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Rapport de Benjamin Stora à son maître Macron : « Le conte » n’est pas bon !

Par Boualem Snaoui

C’est l’histoire d’un mec, comme dirait Coluche, que tu attends l’arrivée par la porte et, comme pour te surprendre, il fait un bond par la fenêtre ; et tu le vois apparaitre les mains vides.

Toi, tu as préparé la fête, tu as cloué les guirlandes lumineuses au plafond, tu as décoré le salon, tu as préparé la table et le champagne à déboucher, pour l’annonce du « rapport sur les questions mémorielles portant sur la colonisation, et la guerre d’Algérie ». Il y a une lueur d’espoir pour la réconciliation, entre les deux rives, et tu prépares même tes mains pour applaudir haut et fort le nouvel espace de construction du « Droit et de la Justice » finalement retrouvé, surtout que tu vis et que tu es bien dans le vif du sujet.  Et voilà qu’il t’annonce un retour à l’employeur.

C’est la vie, c’est comme ça, on est un peu naïf, on croit encore au Père Noël et à Chachnaq, Cacnaq, Sheshonq Ier, Sesonchôsi…etc, sinon pourquoi Benjamin Stora nous proposerait-il un échange intellectuel (y compris sur la guerre d’Algérie) en berbère ?  Et pas en breton, pas en Catalan, pas en normand, pas en alsacien, pas en basque, pas en corse, … et même pas en espéranto, si tu as encore une envie d’appartenir au monde civilisé. Non, non,  pour nous c’est la case « berbères », sans savoir si tu es Phénicien, Hammadide, Turc, Marabout, Espagnol, Sicilien, Pisans, Janissaire, Marseillais, Makak,  ou kabyle, comme l’écrit Nicolas Bibesco en page 148 dans son œuvre civilisatrice des « Kabyles du Djurdjura » :« … La France y a étudié de près la race kabyle pure, elle l’a étudiée à sa source ; elle y a découvert la vraie manière de la prendre et de la gouverner.

Lorsqu’on écrit une histoire commune (qui n’est pas un sujet), on l’écrit ensemble, car on l’a vécue collectivement, et surtout on se parle et on communique ensemble. A bras-le-corps, on la porte avec courage, avec force on se lève et on marche sans faire de croche-pied à l’autre, sans  jalonner la route de parasites, de fossoyeurs, d’épiciers idéologiques, de chasseurs de petits-fours de salons et de reptiles de la politique.

Lorsqu’on prend la décision louable de construire des ponts, et d’abolir les murs,  alors on débroussaille le terrain des ronces et des mauvaises herbes,  et on convie d’abord ce qui nous rassemble avant de se précipiter (ce n’est pas une course à pied où il faut doubler l’autre) à jeter sur la table des  propositions qui seront lues comme des injonctions.

Le « ENSEMBLE » ne s’invente pas, il se construit dans la sérénité et la confiance mutuelle, sans embuscades et sans aucun risque de trahison, en raison justement de ce « passé lourd ». Il y a eu trop de souffrances, et il y en a encore. En somme, on n’a pas le droit de tant décevoir.

Ce qui est sympa dans cette période de soldes, comme dans les magasins, les centres commerciaux et les ventes en ligne, c’est qu’il y a des rabais sur les produits finis des acteurs néocoloniaux qui ont pour ligne de mire l’Algérie et son peuple. C’est ainsi que j’ai pu accéder gratuitement (Je dois avouer encore une fois, ne pas avoir dépensé le moindre kopeck pour accéder à ce produit manufacturé)  à la publication de notre Hugo, en date du 23 janvier, posté à 15h sur le site du canard « Le Point ».

D’habitude, pour accéder aux théorèmes et aux démonstrations de flagellations du peuple d’en bas, produit comme des petits pains sur ce site par ce « sacré Daoud »,  il faut allonger la carte bancaire. Mais là, on rase gratis dans ce canard, qui vient d’être recadré par l’ambassade d’Algérie à Paris pour ses graves dérapages (Le chapeau d’un article incriminé indique que l’Algérie a procédé à des manœuvres militaires dans la zone sous contrôle du Front Polisario !).  A moins que… à moins que ce ne soit la stratégie du « coup de Jarnac », pour rappeler le statut d’« indigène » à cet ambassadeur qui se croit citoyen, en le badigeonnant de l’encre de « l’indigène alibi ».

Celui qui a tenté de faire une percée par effraction sur la scène médiatique métropolitaine, pour flageller les « Gilets Jaunes », a très vite été recadré par  Markem  : « L’écrivain aboie et la colère sociale passe …». Du coup, il s’est rabattu sur sa spécialité, comme ces autres recrues « du ventre et du bas ventre », qu’on nous projette sur nos petits écrans pour faire rire les colons, pratiquer la « danse avec les loups » et revendiquer fièrement le « statut d’indigène ». J’ai vu passer une nouvelle recrue, Houria les Yeux Verts,  qui fait rire les colons en flagellant le peuple algérien, sur les plateaux de Slimane Zeghidour TV 5 monde, cet ami de trente ans de l’ancien ambassadeur d’Israël en France, Élie Barnavi.

Cette sentinelle coloniale a fait des progrès, en continuant à faire avancer le vocabulaire de « la décolonisation », pour mieux imprimer dans le cerveau du peuple algérien que l’indigène ne peut se libérer, on l’a donc décolonisé  en 1962. Sinon, on lira (le nez bouché) des formules «prêts à porter  du colonisé » : mémoire faussée, mythe trop parfait de leur guerre de libération, la démocratie en Algérie, transition, …etc. Tiens, il a même glissé, en une nouvelle reptation : « décoloniser » l’islam.

Et comme pour attester sa posture de serviteur du colon, cet amoureux du Qatar écrit : «Des citoyens nés après les indépendances rejouent aux colonisés et d’autres nés après la colonisation sont accusés de son crime. Des jeux de rôles trop faciles ». C’est ainsi que l’on devine les raisons qui ont fait que la colonisation a duré 132 ans, et on remue les couteaux dans les plaies.  Doit-on conclure que les Historiens et les scientifiques de la guerre d’Algérie sont donc  des « imposteurs », et qu’ils feraient partie de lobbys dont l’avenir est « chômeurs idéologiques » ? Qui a, dans le langage reptilien des inversions des rôles et des valeurs, parlé de la chasse au casse-croûte ?  Les historiens de la guerre d’Algérie apprécieront.

Comme tous les défenseurs du « Droit et de la Justice », ce n’est ni le personnage Daoud K., ni ses dissertations de mise à « mort des colonisés », auxquelles j’ai répondu dans le passé, qui m’intéressent, mais la perche tendue par ses « Hourra ! » à l’apparition du rapport de B. Stora sur « la colonisation et la guerre d’Algérie ». Du coup, avant même de brancher ses neurones pour lire ce rapport,  on déduit l’orientation « politico-partisane » des 148 pages du mec qui a déboulé par la fenêtre et qu’on attendait par la porte, pour la fête de la réconciliation.  Sans hésitation, nos antennes se sont connectées sur le bras d’honneur de Gérard Longuet, qui a fait plaisir à Marine Le Pen . Quelle est la différence entre le bras d’honneur de Gérard Longuet et celui de K. Daoud ?

Que de temps perdu ! Et rien que le fait d’imposer Albert Camus, « dont la complexité entre deux rives ne saurait être réduite à une cause ou une identité », est déjà une vraie digue au dialogue envisagé.

Camus est contesté à plusieurs égards de l’autre côté de la Méditerranée, et constitue une entrave plantée sur la ligne de départ de ce rapport. Les campagnes d’introduction de l’écrivain Camus en Algérie, depuis presque vingt ans, ont toujours rencontré une très forte résistance des forces intellectuelles anticoloniales. Il n’a pas été tenu compte de « L’alerte aux consciences anticolonialistes »  lancée par les intellectuels algériens. Edward Saïd, dans  « Culture et impérialisme »- Fayard-Le Monde diplomatique, Paris, 2000,  rapporté dans « Albert Camus, ou l’inconscient colonial » du Monde diplomatique ,  souligne qu’on trouve dans ses romans ce qu’on en croyait autrefois évacué : « des allusions à cette conquête impériale spécifiquement française, commencée en 1830, poursuivie de son vivant, et qui se projette dans la composition de ses textes » ; et il précise : « Camus joue un rôle particulièrement important dans les sinistres sursauts colonialistes… ».

Comment peut-on convoquer Kateb Yacine pour l’occasion, sans relayer son avis sur Albert Camus? Kateb Yacine indique que « …dans l’œuvre de Camus, le peuple algérien est pratiquement inexistant… ». N’est-ce pas une impasse à l’écriture de l’histoire commune?

Pourquoi convoquer André Rossfelder, intime ami d’Albert Camus, partisan de l’Algérie-Française, dont l’engagement auprès des chefs de l’OAS n’est plus un secret pour personne. Il a été condamné à mort par contumace pour sa participation à la tentative d’assassinat du président de la République, Charles de Gaulle, au mont Faron, à Toulon, le 15 août 1964.  Jean-Philippe Ould Aoudia, dans sa contribution du 24 janvier 2021, écrit :«  C’est le terroriste Rossfelder qui a transmis à un ami une liste de condamnés à mort par l’OAS, avec la mention « fait », ou bien « loupé » ou bien « en cours de préparation » en face des noms (voir Annexes p. 130 de La Bataille de Marignane) ». Pourquoi B. Stora rend-il hommage, dans son rapport de réconciliation des mémoires,  au « onzième commandement »,  livre d’André Rossfelder ?

Jean-Philippe Ould Aoudia  ajoute :« Ce sont, et vous le savez, toutes les horreurs commises par l’OAS qui ont incité les pieds-noirs,-et parmi eux tous les membres de ma famille maternelle- à fuir l’Algérie de peur des représailles à la suite, entre autres atrocités dont l’OAS s’est rendue coupable envers les Algériens : les tirs de mortier sur la Casbah surpeuplée, la pose de bombe devant le centre d’embauche des dockers, les malades tués à bout portant sur leurs lits, les « ratonnades », les femmes de ménage poignardées, etc. Au bout du compte : 2700 victimes surtout algériennes mais aussi françaises. »

Dans la lettre de mission du Commandeur Macron à B. Stora, il indique que « Celles et ceux qui détiennent entre leurs mains l’avenir de l’Algérie et de la France n’ont aucune responsabilité dans les affrontements d’hier et ne peuvent en porter le poids ». On ne peut pas effacer le passé et brûler singulièrement les livres d’histoire de la guerre d’Algérie. Comment expliquer la célébration des tirailleurs algériens en héros, puisqu’ils ont combattu l’occupation nazie, et en même temps gommer leur résistance face au colonialisme en Algérie ?  Il n’est pas possible de nous débarrasser du caractère « anatomique » humain de la « symétrie bilatérale » et je ne peux pas hachurer juste la partie de l’histoire de mes grands parents résistèrent colonialisme en Algérie, alors qu’ils avaient combattu en héros  le nazisme pour libérer la France. La liberté ne boîte pas, elle marche sur ses deux pieds.

 Cette expression malheureuse, sur un sujet aussi sensible, tenu par un notre commandeur à l’égard d’un jeune Algérien qui est venu l’« embrouiller avec ça », avait déjà commencé à mettre le feu aux poudres. C’est cette attitude qui avait initié les prémices de la confrontation, aucunement liée à Monsieur Abdelmadjid Chikhi (directeur général des archives algériennes), comme veut nous le faire croire Rachida El Azzouzi dans ses dissertations bien orientées sur Mediapart. Elle use d’étiquettes printanières bien colorées, en qualifiant Monsieur Chikhi d’inamovible, connu pour verrouiller l’accès aux archives aux chercheurs, un cacique du FLN au pouvoir gérontocratique. L’histoire ne s’écrit pas sur du sable, et on n’a pas besoin de traverser la Méditerranée pour lire « Coloniser-Exterminer » d’Olivier Le Cour Grandmaison, Ed. Fayard, 2005. Au passage, ce vrai expert de la guerre d’Algérie n’a pas été invité, ni d’ailleurs consulté sur cet épisode de la mémoire collective. Il a pourtant déjà beaucoup écrit sur le sujet et risque de dégommer la brosse à ceux qui veulent effacer notre histoire, pour la  réécrire notre histoire au moyen d’une encre de révolution culinaire des bananes. Je sais qu’il refuserait de servir deux maîtres : le pouvoir et la vérité, et entre les deux, il a fait son choix.

A madame El Azzouzi, en recherche d’archives, et qui tire à blanc sur Monsieur Chikhi, j’aimerais bien lui proposer une recherche « sans Tabbou », sur les assassinats des « Les Tueurs de la République (Fayard), de Vincent Nouzille, entre 1956 et 1962. Elle trouvera, comme Vincent Nouzille à Paris, sans doute beaucoup de noms dissimulés, au-delà des 160 personnes identifiées rien que pour la seule année 1960, avec peu de détails.

Ce qui est troublant dans ce « rapport sur les questions mémorielles portant sur la colonisation, et la guerre d’Algérie » c’est d’y voir insérer des thèmes hors sujets. Que vient faire par exemple l’atroce décapitation de Samuel Paty par un Tchétchène dans la mémoire collective ? En quoi la question mémorielle de la guerre d’Algérie serait-elle liée à cet horrible massacre condamné par le monde entier ? La position géostratégique de l’Algérie sur le bassin méditerranéen et vers le Sahel est aussi évoquée, sans que l’on accède au lien avec cette mémoire des deux rives. Ce qui nous laisse aussi interrogatif, c’est la référence faite aux relations économiques de premier ordre qu’occupe la Chine sur le marché algérien. L’Algérie n’a-t-elle pas le droit d’organiser ses échanges avec les autres nations du monde ? Doit-elle demander un aval ?  Enfin, de quoi veut parler B. Stora « aux jeunes générations en perte de repères identitaires » ? Et pourquoi identitaire ?

 Lors d’un grand débat intitulé GRANDEBATDESIDEES (pas comme celui avec Gilets Jaunes, sans issue), organisé par France Culture le 18 mars 2019, qui a réuni autour du Président Emmanuel Macron 64 intellectuels, chercheurs et universitaires, intitulé « religion-laïcité-islam-Algérie »,  l’Algérie et son peuple ont eu « le grand privilège » d’être les seuls au monde à être convoqués. C’est précisément  Benjamin Stora, l’hiistorien de la guerre d’Algérie,  qui était chargé d’interroger notre commandeur (vidéo à partir de la 39’46’’- https://www.youtube.com/watch?v=QI7y7a6gjIk) sur le sujet, et il a commencé par : « Comment faire en sorte que la France puisse intervenir pour soutenir les démocrates algériens (des noms, des noms, des noms !!!)… ». Faisaient-ils allusion à ces « démokhrates » qui injuriaient, menaçaient et violentaient les citoyens à l’entrée des bureaux de vote ? Ces démocrates qui saccageaient les bureaux de vote ? Ces démocrates qui  distribuaient des bananes, prenant les citoyens pour des primates, dans les manifestations ?

Après le « Dilem » de la caricature, honoré,  où il précise qu’il y a beaucoup d’humour dans cette histoire algérienne (nous on s’en était rendu compte depuis longtemps à El Harrach-Alger),  il interroge :« Comment  faire en sorte que nous puissions envoyer des signes politiques, culturels, démocratiques, humains, en direction de toute cette jeunesse … ?». Mais bon sang, c’est à n’y rien comprendre : rédacteur de ce rapport de propositions, il avait là une occasion en or pour le faire, et de le faire brillamment. Qu’est ce qui l’a fait changer d’avis entre le 18 mars 2019, où on l’attendait par la porte, et le mercredi 20 janvier où il déboulé par la fenêtre ?  On n’est pas dans le secret des dieux.

Sa deuxième question, ce jour là concerne  l’anticipation, dans le cours même du développement, de ce que certains appellent la deuxième révolution «culinaire des bananes » algériennes, de la mise en place d’un espace méditerranéen pour encourager : l’exercice démocratique, la presse libre, les intellectuels, les journalistes, le mouvement des femmes, l’enseignement de l’histoire…etc. Il n’y a donc plus que la dernière République Algérienne qui entraverait la mise en place de son espace méditerranéen ? Cela ressemble fort au projet de l’UPM (Union Pour la Méditerranée) porté par Nicolas Sarkozy, décrit par le cercle des économistes et Hubert Védrine (ancien secrétaire général de l’Elysée de 1991 à 1995, ministre des Affaires étrangères, signataire d’un rapport remarqué sur la France et la mondialisation !) dans leur feuille de route 5+5=32, Ed. Perrin, 2007. Il y est précisé : «Ce livre est le premier à éclairer de manière aussi acérée l’avenir de la Méditerranée».

J’ai trouvé les réponses à mes quelques questionnements sur les propositions faites par B. Stora, dans l’excellente contribution de Sadek Sellam, intitulée : France-Algérie: Les crimes Coloniaux, Le Numérique et Benjamin Stora. En effet, comment peut-on déjà proposer de numériser une histoire qui n’est même pas écrite et des archives encore inaccessibles totalement? C’est le nouveau monde, le monde à l’envers.

Candidat à l’Elysée, E. Macron  avait déclaré, Le 14 février 2017, que « La colonisation fait partie de l’histoire française (…). Ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face en présentant aussi nos excuses à l’égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes ». Le 20 janvier 2020, l’Elysée  réagit par un tweet « ni repentance, ni excuses ». Les promesses n’engagent que ceux qui y croient, et ne font que le remuer le couteau dans les plaies.

En lisant, et il faut continuer à le lire, « Décoloniser l’histoire » de Mohamed Sahli (Ed. François Maspero, 1965), et en écoutant Jean-Michel Apathie : https://www.youtube.com/watch?v=HuEquow4Hf4&feature=emb_logo, qui n’a pas fait de blague cette fois-ci sur les positions du Kamasutra de notre commandeur, concernant la mémoire des crimes contre l’humanité commis Algérie.

Bêtement, dans mon théorème des « inversions des valeurs »,  je me suis amusé à mettre bout à bout les déclarations citées précédemment, et cela pourrait donner : ni repentance, ni excuses, pour les crimes contre l’humanité.

« Le conte » n’est pas bon.

Ils réagissent au rapport de Benjamin Stora


Olivier Le Cour Grandmaison, historien :

“Ce rapport comporte certaines propositions concrètes, mais il demeure en deçà de ce qu’on aurait pu attendre sur deux points essentiels, au moins. Le premier concerne l’accès aux archives. Le rapport recommande d’appliquer la loi de 2008, mais il reste muet sur les dispositions actuelles qui entravent l’accès aux archives. Ce qui constitue une atteinte particulièrement grave à la liberté de la recherche. Le rapport est également très en deçà de ce qu’on aurait pu attendre concernant la reconnaissance des crimes coloniaux. En effet, Benjamin Stora, conformément sans doute aux attentes du chef de l’État, s’abstient de demander la reconnaissance des crimes coloniaux commis par la France en Algérie, non seulement au cours de la dernière guerre (1954-1962), mais aussi tout au long de la conquête et de la colonisation sanglantes du territoire algérien. Plus singulier, Benjamin Stora les euphémise sinistrement en les qualifiant d’exactions. Une recherche consacrée au vocabulaire employé dans ce rapport permet de montrer que la qualification de ‘crime de guerre’ n’est jamais employée. De ce point de vue, le Benjamin Stora devenu conseiller de l’actuel président de la République oublie le Benjamin Stora historien qui sait pertinemment que la torture, les disparitions forcées, les déportations imposées à des millions de civils algériens au cours de la guerre peuvent être qualifiées de crimes de guerre, voire de crimes contre l’humanité. De même, qualifier les massacres du 17 Octobre 1961 à Paris de répression, sans plus de précision, est parfaitement inadéquat eu égard à l’ampleur de ce qui a été perpétré alors par les forces de l’ordre agissant sous l’autorité du préfet de police, Maurice Papon. Enfin, sans reconnaissance officielle, claire, précise et circonstanciée de ces crimes coloniaux, la réconciliation tant vantée restera un vœu pieux. Quant aux descendants des victimes, qu’ils soient Français ou Algériens, ils seront toujours en butte à des discriminations mémorielles et commémorielles inacceptables. Emmanuel Macron, candidat, avait déclaré que ‘la colonisation [était] un crime contre l’humanité’. Emmanuel Macron, chef de l’État, doit désormais le dire haut et fort à l’occasion des différentes commémorations qui s’annoncent.” 

Patrice Reciputi, enseignant d’histoire et co-fondateur du site 1000 autres.org : 
l “L’exercice qui a été demandé à Benjamin Stora est compliqué. Ses propositions sont néanmoins intéressantes. Il préconise par exemple que l’État français reconnaisse sa responsabilité dans l’assassinat de l’avocat Ali Boumendjel. Cela est à mon avis très important. J’aurais souhaité, cependant, que cette demande de reconnaissance soit élargie à toutes les autres victimes des disparitions et des assassinats. Mais on comprend bien que le président Macron ne veut pas aller plus loin, par crainte d’être accusé de promouvoir ce que la droite et l’extrême droite appellent la repentance. Quand on entend le discours politique actuellement avec un Premier ministre qui parle d’autoflagellation en évoquant le colonialisme et un ministre de l’Éducation qui accuse les universitaires spécialisés dans la recherche sur le colonialisme d’être des séparatistes, on se rend compte que le gouvernement français n’est pas prêt du tout à regarder les choses telles qu’elles sont. Le président de la République va faire son marché dans le rapport de Benjamin Stora en fonction de ses intérêts politiques et électoraux, et il va choisir des propositions qui ne vont pas le mettre en danger politiquement.”  

Pierre Mansat, président de l’Association Josette et Maurice-Audin : 
“Le rapport me paraît tout à fait raisonnable. Il comporte des propositions concrètes qui devront permettre d’avancer de manière sérieuse et d’ouvrir des champs de réflexion entre l’Algérie et la France. Même si le rapport est adressé au président Emmanuel Macron, il faudrait, néanmoins, qu’il fasse écho dans la société française et en Algérie, et qu’il aboutisse à des actions concrètes. Le rapport de Stora pourrait avoir, toutefois, un aspect assez vain si, par exemple, les historiens n’ont pas accès aux archives comme c’est le cas actuellement avec le raidissement de la législation dans ce domaine en France.”

Pierre Audin, fils de Maurice Audin : 
“Le rapport préconise la réconciliation des mémoires. Il est évident qu’il faut regarder l’histoire en face et solder le passé pour repartir sur de bonnes bases. Mais pour que cela soit possible, il faut aussi tenir compte du présent. La France qui souhaite entretenir de bonnes relations avec l’Algérie ne peut pas utiliser sa politique des visas pour repousser les Algériens ou fermer les yeux sur la répression actuelle de militants politiques et de journalistes.”

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Cette entrée a été publiée le 5 février 2021 par dans ALGERIE, COLONIALISME, CRIMES DE GUERRE, DEVOIR DE MEMOIRE, ETAT POLICIER, FRANCE.
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