Nous avons assisté la semaine passée à un réveil de la macronie locale. Etirements verbaux, suite à une longue sieste de plus de 4 longues années, et interventions médiatiques, nous avons eu droit à un festival. Un vrai marché de Noel où l’on vend de la pacotille hors de prix. On pourrait en sourire tant les ficelles sont grosses. Mais sur le sujet de la santé publique et de la situation du CHR d’Orléans il y a plutôt de quoi pleurer et pas des larmes de crocodile comme le font, avec une adresse de bourrins, politiques et directions hospitalières.
C’est toujours aussi déconcertant de voir les principaux responsables de cette situation de crise se défiler. Totalement responsables de ce crime sanitaire : l’assassinat méthodique et réfléchi des hôpitaux publics depuis trente ans ou même plus.
Pour souligner la colère qui envahit le monde hospitalier quelques rappels.
La gestion comptable de l’hôpital a été mise en place avec de nombreux acteurs politiques encore en pleine fièvre électorale actuellement. Philippe Douste-Blazy, revenu sur le devant de la scène pour son soutien sans faille à l’illuminé de Marseille, Xavier Bertrand la girouette, candidat malheureux à la primaire des Républicains, Roselyne Bachelot, actuelle ministre de la culture, ah bon ?, Marisol Touraine, emportée après un mandat catastrophique, une des pires ministre de la santé que nous ayons connu, Agnès Buzyn et Olivier Véran, ministres aux ordres, fantoches du bon vouloir élyséen.
Pas un, pas une, n’a dérogé à cette règle imposée par le capitalisme libéral. Toutes et tous de bons petits soldats de l’orthodoxie budgétaire. Et c’est avec ces restrictions budgétaires qu’on a étouffé l’hôpital public. À Orléans comme ailleurs. La recette était simple, des coups de hache dans les dotations financières qui ont obligé les établissements à augmenter la productivité pour tenter de trouver un équilibre budgétaire. Année après année la valeur des actes a été diminuée avec le système de la T2A, obligeant les équipes soignantes à multiplier les actes pour tenir financièrement les objectifs fixés arbitrairement par les technocrates ministériels et leurs relais régionaux, les ARS (agences régionales de santé) et les directions d’établissements.
On a assisté à une fonte des emplois pendant que l’activité explosait. L’ouverture du nouvel hôpital, à la Source, a permis, sous prétexte de réorganisation du travail, d’augmenter dramatiquement le ratio malades/soignants. L’objectif de 15 patient-es pour une infirmière a été imposé contre l’avis des cadres de terrain et des équipes médicales. Une catastrophe pour la qualité des soins et l’usure du personnel. De conflits en conflits, de nombreux services ont réussi à imposer un autre ratio simplement en diminuant les lits. Mais là aussi la direction s’est frotté les mains en imposant une diminution du temps de séjour des patient-es. Moins de lits, moins de personnel mais plus de malades. La belle affaire que voilà.
Concrètement les directeurs sur le terrain, sont devenus de vrais patrons, gérant avec minutie les deniers publics, sauf quand il s’agit de leur gueule bien sûr. De vrais patrons on vous dit. Leur “syndicat” en rêvait, gauche et droite aux affaires ont exaucé leurs voeux.
Logements de fonction, voitures, bons d’essence sans limite, dépenses diverses de repas et menus plaisirs, prime de servilité à faire rougir un PDG du CAC 40, ils ne se sont rien refusés. Même la prime de 1500 euros destinée au personnel en première ligne face à l’épidémie de COVID ne leur a pas échappé.
Braves serviteurs de l’Etat à l’abri dans leurs bureaux. Ils et elles l’ont empochée sans bruit. En parallèle, ils n’ont pas arrêté de chipoter sur le versement de cette prime COVID aux infirmières et aide-soignantes qui travaillaient sans protection. Manquait un jour pour en bénéficier ? : “Pas de chance Madame ! Vous avez risqué votre vie à travailler sans gants, sans casaque ou sans masque, félicitations et merci”. Le mépris de classe habituel qui règne en maitre dans les directions hospitalières.
Le résultat de cette gestion lamentable du tout pour ma gueule et rien pour le personnel
Une crise professionnelle sans équivalent dans l’histoire sanitaire française. Les collectifs de soins ont explosé, les hospitaliers se sont sentis seuls, abandonnés, méprisés et trahis. Loin de leur idéal professionnel appris durement pendant leurs études, ils se sont retrouvés comme à la mine creusant sans cesse, sans horizon, avec des salaires de merde, exposés au burn-out de leurs collègues qui craquent les uns après les autres (à quand leur tour ?) et sans perspectives de carrière.
Sans illusion aussi sur les syndicats qui, soit accompagnent servilement la descente aux enfers CFDT en tête, soit se heurtent à l’intransigeance patronale avec très peu de résultats comme SUD et la CGT. L’isolement au boulot avec la sectorisation à outrance, la disparition quasi totale des temps de transmission et des moments de respiration comme le temps de repas, a achevé toute démarche et action collective. C’était le but recherché par une direction avide de pouvoir total sur les individus.
La COVID a été le coup de grisou fatal.
Une fuite phénoménale historique des collègues vers ailleurs et autre chose. Se mettre à l’abri coûte que coûte. Sauver sa peau. Peut-on leur reprocher ? Ne plus rien attendre de ces patrons aussi sinistres que cyniques, voilà ce qu’ont en tête trop de collègues. Pire, les étudiant-es, diplôme en poche, fuient l’hôpital comme la peste. Et certaines écoles ne font même plus le plein. Bravo les patrons hospitaliers.
Toutes les propositions émanant des équipes médicales, des services, de l’encadrement de terrain, des représentants du personnels sont ignorées et balayées d’un revers de main. Une seule parole divine, celle de nos exploiteurs. Intouchable, tout puissant, inaltérable, le pouvoir du directeur est incontestable et l’hôpital en crève. Et quand on y rajoute la médiocrité et l’incompétence, nous sommes vraiment mal barrés.
Un des derniers exemples en date, le dossier des promotions professionnelles.
Une gestion ahurissante. C’est le seul moyen de progression de nombreux collègues. Faire des études sur le temps de travail tout en acquérant une qualification supérieure. Les établissements de leur côté financent et récupèrent, en fin d’études, du personnel qualifié avec un engagement de servir plusieurs années.
Infirmières et aide-soignantes se tirent de l’hosto, que fait la cohorte patronale du CHRO ? Rien !
1 rien pour les retenir,
2 elle maintient le nombre de promotions professionnelles dans la misère totale. Moins de 10 étudiantes infirmières cette année lorsqu’il en manque 90, chiffres des patrons. On croit rêver.
3 la direction des soins invente une véritable usine à gaz pour sélectionner les prétendant-es. Un vrai concours de miss France sans les paillettes, mais avec les larmes. Et après avoir répondu au classement, sorte de parcours du combattant, chargé d’évaluer la motivation de l’esclave, on balaie le classement et le choix se fait à la gueule du client, le fait du Prince. Comme dans l’arène, pousse levé ou baissé. Un conseil, mieux vaut répondre à des critères qui, s’ils se révèlent réels et non pas une malheureuse coïncidence, pourraient entrainer certains responsables devant les tribunaux pour discrimination.
Dans un lointain passé, face à une situation de pénurie bien moins terrible que celle que nous traversons, la direction (les directeurs ne se prenaient pas pour des patrons à l’époque) finançait plus de 60 collègues avec les promotions professionnelles infirmières (20 par an) et des contrats à hauteur du SMIC en échange d’une obligation de servir 5 ans. Et 120 aide-soignantes !
L’autre, l’éternel, les urgences
La crise dure depuis plus de trente longues années. Face à l’effondrement des effectifs médicaux de la médecine de ville (le Loiret et le Centre Val de Loire, premier désert médical de France), face à la sous-médicalisation et de moyens en personnel des EHPAD, face au vieillissement de la population, face à la misère sociale, les urgences restent le seul lieu ouvert 24/24 dans le département. La fermeture des urgences des hôpitaux de proximité, les fermetures de lits et de services d’hospitalisations des grosses structures ont provoqué une explosion de l’activité. Et un engorgement de patients qui restent des jours sur des brancards, y meurent parfois, et de toutes les façons subissent une réelle perte de chance. La direction a décidé après des dizaines d’études, d’enquêtes, et des milliers d’heures de réunions de ne rien faire. Peu de moyens supplémentaires, le moins possible, et vive l’activité. Ça fait rentrer des sous. Génial, non ? Et si les gens crèvent sur des brancards, rien à foutre, j’aurais ma prime quand même.
Et que fait l’ARS ? Rien ! Ou plutôt si, des réunions, des comités Théodule , en charge des avis autorisés pour produire des rapports lénifiants ayant pour conclusion : “démerdez-vous !”
Pour la pénurie de médecins ? Un nouveau Numerus Clausus ! C’est comme le Beaujolais. Tous les ans il y en a un nouveau mais il est toujours imbuvable. Alors on l’a rebaptisé Apertus ! Mais c’est toujours la même bibine.
Combien de milliers d’heures de réunions de bureaucrates septièmes chefs aux épinards et de ministres plénipotentiaires pour ce coup de génie. Cédant à la toute volonté de puissance du Doyen de la fac de médecine de Tours et à l’objectif permanent d’économies, l’ARS du Centre Val de Loire a refermé vite fait l’ouverture. L’Apertus est de nouveau Clausus. A y perdre son latin.
Face à ces performances dans l’art de ne surtout rien faire, lessivés par l’offensive COVID et le sous- effectif permanent de médecins et de personnel paramédical, l’équipe des urgences dans sa totalité a fait une dizaine de propositions à la direction par écrit. Rien de bien révolutionnaire. Ils se placent totalement dans l’option : “on aura aucune aide sérieuse”. Ils s’adaptent à la pénurie et proposent des réorganisations internes des relations avec les services d’hospitalisation, une meilleure rémunération pour les éventuels coups de mains aux gardes épuisantes, une information du public sur leur difficultés et une demande de ne se présenter qu’en cas de véritable urgence. Encore une fois des mesures de bon sens.
Comme d’habitude le directeur a tout balayé d’un revers de main méprisant. Mais inquiet par la publicité faite dans la presse sur la situation des urgences il s’est empressé de se rendre au micro des médias pour proclamer haut et fort que tout était sous contrôle. Il ne faudrait pas perdre une seule consultation ou prise en charge. Non mais, ma prime si l’ARS me lâche !
Bien sûr sa gestion calamiteuse du CHR n’y est pour rien. Ce n’est pas de sa faute. C’est la méchante COVID. Oubliés la maltraitance du personnel, les économies à coup de trique, le refus des propositions syndicales et médicales, son passé au ministère où il a largement contribué à la mise en place des mécanismes qui ruinent les hôpitaux publics. Évincé de l’avenue de Ségur par Roselyne Bachelot, il ne rêve que d’y retourner loin des pouilleux des bas-fonds hospitaliers. Triste destin.
Deux ombres supplémentaires viennent obscurcir ce triste destin de directeur de province. Et même pas d’un CHU !
Une négociation obligatoire avec la représentation du personnel pour l’utilisation des budgets de misère supplémentaires alloués par le ministère et une obligation de résultats dont il devra rendre compte en haut lieu. Panique à la passerelle, je vais devoir négocier avec les galériens dans la soute et SUD, syndicat majoritaire, merde, merde.
Et toute son équipe qui continue comme d’habitude à dire non à tout. Il les a tellement conditionnés. Il n’en vient pas à bout. Ma prime, ma carrière ! Merde et remerde !
Et pire encore, affolée par l’image désastreuse de la macronie dans le monde hospitalier, les élections qui s’approchent et 5500 électeurs et électrices au CHR, 10000 dans le Loiret, les futures ex-députées du Loiret se réveillent.
Pendant que Caroline Janvier se lance dans une loi sur l’exposition des enfants aux écrans, sans doute utile, mais est-ce la priorité des priorités en ces temps de crise sociale et sanitaire ?
Tout à coup, sa copine, Stéphanie Rist se jette à son tour, corps et âme, dans le débat public. Belle coïncidence. Les sondages inquiétants l’ont, elle aussi, sortie de sa léthargie parlementaire. Habituée à tout voter sans se poser de questions, la voilà qui monte à l’assaut des médias. L’hôpital est en crise hurle t’elle ! Ah bon ? Première nouvelle dans ce monde de Bisounours macroniens qui vit avec la méthode Coué en livre de chevet depuis bientôt cinq longues années. Une crise à l’hôpital ? Vraiment ?
Et elle secoue le cocotier médiatique en tous sens. Il faut faire quelque chose. Vite une réunion avec l’ARS, la préfecture, le gentil doyen de la fac de Tours et toutes les huiles. Encore une crise de théodulite aigüe. Le tout c’est que l’électeur croit qu’elle se bouge. Médecin du CHRO, après s’être mis à dos la quasi-totalité des médecins de son hosto avec sa seule proposition de loi du quinquennat, il faut d’urgence recoller les morceaux. Et préparer son éventuel retour à la maison auprès de ce qui lui reste de proches. Et voilà notre triste directeur mis lui aussi à contribution. Faut te bouger pépère !
Mais il est un peu tard. On ne règle pas une crise systémique profonde par des effets de manches en quelques jours. Le mal est à l’oeuvre depuis des dizaines d’années. Et l’indifférence crasse des décideurs a marqué profondément hospitaliers, acteurs de santé et l’ensemble de la population. La tournure que prennent les pestilentielles avec leur lot quotidien d’insanités racistes et xénophobes fascisantes ne nous rassurent pas. Il serait plus que temps que s’arrête ce sinistre blabla et que des propositions sérieuses pour sauver l’hôpital public soient mises au débat. Et c’est ce que demandent l’immense majorité des électeurs et électrices sans oublier… les oubliés qui n’ont même pas le droit de vote.
Correspondante 14-12-2021