12 MARS 2021 PAR DAN ISRAEL Médiapart
La Cour de cassation a confirmé le 3 mars la condamnation de Laura Pfeiffer pour « violation du secret professionnel ». C’est sa quatrième condamnation en cinq procès, en sept ans de combat judiciaire sur un dossier devenu un symbole.
Après sept ans de procédure, une condamnation définitivement confirmée par la Cour de cassation. Laura Pfeiffer, l’emblématique inspectrice du travail qui se bat contre Tefal depuis que l’entreprise a estimé en 2013 qu’elle lui était nuisible, a vu sa dernière condamnation confirmée par la juridiction suprême le 3 mars, comme l’a révélé Le Monde.La Cour de cassation lui reproche, tout comme la cour d’appel, d’avoir rendu publics des documents confidentiels, obtenus dans le cadre de ses fonctions.
Ce qui est devenu « l’affaire Tefal » trouve son origine en Haute-Savoie. Laura Pfeiffer, chargée de suivre l’entreprise, l’un des plus gros employeurs de la région, est convoquée un jour de 2013 par son supérieur hiérarchique, le directeur départemental du travail. Il lui reproche vivement de vouloir « mettre le feu dans cette grosse entreprise » en demandant une renégociation de l’accord sur la réduction du temps de travail, qu’elle juge illégal. Il lui intime l’ordre de revoir sa position rapidement. Très éprouvée par la situation, l’inspectrice est mise en arrêt de travail.
Quelques mois plus tard, dans un courriel anonyme qui lui a été adressé par un informaticien de Tefal, licencié depuis, l’inspectrice du travail découvre des mails attestant de la grande proximité entre son supérieur et l’entreprise. Les documents, accablants, que Mediapart s’était à l’époque procurés, montrent que l’entreprise a fait pression pour que la jeune femme ne s’occupe plus de son cas, demandant même sa mutation.
La jeune femme a été condamnée en première instance à Annecy en décembre 2015, provoquant une vive émotion des syndicats et des salariés de Tefal (lire notre reportage lors de l’audience), puis en appel à Chambéry en novembre 2016. En octobre 2018, sa condamnation avait pourtant été annulée une première fois par la Cour de cassation, qui a suivi l’argumentation de Laura Pfeiffer. Cette dernière s’appuyait sur la loi du 9 décembre 2016 sur les lanceurs d’alerte, dite « loi Sapin II », entrée en vigueur après la première décision en appel.
Elle demandait que son informateur et elle soient considérés comme des lanceurs d’alerte, et que la notion de secret professionnel ne leur soit donc pas appliquée. La Cour de cassation avait décidé que la loi « Sapin II » s’appliquait bien à son cas et qu’il y avait donc lieu « de procéder à un nouvel examen de l’affaire au regard [des] dispositions plus favorables » de la loi.
Mais en octobre 2019, après avoir procédé à ce nouvel examen du dossier, la cour d’appel de Lyon avait à nouveau condamné Laura Pfeiffer. Elle devait payer 3 500 euros d’amende avec sursis, comme en première instance et en appel. Et là où les précédentes juridictions lui avaient demandé de verser un euro symbolique aux cinq parties civiles (la société Tefal et quatre personnes physiques), la cour d’appel de Lyon jugeait cette fois qu’elle devait leur régler 1 000 euros en tout.
C’est sur ce dernier point seul, selon Le Monde, que la Cour de cassation a rouvert le débat, en demandant à la cour d’appel de tenir une nouvelle audience pour statuer définitivement sur la somme que Laura Pfeiffer aura à verser aux parties civiles. L’inspectrice du travail réfléchit à poursuivre son combat judiciaire devant la Cour européenne des droits de l’homme.
Nous republions ci-dessous notre article du 24 octobre 2019, paru à l’occasion de la deuxième décision de la cour d’appel :
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Pour son quatrième passage devant la justice, Laura Pfeiffer a écopé d’une troisième condamnation. L’emblématique inspectrice du travail, qui se bat contre Tefal depuis que l’entreprise a estimé en 2013 qu’elle lui était nuisible, a été condamnée par la cour d’appel de Lyon, ce jeudi 24 octobre, pour avoir rendu publics des documents confidentiels.
« Après l’audience qui a eu lieu en septembre, je n’étais pas trop optimiste. Je ne suis donc pas surprise par cette décision, mais c’est toujours une déception, commente l’inspectrice du travail auprès de Mediapart. Et maintenant, c’est la colère qui prend le pas. Cela fait six ans que cela dure pour moi, et les jugements restent les mêmes. »
Ce qui est devenu « l’affaire Tefal » trouve son origine en Haute-Savoie. Laura Pfeiffer, chargée de suivre l’entreprise, l’un des plus gros employeurs de la région, est convoquée un jour de 2013 par son supérieur hiérarchique, le directeur départemental du travail. Il lui reproche vivement de vouloir « mettre le feu dans cette grosse entreprise » en demandant une renégociation de l’accord sur la réduction du temps de travail, qu’elle juge illégal. Il lui intime l’ordre de revoir sa position rapidement. Très éprouvée par la situation, l’inspectrice est mise en arrêt de travail.
Quelques mois plus tard, dans un courriel anonyme qui lui a été adressé par un informaticien de Tefal, licencié depuis, l’inspectrice découvre des mails attestant de la grande proximité entre son supérieur et l’entreprise. Les documents, accablants, que Mediapart s’était à l’époque procurés, montrent que l’entreprise a fait pression pour que la jeune femme ne s’occupe plus de son cas, demandant même sa mutation.
Laura Pfeiffer (au premier rang à droite) lors d’une audience, en juin 2015. © Rachida El Azzouzi
La fonctionnaire était poursuivie pour « recel de violation du secret des correspondances et violation du secret professionnel », parce qu’elle a transmis les mails aux syndicats. La jeune femme a été condamnée en première instance à Annecy en décembre 2015, provoquant une vive émotion des syndicats et des salariés de Tefal (lire notre reportage lors de l’audience), puis en appel à Chambéry en novembre 2016.
En octobre 2018, sa condamnation a pourtant été annulée par la Cour de cassation, qui a suivi l’argumentation de Laura Pfeiffer. Cette dernière s’appuyait sur la loi du 9 décembre 2016 sur les lanceurs d’alerte, dite « loi Sapin II », entrée en vigueur après la première décision en appel. Elle demandait que son informateur et elle soient considérés comme des lanceurs d’alerte, et que la notion de secret professionnel ne leur soit donc pas appliquée.
Laura Pfeiffer soulignait auprès de Mediapart que son informateur lui avait « transmis ces documents de bonne foi, de manière désintéressée, pour [lui] venir en aide, sans faire preuve de malveillance délibérée vis-à-vis de son employeur ». Elle rappelait également avoir aussitôt « joué la transparence, informé immédiatement le procureur et l’administration de ces pressions, pour défendre [son] indépendance ».
La Cour de cassation avait décidé que la loi « Sapin II » s’appliquait bien à son cas et qu’il y avait donc lieu « de procéder à un nouvel examen de l’affaire au regard [des] dispositions plus favorables » de la loi. C’est à ce nouvel examen que la cour d’appel de Lyon vient de procéder. Sans changer la donne, voire en l’aggravant.
Laura Pfeiffer est à nouveau condamné à 3 500 euros d’amende avec sursis, comme en première instance et en appel. Mais là où les précédentes juridictions lui avait demandé de verser un euro symbolique aux cinq parties civiles (la société Tefal et quatre personnes physiques), elle devra cette fois leur régler 1 000 euros en tout.
« Ce n’est pas possible d’être condamnée juste pour avoir fait son travail », a réagi l’inspectrice du travail après la lecture de l’arrêt ce jeudi. « Nous irons à nouveau en cassation, et je poursuivrai, s’il le faut, jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme », indique à Mediapart son avocat, le célèbre défenseur des libertés publiques Henri Leclerc, qui se dit « choqué » par cet arrêt « très décevant ». Laura Pfeiffer nous a d’ailleurs déclaré avoir déjà déposé son pourvoi.
Me Leclerc rappelle que le Conseil national de l’inspection du travail, instance consultative chargée de défendre cette profession, a conclu dès 2014 que Tefal et le Medef local avaient attenté à l’indépendance de l’inspectrice et que leurs accusations de partialité et d’acharnement étaient « dépourvues de fondement ». En 2017, le ministère du travail, contraint et forcé par le tribunal administratif, a reconnu les nombreux arrêts de travail de sa fonctionnaire, qui travaille désormais en Guadeloupe, comme constitutifs d’un « accident de service ».
« Il y a actuellement une très mauvaise ambiance autour de l’Inspection du travail », souligne Henri Leclerc, qui fait le lien avec la polémique opposant actuellement les syndicats et la ministre du travail Muriel Pénicaud. Les deux parties s’affrontent sur la pertinence et la légalité du « droit de retrait » exercé par les conducteurs de train partout en France, à la suite de la collision du 15 octobre dans les Ardennes.
Deux inspecteurs du travail ont préconisé que la SNCF arrête de faire circuler des trains avec un seul conducteur à bord, sans contrôleur. Mais la ministre a balayé publiquement leurs arguments sur France Inter, qualifiant le mouvement social de « grève illégale », ce qui a déclenché les protestations des syndicats d’inspecteurs du travail, dont les relations avec leur tutelle sont extrêmement tendues depuis plusieurs mois (lire notre enquête sur ce malaise de plus en plus prégnant).
Dans un communiqué relayé par Sud-Solidaires, les organisations syndicales du ministère du travail (CGT, CNT, FO, FSU et Sud) critiquent la décision de la cour d’appel. « Pour ces juges, c’est l’inspectrice la délinquante, pas l’entreprise qui commet pourtant des infractions relevées par procès-verbal, toutes classées sans suite par cette même justice, regrettent les syndicats. Le message envoyé aux employeurs est clair : les pressions indues peuvent continuer à s’exercer dans l’impunité la plus totale. »
Laura Pfeiffer est sur la même ligne : « Le peu de personnes qui osent élever la voix se font taper dessus, lance-t-elle. Je suis fatiguée du monde dans lequel on vit. »