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France : Bas salaires : des mobilisations en entreprises, pas dans la rue !

Par Khedidja Zerouali Médiapart

Depuis plusieurs semaines, des mobilisations autour des bas salaires éclosent dans des entreprises et des secteurs peu habitués aux mouvements sociaux. Mais ces contestations, bien que dépassant les chapelles syndicales et les secteurs d’activité, restent calfeutrées dans les murs de l’entreprise.

Dans de nombreux secteurs d’activité, dans des entreprises, des magasins et des usines, la gronde autour des bas salaires se fait entendre. 

Après des négociations salariales annuelles souvent décevantes, de nombreux salariés ont décidé de débrayer, souvent pour la première fois de leur vie, pour réclamer de meilleurs salaires mais aussi une répartition plus juste des richesses dans des entreprises où les bénéfices battent parfois des records.

« Le modèle néolibéral de l’entreprise est à bout de souffle, analyse Sophie Beroud, professeure de science politique à l’université Lumière-Lyon 2. Les mobilisations qu’on vit actuellement sont assez inédites par leur ampleur et par le fait qu’elles aient lieu dans des entreprises qui se mobilisent peu habituellement. Le modèle construit sur l’individualisation, la part variable des salaires, ne tient plus et le décrochage entre les salaires des ouvriers et ceux des cadres, notamment de direction, qui perçoivent des actions, des stocks options, est de moins en moins accepté. »

Les résultats obtenus grâce à ces mouvements sociaux sont variables. À Leroy Merlin, une grève inédite du côté des entrepôts et des magasins a fait plier le géant du bricolage à la fin du mois de novembre : les salariés ont obtenu une augmentation de salaire d’au minimum 65 euros par mois, quand la proposition première de la direction était sensiblement inférieure. Toujours dans le groupe Mulliez, les salariés d’Auchan et de Decathlon continuent de débrayer, malgré un taux bien faible de syndicalisation dans les magasins. Le mot d’ordre est le même : une revalorisation des bas salaires et une plus juste redistribution de la richesse dans ces entreprises qui enregistrent des bénéfices records.

Grèves partout, augmentations salariales significatives (presque) nulle part 

Moins de réussite à Grigny, ville la plus pauvre de France, où les salariés de l’usine agroalimentaire Bergams auront fait grève jusqu’à la liquidation judiciaire. Pour eux aussi, la hausse des factures de chauffage, du prix du Caddie et du plein d’essence devenait insupportable, alors que, dans le même temps, leur feuille de paie s’amaigrissait à cause d’un accord de performance collective signé quelques mois plus tôt. Pour ces salariés, la déception a été grande. Après presque deux mois de grève, ils cherchent actuellement à séduire un repreneur. 

Du côté des Labeyrie, aussi, la déception a été à la hauteur de la longueur et de la dureté de la grève. Les syndicats n’auront obtenu qu’une augmentation de 2,25 % des salaires, quand les grévistes demandaient 10 %. Cette augmentation ne couvrira même pas l’inflation des prix à la consommation qui, en novembre, a été chiffrée à 2,8 % sur l’année. 

Et puis, il y a des endroits où la lutte autour des bas salaires est encore vivace, comme à Sephora, qui vit une grève inédite. Alors que le direction proposait une augmentation de 30 euros brut aux salariés percevant le Smic, ainsi que le versement de la prime inflation, les grévistes estiment qu’aucun salarié du très profitable groupe LVMH ne devrait être payé au Smic. 

Aussi, pour la première fois, à la mi-novembre, les animateurs périscolaires se sont fédérés au niveau national et ont fait grève pour une meilleure reconnaissance de leur métier mais surtout pour la revalorisation de leurs salaires. Une journée de mobilisation dans le secteur de l’animation est aussi prévue les 14 et 15 décembre. 

Et la liste des salariés en grève pour de meilleures rémunérations ne cesse de s’allonger : une grève nationale à Sanofi le 8 décembre, un débrayage dans les usines chimiques d’Arkema, situées dans le Nord, pour réclamer un meilleur partage des bénéfices. Même mot d’ordre chez Dassault Aviation à Biarritz, chez le transporteur Ziegler, dont un tiers des salariés sont en grève à Saint-Étienne, ou encore à l’usine Constellium d’Issoire, dans le Puy-de-Dôme, spécialisée dans la fabrication de tôles aéronautiques. Du côté d’Alstom, « les vendredis de la colère » mutent en grève, la CFDT et la CGT ayant appelé à un débrayage le 10 décembre, sur le site de Crespin, dans le Nord.

La grève des salariés aura poussé l’enseigne de bricolage Leroy Merlin, ultra-bénéficiaire, à élever le seuil minimal d’augmentation à 65 euros, pour tous les agents de maîtrise et les employés.

Il en va de même du côté du secteur social, avec, il y a quelques jours, la mobilisation nationale des travailleurs sociaux, qui s’inquiètent de leurs bas salaires, de leurs mauvaises conditions de travail et d’avoir été les grands oubliés du Ségur de la santé. 

Des syndicats dépassés ?

Et les syndicats sont loin de faire cavalier seul. Au contraire, dans plusieurs usines, à l’instar de Labeyrie, ce sont des salariés non syndiqués qui ont décidé de débrayer, et les syndicats ont suivi. 

« Je ne dirais pas qu’on a été dépassés mais c’est vrai qu’on a été surpris, commente Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT. Je pense que ce sont rejoints une préoccupation de longue date autour des salaires qu’ont les représentants syndicaux, qui ont un rôle souvent difficile, qui subissent beaucoup de pression, parfois même un peu de discrimination, qui ont du mal à se faire suivre et qui deviennent plus prudents, et, de l’autre côté, une exaspération de la part de salariés qui n’arrivent plus à finir le mois. »

À Leroy Merlin aussi les syndicats ont été étonnés par l’ampleur et la dureté de la grève. « Je ne sais pas à partir de quand on peut considérer qu’un mouvement social naît, mais à mon avis on assiste ici à la naissance d’un mouvement interprofessionnel, intersyndical, sur la question des bas salaires, analyse Romain Coussin, délégué syndical CGT central à Leroy Merlin. On a eu une couverture médiatique large, notre sort a été discuté par des élus politiques, on peut donner de nombreux exemples d’autres entreprises où des grèves ont éclaté pour les mêmes raisons. » 

Des rêves de grand soir et des manifestations modestes 

Si les rêves de grand soir, de ronds-points à nouveau occupés, de mobilisations de masse dans les rues animent les piquets de grève sur lesquels Mediapart s’est rendu ces dernières semaines, les responsables syndicaux restent, eux, prudents. 

« Les salariés se rendent bien compte que le problème dépasse leur entreprise, qu’il y a une situation plus large d’augmentation des prix, alors qu’ils sont toujours mal payés, estime Yves Veyrier, secrétaire général de Force ouvrière. Spontanément, tout un chacun se dit qu’il faudrait y aller tous ensemble. D’aucuns vous diront : “Moi j’irai, s’il y avait un mouvement.” Sauf qu’il faut rappeler que depuis la fin de l’été, les syndicats ont essayé de mobiliser sur la question des bas salaires dans la rue, mais ça prend peu. » 

Si on avait eu deux millions de salariés dans la rue lors de la journée de mobilisation du 5 octobre, le résultat n’aurait pas été le même

Yves Veyrier, secrétaire général de Force ouvrière

En effet, la manifestation du 5 octobre, pourtant prévue de longue date, avait réuni peu de monde. Comme nous l’avions déjà écrit, la CGT revendiquait 200 rassemblements et 160 000 manifestants à travers toute la France, dont 25 000 à Paris. Le ministère de l’intérieur comptait, de son côté, 85 400 manifestants dans l’Hexagone.

« Espérer un mouvement, c’est une chose, l’organiser et le réussir, c’est autre chose, sourit le secrétaire général de Force ouvrière. Si on avait eu deux millions de salariés dans la rue lors de la journée de mobilisation du 5 octobre, le résultat n’aurait pas été le même. »

Une contestation calfeutrée au sein de l’entreprise 

Un constat partagé par Romain Coussin : « Tout le monde regarde ce qui se passe dans son entreprise et on ne réfléchit pas assez ensemble, c’est bien dommage puisqu’on a des revendications souvent semblables. »

Pour Sophie Beroud, si la contestation autour des bas salaires reste cantonnée aux entreprises, c’est aussi dû à la décentralisation de la négociation collective : « Aujourd’hui, beaucoup de choses se jouent au niveau des entreprises, et non plus des branches. C’est difficile de sortir du cadre de l’entreprise quand la lutte autour de l’augmentation des salaires se joue uniquement à ce niveau-là, ça enferme la contestation d’une certaine manière. »

Par ailleurs, la référence au mouvement des « gilets jaunes » met encore mal à l’aise nombre de responsables syndicaux, à commencer par la CFDT, premier syndicat dans le secteur privé. « Je me suis fait pas mal critiquer, en novembre 2018, quand je disais que les soubassements des gilets jaunes me mettaient plus que mal à l’aise. Maintenant, plusieurs de leurs représentants sont du côté de l’extrême droite. En fait, je ne pense pas qu’il faut prendre les gilets jaunes comme un référentiel pour tous les mouvements sociaux. » 

Et d’ajouter que la mobilisation autour du pouvoir d’achat doit d’abord se faire dans les entreprises, dans les négociations de branche : « Ça fait du bien, pour un syndicaliste, de voir que les salariés prennent conscience que si leur pouvoir d’achat est faible, c’est surtout de la responsabilité du patron. C’est plus sain que de considérer que la question du pouvoir d’achat n’est à envisager qu’en rapport avec l’État ! Ceux à qui il faut d’abord demander des comptes, ce sont les patrons, qui doivent redistribuer beaucoup plus. »

Seulement, le gouvernement, qui a largement financé les entreprises lors de cette crise sociale, joue aussi un rôle important dans l’endiguement de la mobilisation autour des bas salaires, comme l’explique la politiste Sophie Beroud : « Le fait que le gouvernement ait mis en place une indemnité inflation est une manière de protéger les directions d’entreprise. L’État accorde cette prime ponctuelle pour que la question des bas salaires ne se pose pas de manière conflictuelle au sein des entreprises. » 

Vers une augmentation du Smic de 0,6 %

Et là où l’exécutif pourrait agir concrètement pour que les travailleurs les moins bien payés puissent vivre de leur salaire, il décide de ne pas le faire. 

Au 1er janvier 2022, le Smic devrait être revalorisé d’au moins 0,6 %, selon les recommandations du groupe d’experts mandatés par le gouvernement et qui a remis son rapport lundi 29 novembre, le comité ayant tablé sur une inflation moins forte que ce qu’elle est en réalité. Élisabeth Borne, ministre du travail, promet une augmentation au-dessus de ces recommandations, sans toutefois donner plus de détails et en assurant, sur BFM Business, que « depuis le début du quinquennat, [le gouvernement] est très attentif au pouvoir d’achat mais aussi attentif à ne pas alourdir le coût du travail. C’est pour ça qu’[il] a étendu la prime d’activité, pour ne pas peser sur ce coût du travail. »

De leur côté, les syndicats se mobilisent déjà pour une réelle augmentation du Smic, qui est à 1 258 euros net aujourd’hui. « L’augmentation du Smic n’est pas discutable, n’en déplaise au comité des experts du Smic qui, depuis des années, trouve de fausses raisons pour décourager tout coup de pouce salarial, estiment dans un communiqué commun publié le 8 décembre la CGT, FO, la FSU, Solidaires et des organisations de jeunesse… L’augmentation du Smic doit conduire à relever les minima de branches actuellement en dessous du salaire de base minimum. Dans le même temps, elle doit conduire à favoriser la négociation de l’augmentation de l’ensemble des grilles de salaires dans les conventions collectives. »

Par ailleurs, dans le secteur public, le gouvernement fait aussi montre de son manque de volonté. Dans un courrier adressé aux organisations syndicales, la ministre de la fonction publique, Amélie de Montchalin, a indiqué jeudi que les conditions n’étaient « pas réunies » pour revaloriser le point d’indice des fonctionnaires. La CGT, la FSU et Solidaires ont annoncé l’arrêt de leur participation au cycle de la conférence salariale. 

La seule mesure annoncée par la ministre aura été le relèvement du minimum de traitement pour qu’aucun agent ne soit embauché à un indice inférieur au Smic. Une annonce bien faible face à l’inflation des prix à la consommation, selon Murielle Guilbert codéléguée de l’union syndicale Solidaires : « Par exemple, dans le secteur public, les demandes de revalorisation du point d’indice n’ont pas abouti. Le gel du point d’indice dure depuis 11 ans. La ministre s’est contentée d’annoncer une mesure déjà prise, celle de la revalorisation accordée aux agents les moins bien payés, ceux en catégorie C. On pensait que cette période du confinement avait mis la lumière sur le fait que ceux et surtout celles qui font tourner la société sont aussi ceux et celles qui sont le moins bien payées. Mais finalement, les avancées du côté de la reconnaissance et du salaire n’arrivent pas. »

Du côté de Solidaires, après le lancement d’une campagne « Urgence salaires », les syndicalistes réfléchissent à une nouvelle journée de mobilisation nationale autour des bas salaires. 

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