1917 est aussi l’année du Congrès de fusion, constitutif de la Fédération CGT des Cheminots
En janvier, 200 délégués de l’Association générale du personnel des chemins de fer de l’État, de l’Association générale du personnel des chemins de fer du PLM, de l’Association professionnelle des agents de trains, du Syndicat national et de la Fédération des mécaniciens et chauffeurs créent la Fédération nationale des Travailleurs des chemins de fer de France, des colonies et pays de protectorat, CGT, forte de 60 000 syndiqués. Son bulletin mensuel devient « la Tribune des Cheminots ». A partir du moment où la fusion des organisations a lieu au sein de la nouvelle Fédération, une force se développe, impétueuse, vers la lutte révolutionnaire, sous l’influence grandissante d’hommes d’action tels que Monmousseau, Midol, Semard, Dejonkère. Bidegaray, l’homme de l’Union Sacrée freine de son mieux l’organisation du 1er congrès fédéral. Les cheminots s’organisent pour la satisfaction des revendications définies au cours des congrès d’Union : les 8 heures, l’augmentation des salaires auxquelles Bidegaray adjoint déjà la nationalisation des chemins de fer. Des grèves éclatent à Périgueux (1950 syndiqués), à Tours (2 270 syndiqués) ainsi que sur le réseau du Midi, fin décembre 1917 et janvier 1918. Le 10 janvier 1918, 6 000 cheminots manifestent à la Bourse du Travail de Paris, réclamant avec force le paiement d’une indemnité de vie chère de 1 080 F. La lutte pour les 8 heures sera particulièrement active malgré une direction fédérale qui freine le mouvement et préconise la négociation avec les Compagnies et le gouvernement. Forte de ses 550 syndicats en 1918 (elle en avait 438 lors de sa constitution en 1917 et elle en aura 751 en 1919) la Fédération nationale a pu s’organiser, se renforcer en adhérents et exprimer de mieux en mieux par la voix de la minorité révolutionnaire la défense des revendications de toute la corporation : le rajustement des salaires, primes et indemnités, les huit heures, la réglementation du travail et… la réintégration des révoqués de la grève de 1910. Au-delà des revendications l’opposition à la guerre prend une place de plus en plus importante.
– Conséquences de la guerre sur les réseaux et sur les Compagnies
A la veille du conflit, la standardisation et l’uniformisation souhaitées par l’Administration, tant pour les tarifs que pour les matériels et l’exploitation, sont loin d’être réalisées. Les revendications d’un statut unique pour l’ensemble des personnels des chemins de fer ainsi qu’une grille unique des salaires dès 1914, sont fort mal perçues par les Compagnies dont l’avis est sollicité par le ministre de tutelle… Ces revendications seront évincées par la guerre. Elles seront reprises en janvier 1917 par la toute nouvelle Fédération nationale des cheminots. Marcel Sembat (SFIO), ministre des transports jusqu’au 12 décembre 1916, interpellé à la Chambre répond « que la contribution de la corporation cheminote à l’effort de guerre est méritante et doit être récompensée après la guerre par un statut du personnel étendu à tous les réseaux ». Une commission pour la réforme du régime des réseaux d’intérêt général est créée en octobre 1917 par le nouveau ministre des travaux publics Albert Claveille, ancien directeur du réseau « État », successeur de Marcel Sembat. A la suite de son rapport, un projet de loi favorable au statut unique est rédigé en juillet 1918.
Le régime des chemins de fer en question
A l’issue de la guerre, des pourparlers s’engagent entre le ministre de tutelle et les dirigeants syndicaux, ceux-là mêmes qui ont entretenu des liens privilégiés avec le gouvernement entre 1914 et 1918 : les réformes examinées concernent les traitements, les 8 heures, le statut. La nationalisation y est évoquée mais entendue comme « au service de la Nation », relevant du seul débat parlementaire et reléguant au second plan les intérêts propres à la corporation. La direction des réseaux rendue aux administrations par décret du 2 février 1919, le régime de réquisition des chemins de fer demeure néanmoins jusqu’au 24 octobre. Un Comité provisoire d’exploitation des grands réseaux se substitue à la Direction générale des Transports militaires.
Les besoins immenses de reconstruction et de modernisation renforcent la crise des chemins de fer qui précédait le conflit.
Cette crise est alors technique, sociale et financière avec ses prolongements politiques. L’inventaire d’après-guerre est très lourd : 6 000 kms de voies ferrées sont hors d’usage, les réseaux du Nord et de l’Est sont à reconstruire, le trafic est désorganisé, les matériels sont usés, disparates et insuffisants, les investissements ont pris du retard. S’y ajoutent la pénurie de charbon et l’insuffisance des effectifs en particulier de main d’œuvre qualifiée ; le personnel qui reste sous le régime de la réquisition est découragé. La reprise de la vie « normale », l’effort de reconstruction des villes et villages, l’acheminement du ravitaillement en biens de consommation, matériaux, charbon, conduisent le gouvernement à donner une priorité aux moyens de transport ; pour ces raisons auxquelles s’ajoute l’application de la journée de 8 heures, les Compagnies de chemin de fer embauchent un grand nombre de personnel, ce qui portera l’effectif total à 462 343 agents en février 1920. Ce recrutement massif, disparate et peu formé, en réponse au manque criant de main d’œuvre fera que fin 1919, la moitié des cheminots a moins d’un an de service. Selon le directeur du réseau Nord, Javary, il règne « en apparence chez les agents ayant du ressort (sic), l’esprit d’indiscipline, chez ceux qui n’en ont pas, l’indifférence et le découragement ». Mais le mouvement de syndicalisation n’en est pas affecté, bien au contraire. De 6 000 adhérents au Syndicat National fin 1914, le nombre de syndiqués passe à 38 700 à la veille du congrès d’unification pour atteindre 170 000 au lendemain de l’armistice.
Les grèves de janvier et février
Sur le réseau P.O., aux ateliers de Périgueux, l’insuffisance de lavabos et de vestiaires entrave l’application des 8 heures ; las des réponses négatives de la direction, grève partielle le 2 janvier, les 2 000 ouvriers cessent le travail 5 mn plus tôt pour se nettoyer sur le temps de service ; 10 militants sont révoqués. Des grèves de solidarité démarrent en cascade sur le réseau P.O. Devant l’intransigeance de la Compagnie, l’Union P.O. envisage la grève générale, Millerand intervient pour la levée des sanctions. Cette grève sert de prélude à celle déclenchée un mois plus tard sur le réseau PLM. Campanaud, secrétaire du syndicat de Villeneuve Saint-Georges se rend le 19 février à une réunion de l’Union PLM, à Dijon, sans avoir obtenu l’autorisation d’absence. Pour absence jugée illégale, le PLM lui inflige une mise à pied de 48 h avec menace de révocation, de même qu’à deux autres militants de Nice dans le même cas. La protestation est immédiate dans cet important centre ferroviaire ; elle se traduit par une grève des bras croisés. Le 25, tout le PLM entre dans la grève. Le ministre Le Troquer refuse toute concession, fait occuper les voies par la troupe et réquisitionne les cheminots. La direction fédérale lance le 27 février un mot d’ordre de grève générale. Il formule 5 exigences : le respect du droit syndical, la présentation du statut dans les délais prévus, la prise en compte des Compagnies secondaires dans le statut, l’association de la Fédération à la définition du futur régime des Chemins de fer et l’annulation des sanctions pour fait de grève. La CGT apporte son soutien moral. Le 29, des révocations sont prononcées et des dirigeants syndicaux arrêtés. Le mouvement durcit, Millerand affecte de se montrer conciliant et nomme un médiateur. La Fédération nie l’opportunité du mouvement et elle entre en pourparlers avec Millerand qui, le 1er mars, accepte un compromis : reprise du travail, pas de sanctions (il y a déjà 10 révocations, dont celle de L. Midol) et promet d’étudier la nationalisation des chemins de fer. Le conseil fédéral, soutenu par la Confédération, s’empresse d’ordonner la reprise du travail de suite, le 1er mars. Les cheminots du PLM continuent jusqu’au 4 et 5 mars !
La grève de mai
Le congrès de Japy terminé, la Commission exécutive fédérale va siéger sans discontinuer pendant un mois, placée au cœur de l’action. Par 28 voix contre 22, elle décide la grève générale, grève qui doit débuter le 30 avril à minuit en s’appuyant au départ sur la journée du 1er mai, journée de lutte internationale des travailleurs. Les changements intervenus dans la direction fédérale témoignent de la volonté d’action d’un grand nombre de cheminots. Le mécontentement est exacerbé par la violation de l’accord du 1er mars par le gouvernement et les Compagnies. Les assemblées de cheminots s’orientent nettement vers la lutte. Les cheminots du Nord et de l’Est, encore sous le coup des dévastations de la guerre et peut-être aussi, moins éclairés par leurs responsables que ceux d’autres réseaux, manifestent une moindre combativité. La Tribune des cheminots du 1er mai tranche sur les anciens mots d’ordre. Monmousseau y signe un article intitulé : « Tous à l’action ». Le bureau fédéral tente de remettre à sa juste place la revendication imposée par la Confédération comme garantie à son aide. Les cheminots ont d’autres priorités : échelle de traitement, la réintégration des sanctionnés, le droit syndical. Le climat social est à ce point détérioré qu’en quelques jours le nombre de grévistes atteint le chiffre de 200 000 environ, agents du cadre permanent et auxiliaires pour les réseaux PLM, Etat, P.O., Midi, du réseau algérien mais seulement les syndicats parisiens du Nord et de l’Est ou quelques gros centres comme Lille.
Des vagues d’assaut non déferlantes
La direction Confédérale de la CGT, réunie le 30 avril n’a pu s’opposer à la décision d’action prise par les cheminots. Toutefois, pour en diriger le mouvement, elle décide d’une tactique inconnue de tous, inventée par Jouhaux, qui aura pour effet d’empêcher le vase de se remplir ! (Cette nouvelle forme de lutte, acceptée en partie par Institut d’histoire sociale CGT Cheminots 6-Les grèves de 1920) C’est l’action par vagues d’assaut consistant à lancer les autres corporations dans la lutte selon les circonstances et les besoins : le 3 mai, les mineurs, les inscrits maritimes et les dockers ; le 10, les métallurgistes, le bâtiment ; le 16, les postiers, le métro… Ainsi émiettée, la classe ouvrière ne pourra pas mener bien loin son combat, les cheminots portant seuls l’effort principal. Jules Dejonckère, l’Humanité, 25 avril 1920. Source : Archives départementales d’Indre-et-Loire, 4 M 1164. Syndicat du Mans : grève des cheminots, mai 1920. Source : IHS-CGT cheminots, Fi 30/56. Carte de grève, mai 1920. Source : IHS-CGT cheminots, carton 742).
La répression tous azimuts
Dès le 3 mai, le gouvernement et les Compagnies appliquent leur plan : perquisition du siège de la Fédération des cheminots, arrestation de 400 militants appartenant dans leur majorité à la tendance révolutionnaire, aussitôt inculpés de complot contre la sûreté de l’État, décapitant ainsi la direction fédérale. Deux des secrétaires : Monmousseau et Levêque sont arrêtés et Midol doit se réfugier près de son Jura natal. Dès le début de la grève, des menaces arrivent chez les grévistes, des révocations et congédiements sont prononcés pour les « meneurs ». Une campagne de presse virulente présente les cheminots grévistes comme de vulgaires criminels ou saboteurs en puissance. La deuxième « vague d’assaut » n’est pas encore engagée, que le gouvernement intente des poursuites. Malgré les appels à la grève générale par la C.E. des cheminots, par Midol, par les militants détenus à la prison de la Santé, la CGT s’oriente vers la reprise du travail. Isolés, les réseaux encore en lutte continuent le combat, seuls, jusqu’au 27 mai. Certains jusqu’au début juin. Près de 20 000 révocations, déplacements disciplinaires, rétrogradations, retards ou arrêts de l’avancement : tout est bon pour punir et humilier.
Lendemains de grève
Du combat lui-même, le mouvement ouvrier et son organisation syndicale sortent amoindris, une classe ouvrière « groggy ». L’organisation syndicale y perdra nombre d’adhérentsLes 3 secrétaires, Monmousseau, Levêque et Midol se mettent à l’abri, ce qui ne les empêchera pas de participer, imprudemment d’ailleurs, à quelques réunions de la C.E. jusqu’au jour où la police en arrête deux, Levêque, le 17, dans sa planque et Monmousseau le 19 mai à la sortie du CCN de la CGT, réuni salle du Globe, au cours duquel il venait d’affronter les dirigeants de la tendance réformiste. Midol, lui aussi recherché, doit se réfugier en Suisse, près de son Jura natal, où il vivra plusieurs années de misère avec sa famille. Pour faire bonne mesure sans doute, Bidegaray et Le Guen sont révoqués le 12 mai. Dès le début de la grève, des menaces par lettres individuelles arrivent chez les grévistes, des révocations et congédiements sont prononcés pour ceux considérés comme des meneurs. La hiérarchie ferroviaire et la police s’entendent pour les débusquer et engager des procédures judiciaires sans tarder. L’utilisation de briseurs de grève, souvent protégés par la présence de soldats, comme en 1910, bat son plein. Des élèves des grandes écoles, vite formés, sont Du combat lui-même, le mouvement ouvrier et son organisation syndicale sortent amoindris, soumis l’un et l’autre pendant 30 jours aux assauts d’une bourgeoisie ayant mobilisé à son service toutes les forces réactionnaires disponibles, par l’entremise de l’État.
Dans ce conflit, la bourgeoisie gagne une bataille, au moment où les difficultés politiques et économiques dues aux contradictions des pays sortis vainqueurs de la guerre s’aggravent, ce qui doit permettre à la classe au pouvoir d’en faire supporter le poids au peuple. Les Compagnies pratiquent le Lock-out de nombreux ateliers de réparation ferroviaire : Saintes, Périgueux, Tours, Béziers, etc. considérés comme des centres de résistance ouvrière, des foyers de révolution. Lorsqu’ils rouvrent leurs portes, certains d’entre eux, c’est le cas notamment de Varennes-Vauzelles (PLM), près de Nevers et Saint-Pierre-des-Corps (P.O.), sont passés sous gestion privée. Pour les militants révoqués, que les patrons de l’industrie privée refusent d’embaucher, des jours difficiles commencent. La désunion augmente passagèrement le désarroi et, bien que tous ne soient pas d’accord sur le choix des moyens de la lutte, le but à atteindre apparaitra de plus en plus clairement à la grande majorité des cheminots qui, les premiers, ont affronté, en ce printemps 1920, les forces coalisées du patronat et de l’État. La vie reprend lentement dans la corporation, privée des dirigeants qualifiés d’extrémistes, accusés d’avoir fomenté la révolution. Bidegaray revient, désigné comme secrétaire général provisoire par un Conseil fédéral réuni par ses soins fin juin, malgré les protestations de nombreux syndicats, La Tribune des cheminots reste muette sur la position des camarades emprisonnés. Le résultat des assises fédérales, du 7 au 9 septembre 1920, ne peut surprendre ; les dirigeants élus à Japy en avril, sont mis en accusation, le rapport moral qu’ils présentent est rejeté par 155 478 voix et approuvé par 116 417 ; seule l’Union PLM où Pierre Semard déploie une intense activité, reste dans sa grande majorité fidèle à l’orientation définie en avril. Ainsi se termine la première phase de la reprise en mains par la majorité confédérale de cette Fédération « sur laquelle la tendance révolutionnaire a assuré sa suprématie », selon l’expression de Dumoulin.
Malgré un certain nombre de points qui ne satisfont pas les cheminots, le Statut de 1920 et sa partie rémunération constituent une avancée pour les cheminots. Concernant la rémunération, la grille de traitement comporte 18 échelles avec 9 échelons d’ancienneté (et des chevrons !) et repose sur un salaire de base de 3 800 F progressant jusqu’à 18 300 F (ouverture hiérarchique de 4,8). Les règles d’avancement font la part belle au choix patronal, même si les délégués du personnel participent à la notation. Il est prévu 15 jours de congés avec solde, alors qu’il faudra attendre 1936 pour que les salariés du privé puissent obtenir des congés payés. Avant l’adoption par le parlement de la loi du 23 avril 1919 dite «des 8 heures», la Fédération nationale avait adressé une lettre au ministre des Travaux publics, Albert Claveille, pour qu’il intervienne auprès des réseaux pour la mise à l’étude des conditions d’application de cette réforme tenant compte de la spécificité des chemins de fer. Du 8 mai au 24 novembre, une succession d’arrêtés ministériels définit l’application au personnel sédentaire administratif et agents des gares, aux ouvriers des ateliers, aux agents de la Voie. Et pour permettre le service en continu, c’est la création du système des 3 x 8. Pour les personnels roulants de conduite et des trains le ministre prend 2 arrêtés le 8 novembre pour l’application des 8 heures aux personnels roulants ADC et ADT (12 H maximale d’amplitude et 14 H minimales pour le repos journalier), et pour la création de comités du travail sur les réseaux privés (celui de l’État en ayant déjà un) destinés à vérifier l’application de la règlementation et soumettre au ministère les modifications à y apporter. De plus il est instauré un barème de rémunération des dépassements «dans le cas où les nécessités du service auront entrainé la non-application intégrale des règles de travail».
Par contre, à la suite de la longue grève de mai 1920, la répression sera féroce et à la hauteur de la grande frayeur du pouvoir politique, des dirigeants des Compagnies et du patronat. Dès le 3 mai 1920, le siège de la Fédération est perquisitionné Au total on compte au moins 20 000 révoqués (chiffre exact non connu) soit près de 10 % des grévistes et de 5 % du total des cheminots. Près de la moitié des révoqués et congédiés sont des jeunes recrutés après la guerre. La Fédération et bon nombre de ses syndicats sont décimés et leurs effectifs syndiqués diminuent. Nombre de ceux qui ont échappé à la révocation sont déplacés et/ ou voient leur avancement bloqué. Des ateliers de réparation du Matériel sont fermés. Par contre, le syndicat CFTC des cheminots qui s’est rangé du côté de l’ordre reçoit les félicitations du ministre Le Troquer, de la droite et de l’Eglise catholique. Mais une première division syndicale apparaît notamment avec la création de la Fédération des syndicats d’agents cadres et techniciens des chemins de fer et la Fédération des mécaniciens et chauffeurs