27 MARS 2021
Les Algériens sont sortis en nombre le 26 mars 2021, 110e vendredi du hirak et troisième après sa reprise, dans différentes villes du pays.
A Alger, et comme de coutume, ils étaient des milliers à sillonner les parcours habituels, respectivement depuis Belouizdad, Bab El Oued et les hauteurs de Didouche Mourad. Si la mobilisation n’est pas, bien entendu, similaire à celles enregistrées lors des premières semaines du hirak en 2019, il n’en demeure pas moins que l’affluence est toujours là, après la reprise des marches à l’occasion de son deuxième anniversaire, le hirak ayant décidé d’un arrêt, qui a duré près de huit mois, pour cause de coronavirus.
A cet effet, lors de ce vendredi, les manifestants ont tenté d’afficher leur «union» quant à l’«objectif commun», une manière de réagir aux différentes polémiques qui ont éclaté ces derniers temps, principalement celles relatives aux clivages idéologiques.
Le slogan «Djazair hourra démocratia» (Algérie libre et démocratique), cher au camp démocratique, a été inscrit sur deux banderoles portées séparément par des manifestants venant de Belouizdad et Bab El Oued, aux côtés bien entendu de celles portant le slogan «Dawla madania machi askaria» (Etat civil non militaire). Beaucoup de pancartes brandies ont également porté des appels à l’union. «L’union et le pacifisme, seule voie menant vers la liberté», lit-on sur l’une d’elles. «Les Algériens khawa khawa», a par ailleurs été scandé à maintes reprises par de nombreux manifestants.
Rencontré au niveau de la rue Asselah Hocine, l’ex-député du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) a tenu à relever la «pluralité» de la manifestation, qui s’est ébranlée depuis Bab El Oued, marquée, entre autres, par la présence de plus en plus importante de femmes et de familles. Et comme d’habitude, l’étendard amazigh est toujours présent dans cette manifestation. «Ils ont voulu nous diviser avec la question identitaire, et ils n’ont pas réussi.
Aujourd’hui, ils essaient de faire la même chose avec l’idéologie», nous dira un citoyen. Un autre criait à tue-tête : «Le hirak assiégé», réagissant probablement toujours à ces polémiques. «Je suis là et je ne suis pas membre de Rachad ni l’un de ses sympathisants», nous dira un autre, visiblement excédé par les propos de certains qui veulent présenter le hirak comme étant sous l’influence de cette organisation.
Rue Didouche Mourad, le président du RCD, Mohcine Belabbas, celui de l’Union démocratique et sociale (UDS), non agréée, Karim Tabou, et l’avocat et défenseur des droits de l’homme Mustapha Bouchachi ont marché ensemble aux cris, entre autres, de «Djazair hourra démocratia».
Pas loin de la Faculté centrale, des manifestants ont affirmé via une banderole que «La révolution n’a pas été impulsée par un quelconque parti politique, mais elle est l’émanation du peuple».
Bien sûr, les marcheurs ont scandé les slogans habituels, remettant en cause la légitimité de l’élection présidentielle du 12 décembre 2019, le processus en cours, par conséquent l’élection législative anticipée du 12 juin, avec le slogan «Makanch intikhabat maa el îssabat» (Pas d’élections avec les bandes), ou encore ceux réclamant un «Etat civil non militaire». Celui s’en prenant aux «services», apparu depuis le retour du hirak à la suite des accusations de torture lancées par l’ancien détenu l’étudiant Walid Nekiche, a été également scandé.
Des manifestants ont aussi exprimé leur «soutien» aux youtubeurs établis à l’étranger et contre lesquels des mandats d’arrêt internationaux ont été lancés depuis quelques jours, selon un communiqué du procureur de la République près du tribunal de Bir Mourad Raïs pour des chefs d’accusation liés au terrorisme.
A noter, en dernier lieu, que comme d’habitude les marches d’hier de la capitale n’ont pas connu d’incidents, hormis l’empêchement par des policiers l’installation des manifestants sur la rampe Mustapha Ben Boulaïd, qui surplombe la rue Asselah Hocine, passage obligé de la manifestation de Bab El Oued. Ce qui avait fait dire à beaucoup de marcheurs que les services de sécurité ont probablement voulu faire en sorte qu’il n’y est pas d’images de la manifestation depuis ce lieu.
Par ailleurs, quelques interpellations ont été enregistrées à la fin de la marche. Selon des informations, il est question de l’ancien détenu Mohamed Tadjadit, de l’étudiant Abdennour Aït Said, très engagé dans le hirak du mardi, et deux de ses camarades.
Marches du hirak : De nouveau le recours aux arrestations
Des marches violemment réprimées à l’ouest du pays et des interpellations de manifestants dans 15 wilayas… Le pouvoir semble avoir réactivé sa stratégie répressive pour mater le mouvement populaire pacifique qui a repris ses marches depuis le 22 février dernier.
Ce qui s’est passé vendredi dernier à l’occasion du 110e vendredi du hirak laisse croire, en tout cas, que la «trêve» est définitivement rompue. En effet, à Oran, ville où on a assisté depuis le 22 février dernier à des tentatives d’empêcher une reprise des manifestations du hirak, la répression des citoyens pacifiques a atteint, avant-hier, un niveau inquiétant.
Les vidéos et les images postées par des internautes sur les réseaux sociaux ont montré une violence inouïe de la part des policiers contre les manifestants : usage de gaz lacrymogènes, bousculades et matraquage. La scène a été suivie par des interpellations des participants à cette marche pacifique.
Outre la ville d’Oran, au moins 190 manifestants ont été arrêtés dans 15 wilayas, en l’occurrence Alger, Blida, Oran, Batna, Laghouat, M’sila, Tiaret, Saïda, Skikda, Relizane, El Bayadh, Boumerdès, Mila, Mostaganem et Sétif. Si la majorité des manifestants interpellés ont été relâchés en début de soirée, une dizaine d’autres sont placés en garde à vue et devront être présentés devant la justice aujourd’hui. Parmi ces derniers, il y a l’ancien détenu d’opinion Mohamed Tadjadit, l’étudiant Abdennour Aït Saïd, Abderrahmane Jaber Righi et Mehieddine Abdelfettah.
«Comme à l’accoutumée, les tenants du pouvoir de fait ignorent les aspirations du peuple algérien, mobilisé depuis le 22 février 2019 pour un changement démocratique et pacifique, et usent de la violence et de la violation des moindres droits humains pour un passage en force d’une feuille de route frappée par le discrédit et le rejet», dénonce l’avocate et membre de la direction du RCD, Fetta Sadat, dans un texte posté sur sa page Facebook, rappelant que «la liberté de manifestation pacifique est garantie par la Constitution algérienne en son article 52».
Selon elle, «cette répression, la violation des droits et libertés ne sont qu’une simple fuite en avant de la part d’un système incapable d’être porteur de solutions car frappé d’illégitimité». «Adoptant un comportement autiste, empreint de déni et d’un entêtement irresponsable, le régime en place espère pouvoir perdurer en étouffant toute voix discordante, et ce, par une violation des droits et libertés consacrés par la Loi fondamentale du pays et par les conventions internationales dûment ratifiées par l’Algérie», ajoute-t-elle, en préconisant «la vigilance et la mobilisation».
Dans un communiqué rendu public vendredi soir, la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH) exprime sa solidarité avec les manifestants du hirak et «dénonce cette répression». «La LADDH réitère son appel à l’arrêt de la répression et de la diabolisation du hirak, la libération de l’ensemble des détenus d’opinion et rappelle le respect des libertés publiques et droits humains», lit-on dans un communiqué signé par Saïd Salhi.
La LADDH, lit-on dans le même communiqué, «interpelle le pouvoir pour l’abandon de sa feuille de route autoritaire, qui menace plus que jamais la cohésion et la stabilité nationales». «Elle appelle la population à la vigilance et à demeurer dans le stricte cadre pacifique et unitaire face à toutes les tentations de sa division et sa diabolisation», lit-on dans le même communiqué.
Marche empêchée hier 27 mars 2021 à Alger
Quelques dizaines de personnes ont tenté d’organiser une nouvelle marche hier à Alger.
Rassemblés à proximité de la Grande-Poste, les protestataires, vite encerclés par des renforts de policiers, ont pris la direction de la rue Larbi Ben M’hidi en reprenant en chœur des slogans habituels du hirak. «Daoula madania, machi 3askaria» (Pour un Etat civil et non pas militaire) » lancent-ils.
Les manifestants ont été interceptés et dispersés au niveau de la place de l’Emir Abdelkader. On dénombre, selon des témoins oculaires, plusieurs interpellations.
Parmi les personnes arrêtées, il y avait le journaliste Khaled Drareni, qui se trouvait sur les lieux pour assurer la couverture de l’événement. Il a été relâché quelques minutes plus tard. M. M.
Le hirak ne peut plus se rassembler face au siège de la wilaya à Oran : Le service d’ordre use de gaz lacrymogènes pour dissuader les manifestants
Le rassemblement devant le siège de la wilaya d’Oran, point de chute du hirak depuis ses débuts, est désormais interdit depuis la reprise du mouvement en février dernier. Un dispositif de sécurité impressionnant est depuis lors déployé en contrebas, du côté de la direction de l’éducation, pour dissuader les hirakistes d’atteindre l’espace attenant à cet édifice étatique.
La tentative menée vendredi dernier (26 mars) et visant à briser le cordon de sécurité s’est heurtée à l’intransigeance des forces de l’ordre, qui n’ont pas hésité à user de gaz lacrymogènes pour disperser les contestataires, principalement les plus déterminés qui n’ont pas accepté que cette petite partie de leur itinéraire habituel leur soit interdite.
Il s’en est suivi des cris de colère pour certains et des pleurs pour d’autres, car le cortège est également formé, comme à l’habitude, de familles entières et donc aussi d’enfants. Les gaz en question sont évidemment indisposants et c’est le but de leur usage. N’empêche, selon des témoins, «une femme aurait été évacuée vers l’hôpital du fait des effets toxiques de ces produits utilisés par les brigades antiémeute pour disperser les manifestants».
Aussi, relayées par les réseaux sociaux et appuyées par les dires d’un des avocats ayant l’habitude de participer aux marches mais aussi de défendre les hirakistes, «des interpellations auraient eu lieu dans le tas», mais on ignore leur nombre car les concernés auraient sans doute été relâchés le jour-même après que les choses se soient calmées.
En effet, jusque-là, depuis la reprise, les manifestants semblaient s’être résignés à accepter le fait accompli mais, cette fois, certains irréductibles du hirak ont voulu forcer le cordon de police pour poursuivre la marche jusqu’à son point ultime.
«La situation aurait été plus grave n’était la sagesse qui a prévalu au sein du mouvement avec des hirakistes qui ont réussi à tempérer la colère des plus jeunes qui ont voulu aller à l’affrontement avec la police», explique un participant, qui dit s’être tenu à l’écart au moment des faits. Sur place, le caractère pacifique du hirak est encore une fois rappelé et, de toutes les façons, durant la marche, malgré la présence policière, aucun incident n’a été signalé.
Ce jour-là, la pancarte sur laquelle est apposé le slogan «Silmiya» (pacifique) est toujours brandie par des contestataires. Le lieu en question est autant symbolique pour les manifestants que pour les tenants de l’ordre établi.
Les premiers veulent porter leur voix jusque devant ce symbole de l’Etat et donc du pouvoir, et les seconds, après l’élection présidentielle et le «retour à la légalité constitutionnelle», considèrent sans doute que le hirak n’a plus de raison d’être.
Il faut savoir de ce fait que ce n’est pas la première fois que la police use de la force pour tenter de contenir le hirak à Oran. Vendredi 12 mars, c’est toute la marche qu’on a essayé d’interdire. Les manifestants n’ont pas été autorisés à se rassembler sur le lieu de départ habituel.
Ils se sont alors rassemblés juste en face et, dans un premier temps, on les a même empêchés d’entamer la marche, d’où là aussi, toujours selon des témoignages, l’usage de gaz lacrymogènes. Ce jour-là, malgré un retard sur l’horaire habituel, la marche a finalement eu lieu en empruntant l’itinéraire habituel, mais seulement jusqu’aux alentours du Lycée Lotfi. Il n’était pas question d’aller devant le siège de la wilaya, un espace désormais bouclé tous les vendredis.