de Maurice Thorez et d’Aurore Membœuf.
En 1969, dans une lettre au Monde, et alors que le nom d’Eugen Fried a été enfoui dans les secrets de l’histoire du parti, Maurice Junior rend un émouvant hommage à celui qui l’a élevé de l’âge de 8 ans à 17 ans. « Le camarade Clément a été, si je puis dire, mon père de 1934 à sa mort. […] Si les Français savaient tout ce qu’il a fait pour eux, ils lui élèveraient une statue. »
Eugen Fried a-t-il été le marionnettiste de Thorez, son cerveau, le secrétaire général de fait du PC, comme affirmé par certains critiques du dirigeant français ? Certainement pas, tant les deux hommes semblent entretenir une conversation dialectique permanente. On lui a attribué l’idée même du Front populaire et le choix de la formule « front populaire antifasciste ».
« C’est la fois vrai et faux », a expliqué Giulio Ceretti, autre personnage-clé de la direction communiste dans les années 1930. « Il y avait trop d’enchevêtrement entre ce que pensait et disait Clément et ce que pensaient Thorez, Duclos et Frachon. La question est mal posée. Elle serait tout aussi mal posée si on affirmait que, sans Clément, le Front populaire ne serait jamais né. »
Ce qui est certain, c’est que la connaissance fine et les contacts permanents que Fried a avec le Komintern et ses dirigeants lui permettent d’abord de gagner des marges de manœuvre, ensuite d’anticiper les grands virages décidés à Moscou. Et c’est ainsi que le choix, à partir de 1934, de l’ouverture, de l’alliance avec la SFIO précède de peu le grand virage stalinien qui sera pris à Moscou.
Timbre soviétique en hommage à Maurice Thorez, mort en 1964.
De même, le choix de Thorez d’ouvrir le Front populaire jusqu’aux radicaux est, dans un premier temps, fortement critiqué par le pilier du Komintern qu’est le dirigeant italien Togliatti, avant d’être avalisé quelques mois plus tard par Manouilski. Le succès de la stratégie du Front populaire va fortement renforcer les positions de Fried et de Thorez au sein de l’Internationale. Le parti français devient un exemple.
Depuis Paris, Eugen Fried prend ensuite en charge les affaires espagnoles et organise les réseaux de soutien du PCF et de livraison d’armes aux républicains. Il s’occupe également des PC belge et hollandais. En septembre 1939, il fuit à Bruxelles avec Aurore et les deux enfants. De là, il organise le passage dans la clandestinité du parti. Le 17 août 1943, il est abattu par la Gestapo. Son corps n’a jamais été retrouvé.
Retour au 10 juillet 1920, lorsque Marcel Cachin explore les régions de la grande Volga. Le voilà à Tambov et il note dans son carnet : « La plaine est cultivée, champs de seigle à l’infini. On nous mène à un meeting d’ouvriers. L’esprit est bon, pas de menchéviques. Les ouvriers que nous avons en face de nous sont eux aussi propres et de bonne mine, intelligents. […] Puis séance du Proletkult, musique, danse, arts de tous ordres. Des enfants chantent Le Foin, Les Charpentiers, des enfants dansent avec grâce et passion… Ce peuple qui ne boit plus, qui lit et qui chante et qui danse, quel changement ! »
Les bateliers de la Volga et l’extase révolutionnaire, selon Marcel Cachin. Quelques années plus tard, un autre révolutionnaire, Victor Serge, publie un roman, S’il est minuit dans le siècle. Trotskiste, Victor Serge est exclu du parti soviétique en 1928, puis déporté dans l’Oural en 1933. Dans son roman, Rodion, qui lui ressemble farouchement, parvient à s’évader.
Lui aussi descend un fleuve dans sa fuite. Il y croise un homme qui vit seul, caché dans les forêts, et l’a sauvé d’une noyade. « Si tu ne veux pas que je te refoute à l’eau, il ne faut pas me traiter de camarade », avertit l’homme. « Dans ce pays, tu sauras qu’il n’y a plus rien : ni socialisme ni capitalisme, tas de putains vérolées. »
Plus loin sur le fleuve, mais sans doute n’est-ce pas la Volga de Marcel Cachin, Rodion est embarqué sur un radeau par des forestiers. « Les gars entonnèrent une chanson de forçats d’autrefois qui disait : “Nous allons remuant nos chaînes – par la route du malheur – nous allons portant nos cœurs – le long du destin amer – nous nous sauverons un soir – belle fille, tu nous aimeras – et puis on nous repincera – belle fille, tu nous pleureras.” »