Blanquer, un favori dont l’étoile pâlit
Olivier Faye Et Claire Gatinois
Les volte-face de l’exécutif sur la politique sanitaire dans les écoles ont fragilisé le ministre de l’Éducation.
La trousse était fermée, le cartable prêt à être rangé. A trois mois de l’élection présidentielle des 10 et 24 avril, Jean-Michel Blanquer gérait en pente douce la fin de son quinquennat au ministère de l’éducation nationale. L’ancien recteur, membre du cercle (restreint) des favoris de l’Elysée, faisait valoir son bilan dans les médias et travaillait à l’édification de son think tank, le Laboratoire de la République, destiné à alimenter la campagne d’Emmanuel Macron sur la laïcité et à combattre le « wokisme », un courant de lutte contre les discriminations, qui fragmente selon lui la société. C’était sans compter la lame de fond Omicron, qui défie toutes les certitudes accumulées depuis deux ans sur l’épidémie de Covid-19, et contribue à faire pâlir son étoile.
Depuis la rentrée du 3 janvier, les établissements scolaires sont plongés dans une pagaille qui met sous tension des millions d’élèves, de parents et d’enseignants. Les images de files d’attente interminables devant les pharmacies et les laboratoires afin de faire tester son enfant ont tourné en boucle à la télévision et sur les réseaux sociaux.
En huit jours, le gouvernement a déjà revu trois fois son protocole sanitaire. Et le ministre de l’éducation nationale subit une déferlante de critiques parmi les plus violentes qu’il ait eue à affronter depuis 2017. Les syndicats enseignants ont appelé à une journée de grève, jeudi 13 janvier, tandis que les parents d’élèves sont invités par leurs représentants à ne pas envoyer leurs enfants en classe ce jour-là.
Face à cette bronca, malvenue à l’approche de la présidentielle, le premier ministre, Jean Castex, a été contraint de monter au front. C’est lui, et non Jean-Michel Blanquer, qui s’est rendu sur le plateau du journal de 20 heures de France 2, lundi, pour annoncer une « simplification » du protocole. Désormais, plus besoin de passer par la case pharmacie : trois autotests, réalisés chacun à deux jours d’intervalle, suffiront pour les élèves qui ont été en contact avec un cas positif au Covid-19 dans leur classe. Onze millions de kits d’autotests doivent être acheminés dans les officines afin de répondre aux ruptures de stock, a affirmé le chef du gouvernement. De plus, les parents pourront finalement attendre la fin de la journée avant de récupérer leur enfant « cas contact ». Et ils n’auront plus qu’une seule attestation sur l’honneur à remettre pour certifier que ce dernier présente bien un test négatif lui permettant de revenir en cours.
Dans les rangs de l’opposition, l’intervention de Jean Castex a été perçue comme un camouflet cinglant à l’égard du ministre. « Après une semaine de cacophonie et de pénurie, Jean-Michel Blanquer est désavoué en direct par son premier ministre. La France a-t-elle encore un ministre de l’éducation nationale ? », s’est interrogé le président du groupe Les Républicains à l’Assemblée nationale, Damien Abad, qui avait dénoncé plus tôt un « protocole kafkaïen ».
« « Il faut de la clarté »
« Sa gestion est aussi cacophonique qu’arrogante. Blanquer est devenu un boulet pour Macron », juge le député (La France insoumise) de Seine-Saint-Denis, Alexis Corbière, tandis que le candidat d’Europe Ecologie-Les Verts, Yannick Jadot, a fustigé le « mépris » affiché selon lui envers les enseignants. Le porte-parole du Parti socialiste, Boris Vallaud, est allé pour sa part jusqu’à réclamer la démission du ministre.
L’intéressé s’est défendu sur BFM-TV, mardi matin, en se disant « conscient » des difficultés endurées par les familles. « Nous nous adaptons à la situation sanitaire telle qu’elle évolue, a-t-il argué, en rejetant la faute sur les autorités sanitaires. Le protocole, je ne l’ai pas inventé sur un coin de table, c’est la conséquence de ce que le Haut Conseil de la santé publique dit. »« Je veux bien qu’on fasse grève contre le Covid mais ça ne sert pas à grand-chose. Jean-Michel Blanquer fait aussi bien que possible dans un contexte très délicat », plaide le député (La République en marche) du Cher, François Cormier-Bouligeon.
En déplacement dans les Alpes-Maritimes, lundi, Emmanuel Macron a regretté « une situation très difficile pour tout le monde ». Selon son entourage, le président de la République a poussé en faveur de l’allégement du protocole. « Il faut de la clarté et de la lisibilité », a réclamé M. Macron, selon des propos rapportés par un proche. Le locataire de l’Elysée avait déjà désavoué, il y a quelques jours, la communication de son ministre, qui avait dévoilé le contenu du protocole à seulement quelques heures de la rentrée dans un entretien (payant) au Parisien. « Il faut plus d’anticipation et plus de temps aux rectorats pour communiquer avec les écoles en amont », avait convenu Emmanuel Macron auprès du journal, le 5 janvier, « donnant le point » à une enseignante qui se montrait agacée sur le sujet.
M. Blanquer n’en était pas à sa première avanie. Une semaine plus tôt, il avait été contredit par les propres services de son ministère après avoir annoncé, à tort, que les élèves cas contacts devraient présenter plusieurs tests négatifs avant de pouvoir revenir à l’école.
Sans être lâché, le ministre compte peu d’alliés. Ils ne sont pas nombreux, au sein du gouvernement, à se ruer sur les micros pour défendre le soldat Blanquer. Depuis le début de la crise liée au Covid-19, il a eu maille à partir avec les tenants d’une ligne dure sur le plan sanitaire, que ce soit le ministre de la santé, Olivier Véran, ou les locataires successifs de Matignon, Edouard Philippe et Jean Castex. « Je ne suis pas un grand confineur », reconnaît parfois celui qui aime être décrit comme le « ministre des écoles ouvertes ».
Certains de ses collègues ne cachent pas leur gêne face à un homme qui, malgré le contexte, a pris le temps de participer à un colloque décrié à la Sorbonne, le 7 janvier, contre le « wokisme ». « Nous devons déconstruire la déconstruction », a lancé à cette occasion M. Blanquer, décrivant une France « attaquée » par ce courant d’idées importé des Etats-Unis. Un « virus », selon ses mots, qui trouverait sa source dans la « French Theory » des années 1970, celle des Gilles Deleuze, Jacques Derrida et Michel Foucault. « Après avoir fourni le virus, nous devons fournir le vaccin », a-t-il affirmé.
Appétence pour les médias
En privé, Jean-Michel Blanquer se targue d’avoir contribué à ancrer le macronisme dans une ligne ferme sur la laïcité et contre l’islamisme. « Nous sommes La République en marche, pas le communautarisme en vadrouille », répète souvent l’ancien directeur général de l’enseignement scolaire sous Nicolas Sarkozy, étiqueté homme de droite au sein de la majorité. Lors de sa nomination, en 2017, il avait suggéré à Emmanuel Macron de rebaptiser l’éducation nationale en « ministère de l’instruction publique », comme sous la IIIe République. Une idée remise au goût du jour par Eric Zemmour.
Au sommet de l’Etat, certains critiquent l’appétence un peu trop marquée du ministre de l’éducation pour les médias, qui masquerait selon ses contempteurs une forme de vanité. Sa connaissance approximative de certains dossiers est aussi soulignée. En plein conseil des ministres, le 15 décembre, Jean-Michel Blanquer s’est emmêlé les pinceaux, évoquant la loi recherche au moment de parler de Parcoursup. Puis, inversement.
A la case bilan, le ministre se targue du dédoublement des classes de CP et CE1 dans les zones d’éducation prioritaire. « Les mesures les plus sociales du quinquennat viennent de ce ministère », a-t-il récemment vanté auprès d’un proche. A son débit, les voix critiques rappellent que le niveau des élèves en mathématiques s’est effondré pour les élèves de CM1 et de 4e, comme l’a révélé l’enquête Timss en 2020.
Ambitieux – son nom avait circulé un temps pour Matignon –, Jean-Michel Blanquer cherche une circonscription en Ile-de-France où se présenter aux élections législatives de juin. A 57 ans, il se verrait bien continuer à son poste en cas de réélection d’Emmanuel Macron. Il lui faudra d’abord sortir indemne de la tempête Omicron.
Un « jeudi noir » dans les écoles et après ?
Mattea Battaglia
Le front de contestation face aux changements successifs du protocole sanitaire est inédit
ANALYSE
C’est un jeudi noir qui s’annonce dans les écoles, collèges et lycées. Après deux ans de crise sanitaire, et deux ans d’ajustements de l’école aux vagues successives du Covid-19, ses personnels ont manifestement passé un seuil – celui que constituait, jusqu’à présent, la crainte d’« ajouter de la désorganisation à la désorganisation », comme ils le disent eux-mêmes en cette veille de mobilisation.
Jeudi 13 janvier, une dizaine de syndicats et d’organisations représentative des premier et second degrés, dans le public ou le privé, de l’enseignement agricole et des lycées professionnels, rassemblant professeurs, directeurs, infirmières, mais aussi, fait plus rare, des chefs d’établissement et des inspecteurs, appellent à dire stop. Avec le soutien de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE). Un potentiel front politique, à trois mois de la fin du quinquennat, dont le gouvernement se serait bien passé.
A leur ministre de tutelle, Jean-Michel Blanquer, qui leur oppose sa doctrine des « écoles ouvertes », ces organisations le répètent : elles le souhaitent elles aussi. « Mais pas à n’importe quel prix. » Sans protocole sanitaire « protecteur » et « stabilisé », sans les moyens adéquats – masques chirurgicaux, capteurs de CO2, personnel de vie scolaire, « vrais » remplaçants, « vraies » opérations de dépistage –, le SNUipp-FSU, majoritaire dans les écoles, préfère un retour au protocole « un cas de Covid, une classe fermée ». D’autres syndicats, à l’instar de la CFDT, réclament un « protocole viable qui se fonde sur un ratio de positifs ou d’élèves absents pour entraîner des fermetures, sans épuiser les personnels et les parents ».
Mobilisation inédite ? De « mémoire de prof », on n’a pas trace d’un appel à la grève trouvant un écho aussi large (et aussi rapidement) à l’échelle de l’éducation nationale. Un terrain où le syndicalisme, bien qu’en recul, dispose encore de relais. Le calendrier, à cent jours de la présidentielle, donne à la journée de jeudi un relief particulier. Mais c’est surtout l’« argument déclencheur » qui distingue cette mobilisation d’une autre : « Il ne s’agit pas de s’opposer à un projet de réforme, mais à un objet précis – le protocole sanitaire et ses écueils –, mobilisateur aussi bien chez les parents que les personnels », relève André D. Robert, professeur émérite à l’université Lyon-II et spécialiste des mouvements enseignants.
Absence de contre-discours
« C’est sans précédent, reconnaît un haut fonctionnaire. Même des organisations dont l’ADN est très éloigné de la grève, sous la pression de leur base, ont pris le train en marche. » Entre le vendredi 7 janvier et le dimanche 9, dans le sillage du SNUipp-FSU, l’appel à débrayer a fait boule de neige – à une exception près, celle des parents de la PEEP, restés en retrait.
Le mot d’ordre est entendu : en pleine déferlante d’Omicron, la « pagaille indescriptible » générée par des règles sanitaires mouvantes, révisées à trois reprises en l’espace d’une semaine, a allumé la mèche. De jour en jour, l’institution a donné l’impression d’alléger les mesures de protection, quand les contaminations déclarées en milieu scolaire, elles, augmentaient – touchant près de 50 000 élèves et plus de 5 000 personnels une semaine après la rentrée. La revendication d’une « vraie sécurisation » des établissements scolaires cimente le front. Mais, au-delà de l’argument sanitaire, chaque groupe avance ses revendications : un retour à l’ancien protocole pour le SNUipp-FSU. Le report des épreuves de spécialité du « bac Blanquer », prévues en mars, pour le SNES-FSU. Des aménagements dans les programmes, dans l’évaluation, dans l’organisation pédagogique… « On est face à un effet dominoqui, de syndicat en syndicat, a créé une unanimité de fait, mais cela se fait sur la forme plus que sur le fond », estime l’historien Claude Lelièvre qui n’y voit pas de « mouvement unitaire ».
La convergence s’est jouée « par étapes », rapportent, pour leur part, les personnels mobilisés. Ils en citent généralement trois, impliquant toutes M. Blanquer, et vécues comme autant de « provocations ». Provocation dans la « communication » : ce dernier a dévoilé les évolutions du protocole d’abord dans la presse, les mettant « devant le fait accompli », disent-ils. Provocation dans l’« expression » : il a utilisé, de manière répétée, le mot « absentéisme » (plutôt qu’« absences ») pour parler des enseignants atteints du Covid-19. Provocation dans la « méthode », enfin : il ne leur a pas garanti la « constance » et les « moyens » à la hauteur de la crise.
On retrouve dans la parole des enseignants le « même désarroi » (le « même désamour », pour ceux qui ont donné leur voix à Emmanuel Macron, en 2017) qui traverse les autres services publics – l’hôpital, la police, la recherche, la justice –, observe Luc Rouban, directeur de recherches au CNRS. Un sentiment renforcé par l’absence de contre-discours ou de contre-modèle, à gauche. Et par une campagne électorale qui ne s’empare pas (ou alors de manière polémique) des questions scolaires.
Reste à savoir si ce désarroi trouvera, ou non, une expression franche dans la rue. Mercredi soir, le SNUipp-FSU évoquait une « grève historique » et pronostiquait plus de 75 % de grévistes. Des chiffres non confirmés rue de Grenelle.
Autre question ouverte : ce front peut-il peser dans les urnes, en avril ? Sur le panel de 750 enseignants actifs que suit M. Rouban, dans le cadre de l’enquête électorale du Cevipof, les professeurs restent « positionnés à gauche », dit-il, plus que la moyenne des Français. Des « transferts de voix » se dessinent. « La moitié, seulement, de ceux qui ont voté pour Emmanuel Macron en 2017 affirment, à ce stade, vouloir revoter pour lui. » L’autre moitié se reporte plutôt vers les candidats Yannick Jadot (Europe Ecologie-Les Verts) ou Anne Hidalgo (Parti socialiste), mais la droite en attire aussi. « L’éparpillement de l’offre politique de gauche peut venir nourrir une frustration trouvant un exutoire dans le conflit social… ou dans l’abstention », conclut le directeur de recherche.
Une partie des parents soutient la grève dans l’éducation nationale
Eléa Pommiers
La FCPE appelle les familles à « ne pas envoyer les enfants » en classe jeudi pour protester contre la gestion par le gouvernement de la crise
Une fois n’est pas coutume. Le mouvement de grève lancé par les syndicats enseignants pour jeudi 13 janvier a reçu des soutiens au-delà de la sphère des professionnels de l’éducation. Lundi, la FCPE, première organisation de parents d’élèves, a signé l’appel à la grève et invité les parents à se mobiliser jeudi pour protester contre la gestion, par le gouvernement, de la crise sanitaire à l’école. « Pour dire au ministre de l’éducation nationale et au gouvernement que ça suffit », la FCPE appelle les familles à « ne pas envoyer les enfants » en classe jeudi, et à se joindre aux manifestations.
« Comme les enseignants, les parents n’en peuvent plus de subir des protocoles qui changent et qui sont toujours très lourds pour les élèves et les équipes éducatives », écrit la FCPE dans son communiqué. Les assouplissements de protocole annoncés lundi 10 janvier par le premier ministre, Jean Castex, n’ont rien changé à la position « rare », selon le porte-parole de la fédération des représentants de parents d’élèves. « La question n’est pas réglée » avec la possibilité de recourir à trois autotests, explique Rodrigo Arenas.
Les difficultés à se procurer des autotests en pharmacie font craindre aux parents des obstacles persistants pour se conformer au protocole, et la contrainte des tests nasopharyngés, très pénibles pour les plus jeunes,« continue de peser sur les enfants ». La solution, selon la fédération, reste de « dépister les enfants en milieu scolaire avec des tests salivaires ».
Mais la colère qui motive l’appel à la mobilisation dépasse le seul protocole sanitaire. Les parents rejoignent le ministre de l’éducation nationale sur la nécessité de garder les écoles ouvertes, dans l’intérêt des élèves. « Mais ouvrir les portes de l’école ne suffit pas », affirme Rodrigo Arenas, dénonçant la situation actuelle dans laquelle des classes sont à moitié vides et des enfants, régulièrement absents, souffrent dans leurs apprentissages.
Une grève difficile à discréditer
L’enjeu pour la FCPE, comme pour les enseignants, est celui des moyens donnés à l’école pour accueillir les élèves et assurer sa mission d’enseignement dans de bonnes conditions malgré la crise sanitaire. Un « quoi qu’il en coûte » décliné au monde scolaire pour sortir de l’alternative implicite du protocole sanitaire : tester ou fermer.
Pour Rodrigo Arenas, cela implique une meilleure sécurisation des classes pour éviter les contaminations, des moyens pour assurer le remplacement de tous les enseignants absents et « pas seulement pour faire garderie », ou encore des solutions pour l’enseignement à distance des élèves obligés de rester chez eux alors que leur enseignant est en classe.
Hanaine Ben Hadj, de la FCPE 93, a décidé – comme, assure-t-elle, plusieurs parents de Villepinte – de ne pas envoyer sa fille au lycée jeudi. « Je vois clairement une différence entre les conditions qu’a connues mon aînée de 22 ans et celles que subit aujourd’hui ma fille scolarisée en 2de, explique-t-elle. La scolarité des élèves est dégradée parce qu’on ne met pas assez de moyens pour faire face à la situation. »
Visible ou non dans les salles de classe jeudi, ce soutien est surtout « très important » politiquement pour la viabilité et la portée du mouvement des enseignants, souligne André D. Robert, professeur émérite à l’université Lyon-II. « L’appui d’une organisation majoritaire de parents d’élèves est la garantie, pour les syndicats enseignants, de la réception de leur mouvement dans une partie de la société », détaille ce spécialiste du syndicalisme enseignant, soulignant qu’il est ainsi difficile de discréditer la grève au motif qu’elle irait à l’encontre de l’intérêt des élèves et des parents.
Les autres associations de parents d’élèves ne se sont pas jointes à l’appel. Dans le privé, l’APEL estime que la période est « difficile » mais que « la grève va surtout compliquer la vie des familles », selon son président, Gilles Demarquet. Même position pour la PEEP, deuxième fédération de parents d’élèves du public, pour laquelle il existe « d’autres moyens de se faire entendre », selon son vice-président, Laurent Zameczkowski.
L’organisation soutient cependant certaines revendications des enseignants et rejoint la FCPE sur plusieurs points. Installation de capteurs de CO2 dans toutes les salles de classe, campagnes massives de dépistage salivaire organisées dans les écoles, masques FFP2 pour les enseignants… Sans soutenir l’appel à la grève, la PEEP attend, elle aussi, d’autres mesures pour maintenir les « établissements ouverts en toute sécurité ».
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Libé
L’ÉDUCATION EN GRÈVE : c’est la faute à blanquer
Des profs aux inspecteurs, des proviseurs aux agents d’entretien en passant par les parents d’élève, la mobilisation de ce jeudi relève d’une unité inédite. Et révèle un ras-le-bol qui va bien au-delà des ratés de la gestion du Covid.
Grève inédite dans l’Education nationale
La vacance colère
Ce jeudi, les personnels éducatifs se mobilisent contre la gestion de la crise du Covid-19 par le gouvernement. Le mouvement surprend par son ampleur, associant profs, chefs d’établissement, inspecteurs, CPE, agents d’entretien, infirmières et même parents d’élèves.
PAR ELSA MAUDET
La mobilisation de ce jeudi est historique. Enseignants comme inspecteurs, accompagnants d’élèves handicapés comme personnels de direction, parents d’élèves comme infirmières scolaires, lycéens comme Atsem (les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles) : tous les maillons de la communauté éducative appellent à la grève pour dénoncer la gestion de la crise du Covid par le gouvernement. Parmi les personnels du primaire, 75 % seront mobilisés et la moitié des écoles seront fermées – on devrait connaître les chiffres pour le second degré ce jeudi matin. «On est dans une situation grave. Les inspecteurs ne sont pas en grève tous les jours, euphémise Patrick Roumagnac, secrétaire général du SI.EN-Unsa, syndicat majoritaire dans la profession. Ce qui est insupportable, c’est de voir à quel point les personnels sont malmenés. On a besoin de souplesse et de sérénité et on a tout le contraire.» «Nous, infirmiers, on n’est pas des grévistes dans l’âme. Mais là, les collègues n’en peuvent plus. On ne fait plus que du Covid», souffle Gwenaëlle Durand, secrétaire générale du Snies-Unsa.
Depuis près de deux ans, les équipes ont connu une quinzaine de changements de protocole sanitaire. Si l’impréparation et le tâtonnement étaient entendables en mars 2020, les revirements incessants et les injonctions déconnectées des réalités du terrain ont beaucoup de mal à passer au bout de vingt-deux mois de crise. Lundi soir, le Premier ministre, Jean Castex, a annoncé un énième changement de règles, déclarant notamment que les parents n’ont plus besoin d’aller chercher immédiatement leur enfant s’il est cas contact – ils peuvent attendre la fin de la journée – et que, lorsqu’un enfant est positif, ses camarades peuvent désormais faire trois autotests, étalés sur cinq jours, et non plus un PCR ou un antigénique et deux autotests. Une annonce faite par voie de presse et tardivement – au JT de 20 heures -, et très éloignée des attentes.
Dans le premier degré, la demande des enseignants ne varie pas : retour au principe de la fermeture de classe dès le premier cas de Covid. «On protège l’ensemble de la classe pendant sept jours, on évite l’hémorragie de la contamination et on peut donner du travail à faire. Si on continue comme ça, la semaine prochaine il n’y aura plus personne dans les classes. A quoi ça sert ? Ça fait une semaine qu’on n’enseigne plus», défend Guislaine David, porte-parole du SnuiPP-FSU, majoritaire chez les professeurs du primaire. Le gouvernement s’accroche à son sacro-saint principe de laisser les classes ouvertes, officiellement pour le bien-être des élèves, mais aussi pour ne pas pénaliser l’économie en forçant les parents à garder leurs enfants chez eux durant une semaine. Lundi, 10 400 classes étaient malgré tout fermées en primaire, soit 2 % du total, selon Jean Castex. «Les collègues de terrain n’en peuvent plus d’entendre que tout va bien», dit Stéphane Crochet, du SE-Unsa.
«TRAVAIL ÉDUCATIF PHAGOCYTÉ»
Depuis la rentrée du 3 janvier, les coutures de l’école craquent de partout. Les directeurs et directrices passent leurs journées au téléphone avec les familles, les personnels de vie scolaire se sont transformés en relais des agences régionales de santé, les enseignants tentent cahin-caha de faire cours à des effectifs décimés… «Tout notre travail éducatif est phagocyté par les contraintes épidémiques, raconte Olivier Raluy, représentant des CPE (conseillers principaux d’éducation) au Snes-FSU. C’est très compliqué d’arriver à faire son travail de CPE à un moment pourtant très important, alors que beaucoup de jeunes sont en mal-être.»
«Le protocole sanitaire nous oblige à faire trois services [à la cantine] au lieu de deux. Ce sont des tables en plus à laver, on a énormément de boulot de désinfection à faire, et personne ne nous remplace quand on est absents. On a un rôle essentiel dans le fait de limiter la contamination et on est les oubliés», regrette quant à lui Sébastien Breuvart, qui représente les agents d’entretien et de restauration via la CGT territoriaux de Bobigny (Seine-Saint-Denis), en grève jeudi dernier. «On se retrouve dans une situation pas loin de l’effondrement par certains aspects. Tout ne tient que par le dévouement des personnels, comme l’hôpital a tenu avec le dévouement des soignants», juge Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU, majoritaire chez les enseignants des collèges et lycées. Guislaine David avertit : «Depuis mars 2020, on porte l’école à bout de bras et les bras vont lâcher.»
Jean-Michel Blanquer, lui, reste droit dans ses bottes. Au sujet de l’appel à la grève, le ministre de l’Education a estimé, mardi sur BFM, qu’il était «dommage d’avoir une journée qui va perturber davantage le système». Et de glisser, quitte à ajouter une bonne louche d’huile sur le feu : «On ne fait pas une grève contre un virus.» «Blanquer et Macron ne sont pas responsables du Covid. En revanche, il y a des choses qu’on aurait pu apprendre en un an et demi», réagit Stéphane Crochet. Les demandes tournent en boucle depuis des mois, sans être satisfaites : des masques a minima chirurgicaux, voire FFP2 pour les personnels qui le souhaitent, des capteurs de CO2 et des purificateurs d’air dans les classes, un vivier fourni et formé de professeurs remplaçants, un protocole qui ne change pas tous les quatre matins et qui ne soit pas annoncé la veille au soir dans les médias. «Il y a omicron, certes, mais il reste des lettres dans l’alphabet grec. Peut-être qu’il faudrait déjà anticiper la suite», alerte Patrick Roumagnac.
Si les cadres (inspecteurs et personnels de direction) se refusent à critiquer la politique de Blanquer et ne pointent qu’une gestion problématique de la crise sanitaire, les autres corporations n’hésitent pas à rappeler que les problèmes que connaît l’école aujourd’hui ne viennent pas de nulle part. «La crise met en lumière des points qui étaient déjà saillants avant», résume Olivier Raluy.
Notamment l’épineuse question des remplacements de profs. Dans le second degré, il est acté depuis longtemps que les absences de moins de quinze jours ne sont pas remplacées. Quant aux autres, encore faut-il trouver les forces nécessaires pour les combler, alors que le métier pâtit d’un gros manque d’attractivité. Dans le premier degré, où les professeurs sont censés être remplacés même pour une journée d’absence, «on n’aurait pas passé une épidémie de grippe ordinaire» vu le manque d’effectifs, assure Stéphane Crochet. Alors une pandémie, n’en parlons pas. «En temps normal, quand un enseignant est absent, ce n’est pas très visible pour les familles parce qu’on prend ses élèves et on les dispatche. Ils ont classe. Dans des conditions pas acceptables, mais ils ont classe. Là [alors que les élèves sont renvoyés chez eux car le brassage est interdit, ndlr], tout le monde se rend compte que la question du remplacement est ultra-importante», estime Guislaine David. Blanquer a affirmé, lundi sur France 2, que 6 000 postes de remplaçants contractuels avaient été débloqués, prioritairement pour le premier degré.
«ÇA VA LAISSER DES TRACES PÉDAGOGIQUES»
Le manque d’effectifs dans d’autres professions se fait aussi sentir avec le Covid. «Il y a moins de CPE que d’établissements, on est environ 12 000. Pour vraiment faire un travail de qualité, il faut un CPE par tranche de 250 élèves, aujourd’hui, c’est 480 à 500 élèves, indique Olivier Raluy. On a vu des rectorats proposer de partager des CPE sur plusieurs établissements ; si on commence à fractionner les choses pour des raisons comptables et managériales, ça dysfonctionnera.» Quant aux infirmières scolaires, elles ne sont que 7 700 pour 62 000 établissements. «C’est surréaliste de se dire qu’en période de crise sanitaire, il n’y a pas une infirmière tous les jours dans chaque collège et lycée», souffle Sophie Vénétitay.
«Avec cette crise, cette stratégie d’économie atteint ses limites», juge Stéphane Crochet. D’autant que plus la pandémie dure, plus il est difficile de se remettre à flot. «Si on arrive à sortir de cette crise au bout de deux ans, ça va laisser des traces pédagogiques pendant plus de deux ans. Il faut se donner pour objectif de surmonter les inégalités nées avec la crise, avoir un plan de recrutement sur plusieurs années», plaide Sophie Vénétitay. Jean-Michel Blanquer, lui, se base sur les dernières évaluations nationales en primaire et assure que «l’effet négatif du confinement sur les apprentissages a été gommé». Mais un nouveau président de la République sera désigné dans une centaine de jours et d’autres aspirants à l’Elysée pourraient monter au créneau. Or, regrette Guislaine David, du SnuiPP-FSU, «depuis une semaine, ça chauffe dans les écoles et qui on entend ? Personne».
Désinvolture
PAR PAUL QUINIO
Un «ministre des écoles ouvertes» qui se retrouve, pour une journée, avec des écoles fermées : le constat d’échec est patent. Ou comment le ministre de l’Education nationale a réussi, en pleine pandémie, à transformer le consensus sur le maintien des cours en présentiel – à mettre au crédit du gouvernement – en fiasco éducatif et politique. Les esprits charitables accorderont à Jean-Michel Blanquer que le tsunami omicron a bousculé tout le monde. Et que l’école est un sujet plus inflammable que n’importe quel autre parce qu’il est question de nos enfants. Il n’empêche que le premier de la classe macroniste traverse une crise dans la crise dont il est en grande partie responsable. Il a péché par arrogance. A de nombreuses reprises, Jean- Michel Blanquer, en conférence de presse, en Conseil des ministres, lors de ses interventions médiatiques, a donné le sentiment d’être approximatif, s’est pris les pieds dans le tapis des protocoles sanitaires, a dû préciser quelques heures plus tard son propos, voire s’est vu contredit par sa propre administration.
Il a, pour résumer, fait preuve de désinvolture, sur l’air de «l’intendance suivra». Celle-ci n’a non seulement pas suivi, mais le système a craqué sous la pression d’omicron. Alors que le gouvernement n’a eu de cesse d’ériger le «pragmatisme» comme boussole dans sa gestion d’une épidémie évolutive, Jean-Michel Blanquer a donné le sentiment d’être rigide, peu à l’écoute d’enseignants débordés et épuisés après deux ans de Covid. Se croyant protégé par l’Elysée dans sa mission de transformation de l’école, il n’a pas su ranger son costume de ministre ultrapolitique, voire idéologue, quand la situation exigeait dialogue et empathie, prenant de haut le service après-vente des décisions sanitaires et leur impact sur le quotidien de l’ensemble de la communauté éducative. Quand enseignants, parents et enfants étaient au bord de la crise de nerfs, il est apparu comme un ministre au sang trop froid.
Kélen Auduc, 30 ans, prof d’histoire-géo «On n’est ni consultés ni entendus»
RECUEILLI PAR MAÏTÉ DARNAULT.
«Le contexte est extrêmement difficile depuis cinq ans à cause de la dégradation de nos conditions de travail, de la casse dramatique du service public de l’éducation. Et ces deux dernières années, les protocoles incohérents ont provoqué un épuisement. La colère ne fait qu’augmenter. On n’est ni consultés ni entendus, les profs se sentent encore plus méprisés, maltraités qu’avant, on a l’impression que notre santé ne compte pas. Dans certains établissements, les fenêtres ne s’ouvrent pas, il n’y a ni capteurs de CO2 ni purificateur d’air. Pour limiter le brassage des élèves, ce ne sont plus eux qui changent de salle en fonction des matières mais les enseignants qui se déplacent. Or quand on fait les transferts, les élèves sont laissés seuls, avec la consigne de fermer les fenêtres pour leur sécurité et ils se lèvent, se mélangent, chahutent ensemble. On nous annonce un tiers de collègues malades d’ici la fin du mois, mais on nous envoie au casse-pipe avec des protocoles allégés. On nous demande de maintenir une pseudo-continuité pédagogique à distance. C’est irréaliste. Dans mes classes, j’ai sept à huit élèves absents chaque jour. On doit faire du cas par cas et dans le même temps, on nous demande d’être présents dans les établissements. On comprend pourquoi l’Education nationale n’arrive plus à recruter : nos salaires sont gelés depuis dix ans, notre pouvoir d’achat baisse. La profession se précarise.»
Au collège Jean-Renoir de Neuville-sur-Saône (Rhône), syndiquée à SUD éducation 69.
Marion, 41 ans, AESH (1) «une banalisation de ce fonctionnement fou»
RECUEILLI PAR M.DA.
«Depuis la rentrée, nous sommes en sous-effectif et les absences ne sont jamais remplacées. Depuis la généralisation en 2020 des pôles inclusifs d’accompagnement localisés, qui réorganisent le déploiement des AESH, nos conditions de travail se sont dégradées. Il y a trois ans, on n’était déjà pas formés et mal payés, mais les conditions d’exercice étaient confortables. Les AESH étaient rattachés à une école alors qu’aujourd’hui, ils sont embauchés sur une zone plus large et peuvent intervenir dans plusieurs établissements. A chaque zone est attribuée une enveloppe d’embauches, d’heures. Nos élèves ont reçu une notification de la Maison départementale pour les personnes handicapées. Or ces notifications arrivent au fur et à mesure de l’année. Mais comme l’enveloppe attribuée en début d’année aux AESH reste fixe, soit on répond aux nouvelles notifications en divisant le nombre d’heures entre les enfants, soit on n’attribue pas d’heures aux nouveaux venus. En gros, si un enfant n’est pas notifié en septembre, il risque de ne pas avoir d’heures dans l’année.
«Rien n’a non plus été réfléchi pour accompagner les enfants absents. Le premier confinement, on était à l’arrache, certes, mais là, au bout de deux ans… Il y a une banalisation de ce fonctionnement fou, des gens craquent. J’ai peu d’espoir que le mouvement de grève fasse bouger les choses mais j’ai besoin d’aller manifester pour dire que ce n’est plus possible.»
Dans une école élémentaire de Lyon.
(1) Accompagnant d’élèves en situation de handicap
Aurélie, 46 ans, principale adjointe «Les élèves aussi n’en peuvent plus»
RECUEILLI PAR MARLÈNE THOMAS
«Avant la crise sanitaire, les problèmes, notamment de moyens, étaient déjà importants : des enseignants absents pas remplacés – pendant plusieurs semaines en début d’année des élèves n’ont pas eu de cours de français -, des emplois du temps à reprendre en permanence, des réformes incessantes sans vision d’avenir, mais aussi cette impression criante de déconnexion entre la réalité vécue sur le terrain et le discours ministériel. Dire, ce n’est pas faire. Se rajoutent vingt-deux mois de crise, notre travail quotidien c’est faire, refaire, défaire des protocoles dans des conditions parfois difficilement compréhensibles, des protocoles annoncés le vendredi pour une mise en œuvre le lundi. Ce n’est pas tenable. L’annoncer est une chose, le faire appliquer par 70 enseignants et 580 familles en est une autre. On vit une forme de lassitude, d’exaspération et de perte de sens.
«Depuis dix jours, on ne fait que gérer les protocoles sanitaires. Et les élèves aussi n’en peuvent plus. On a des incidents qu’on n’a pas d’habitude et c’est normal. Ils vivent dans un contexte anxiogène sans avoir les mêmes armes psychologiques que les adultes pour y résister. Le manque de moyens se fait aussi ressentir à ce niveau-là. En cinq ans, on a accueilli 100 élèves de plus sans avoir davantage d’assistants d’éducation. On est sous tension permanente. On ne voit plus le bout du tunnel.»
Dans un collège de La Rochelle (Charente-Maritime).
Le prénom a été modifié.
Nadia, 53 ans, ATSEM (1) «Ce sont des cadences impossibles»
RECUEILLI PAR MARTIN DUFFAUT
«On ne prend pas en compte l’usure qu’on peut avoir depuis deux ans avec ce virus. Ça devient intenable avec des surcharges de travail, une responsabilité accrue face à la désinfection, parce que mine de rien on ne se sent pas très bien quand il y a des cas positifs déclarés dans une école où on travaille. Et même si on sait qu’on fait notre maximum, on ne peut pas faire plus que ce qu’on nous demande actuellement. Ce sont des cadences impossibles. Habituellement, on nettoie l’école tous les soirs, là c’est plusieurs fois par jour. Ça a été même pire quand on est sorti du premier confinement, là il fallait tout nettoyer dès qu’un enfant passait quelque part. Et puis c’est dur de voir des enfants de 4 ans, 5 ans, qui sont séparés dans la cour parce qu’il ne faut pas qu’il y ait de brassage. On a vu des écoles avec des marquages au sol… Les enfants ne nous ont jamais vus sans nos masques, ils ne connaissent pas réellement nos visages. Je ne pense pas qu’ils nous reconnaîtraient s’ils nous croisaient dans la rue. Pour créer des liens, parce que l’affect est très important dans le métier d’Atsem, j’avoue qu’on baisse le masque quand on a besoin de parler avec eux. Les protocoles changent toutes les trois semaines, on a l’impression de ne pas en sortir. Dans mon école, tous les enseignants sont grévistes, et les personnels territoriaux (deux Atsem et une autre personne) aussi. Je pense qu’il y aura du monde.»
Dans une école maternelle de Felletin (Creuse), déléguée départementale de FSU territoriale.
(1) Agent territorial spécialisé des écoles maternelles
Aïssa, 32 ans, responsable de l’intendance «On est incapables de tout désinfecter»
RECUEILLI PAR MARTIN DUFFAUT
«30 % du personnel a déjà déclaré faire grève, on attend le reste. Depuis le début de la pandémie, on doit théoriquement désinfecter au quotidien toutes les surfaces. On est en sous-effectif permanent, je perds tous les jours environ 20 à 30 % de mes effectifs qui sont soit positifs, soit cas contact. Pourtant, nous faisons extrêmement attention, les consignes sanitaires sont très strictes. C’était déjà un double travail. Avec les absents, on est incapables de désinfecter les tables, les bureaux, les poignées. On est rigoureux sur les sanitaires, le reste c’est en fonction des forces en présence. En théorie on le fait, en pratique quand vous avez des surfaces énormes, la tête et le corps ne suivent plus. Quand on vous demande d’être à 130 % de votre capacité, non pas sur une semaine mais sur plusieurs mois, vous allez finir par en vouloir aux absents.
«En tant que responsable, avec des agents qui sont exténués, qui sont à la limite du burn-out ou du malaise, je ne trouve plus de sens à mon métier. On demande des équipes de renforts, des remplaçants, et d’équiper les lieux de capteurs de CO2. J’appelle nos responsables, jusqu’au ministre, à venir voir sur le terrain. Ensuite il pourra dire qu’on ne combat pas le virus. On ne fait pas grève contre le virus, on fait grève parce qu’on aime nos écoles, nos enfants. Aujourd’hui, on nous donne des injonctions, mais on ne se pose plus la question de la réalité de leur mise en place.»
A la tête d’une équipe de 32 agents en charge de la restauration, de la sécurité incendie et de l’entretien dans un lycée de Lyon.
Nicolas, 48 ans, CPE «On est moins pour faire plus»
RECUEILLI PAR M.TH.
«La première chose qui, structurellement, ne va pas, c’est la réforme du bac. Tout n’est pas à jeter, mais sa mise en place, extrêmement rapide, a été brutale. Enormément de jeunes sont en dépression, développent une phobie scolaire. On déplore des dizaines de tentatives de suicide par an. Voir ces mômes, passés de justesse en première, s’éteindre dès novembre quand ils réalisent leur erreur de parcours alors qu’on nous a supprimé un poste d’assistant d’éducation à la rentrée, qu’on nous a retiré il y a quelques années l’assistante sociale, qu’on nous annonce le départ de notre médecin scolaire et qu’on se retrouve en tant que CPE à faire un peu tous ces métiers à la fois, c’est difficile. Finalement, tout ce qui permettait d’encadrer la vie des lycéens, de monter des projets, est en train de s’évanouir. Il n’y a plus le temps de faire autre chose que de l’utile. Rajoutez à tout ça les protocoles sanitaires et on ne fait plus que le perroquet. Depuis la fin de semaine, on voit que les élèves se contaminent, notamment à la cantine. Il y a une forme de supercherie à faire croire que tout va bien alors qu’elle est prévue pour 600 élèves et qu’ils sont 850 à y manger, collés les uns aux autres. Le Covid, c’est aussi des dizaines de mails et appels chaque jour sans moyens humains supplémentaires. On est même moins pour faire plus. Alors on travaille davantage. On est fatigués mais lucides, notre situation n’est pas celle des soignants. On prend donc sur nous et on fait comme on peut.»
Dans un lycée des Yvelines.
Le prénom a été modifié.
Renaud, 48 ans, assistant d’éducation «Je ne fais plus que la gestion des cas positifs»
RECUEILLI PAR M.TH.
«Le nombre d’assistants d’éducation [AED] ne suffit pas. Dès qu’il y a une absence, ça se répercute sur la journée de travail des autres. A côté de ça, c’est un métier précaire, mal payé, mal considéré. La vie scolaire ne se résume pas à la discipline. On n’est pas un pion, un surveillant de prison, mais un AED. On est là pour cadrer mais aussi accompagner les élèves, faire en sorte qu’ils se sentent le mieux possible. Au carrefour de tous les autres corps de métier de l’Education nationale, on a un rôle central dans la gestion au quotidien d’un établissement. On apporte bien plus que ce que les gens peuvent avoir en tête. Il y a un vrai statut à trouver, une reconnaissance à obtenir pour les AED et la vie scolaire.
«Le manque de moyens humains se répercute davantage avec la crise sanitaire. Depuis le 3 janvier, on a en moyenne une dizaine de professeurs et quatre AED absents. Fatalement, des missions ne peuvent pas être assurées comme elles le devraient. En ce moment, ce sont les permanences, qui se font souvent dans la cour. Obliger 90 mômes à passer une heure de permanence dehors alors qu’il fait 3 °C, ce n’est pas raisonnable. Depuis dix jours, je ne fais plus que la gestion des cas positifs et contacts, tout le reste passe à la trappe. Les parents nous avertissent par mail à 22 heures, le lendemain à 7 heures je dois appeler toutes les familles. Puis il faut sortir les élèves des cours quand on apprend un cas positif en milieu de journée. En permanence.»
Dans un établissement privé de Paris.
Nathalie, 51 ans, infirmière «Il y a un déficit de postes énorme»
RECUEILLI PAR ELSA MAUDET
«Je travaille dans un collège avec un internat qui compte 850 élèves et j’ai en charge quatre écoles primaires rattachées à ce secteur. Et je suis seule. Normalement, on doit faire 50 % au collège et 50 % dans les écoles, mais je suis obligée de faire une journée pour les écoles et le reste au collège, puisque le soir je suis de permanence pour les élèves internes et de garde de nuit trois fois par semaine.
«On n’est que dans le Covid, évidemment. Ça mange nos missions, qui sont pourtant primordiales auprès des élèves, de prévention, de dépistage des problèmes de vue, de poids, de problèmes qui peuvent nuire au bien-être – car quand un élève est en mal-être, l’apprentissage ne suit pas. Désormais, il faut s’adapter à chaque nouveau protocole, en commençant par le déchiffrer, le comprendre, car la logique change d’un moment à un autre. Apprendre les protocoles la veille par le biais des médias et arriver le lendemain matin avec quelque chose dont on ne saisit pas forcément la pertinence, puis devoir argumenter auprès des parents sur le fait que maintenant c’est comme ça, c’est difficile.
«Normalement, dans un établissement scolaire, il doit aussi y avoir une assistante sociale, une psychologue. Mais il y a un déficit de postes énorme. C’est du saupoudrage. Résultat, on est seul pour beaucoup, beaucoup d’élèves. C’est un système vraiment nécessaire dans l’éducation et on a l’impression d’être de plus en plus en manque de moyens.»
Dans un collège d’Hellemmes (Nord).
Bac : élèves et profs à rudes épreuves
Freinés par la vague omicron et un protocole chaotique, élèves et enseignants n’ont pas pu préparer convenablement les examens de spécialités prévus en mars, et demandent un report.
MARLÈNE THOMAS
Ces mots reviennent dans toutes les bouches. Enseignants comme lycéens sont engagés dans une «course contre la montre». La ligne d’arrivée ? Les épreuves de spécialités, programmées du 14 au 16 mars pour les bacs généraux et technologiques. Un rendez-vous politique important pour le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, puisque ces deux écrits, jamais entrés en vigueur car annulés l’an dernier, forment l’un des piliers de sa réforme du bac. Un rendez-vous tout aussi crucial pour les élèves puisque le coefficient de ces majeurs – le plus important – plafonne à 16. «On a les yeux rivés sur le calendrier et au fur et à mesure on voit des élèves décrocher», déplore Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU, premier syndicat du secondaire, qui appelle à leur report en juin.
«Fragilités». Cet étalement contesté du calendrier se heurte en sus à un contexte d’apprentissage reconfiguré par une pandémie aux incessants rebonds. «Je fais partie de cette génération qui a vécu la crise sanitaire de la seconde à la terminale mais pour qui on n’a pas pris en compte les conséquences de cette discontinuité pédagogique. On a été cas contact, on a subi les confinements successifs, les cours en hybride», rappelle Colin Champion, président du syndicat La voix lycéenne. Sophie Vénétitay abonde : «On a récupéré des élèves en début de terminale qui ne sont pas forcément allés au bout des programmes. Il y avait déjà pas mal de fragilités.» Le tempo de l’année, bien qu’allégée des épreuves d’évaluation communes, laisse peu de latitude de consolidation alors que les programmes sont exigeants.
Parue lundi, une enquête de l’Association des professeurs de sciences économiques et sociales (Apses) sur la préparation de ces épreuves de spécialités, sondant 22 % des enseignants de cette discipline, met en lumière cette inadéquation. «Seulement 7 % des professeurs sont dans l’avancement qui permettrait de traiter le programme normalement, soit qui avaient traité avant Noël cinq chapitres» et 40,7 % n’en étaient qu’à trois, relève Benoît Guyon, coprésident. Pointant les effets structurels de la réforme, il s’enquiert : «90 % des collègues vont devoir presser leurs élèves, survoler les notions et chapitres restants.» Un constat reflétant «le quotidien de nombreuses disciplines», appuie Sophie Vénétitay. Difficile dans ces conditions d’entraîner les élèves. Plus de 70 % des professeurs de SES interrogés n’avaient encore jamais pu organiser une épreuve de type bac de quatre heures.
«Inégalités». L’avancement du programme est freiné, en outre, par la déferlante omicron et un protocole sanitaire aussi fluctuant que chaotique. Une situation «ingérable» pour le Snes, «impossible» pour l’Apses. Relevant une situation «de discontinuité pédagogique», Sophie Vénétitay rapporte «des classes qui se vident et se remplissent au gré des cas positifs et contacts. On peut commencer notre heure avec 35 élèves et la finir avec 28.» Elèves et professeurs slaloment entre les absences de professeurs (pas remplacées si elles durent moins de deux semaines), les isolements des élèves, le rattrapage ardu des cours et l’adaptation des leçons à des classes mouvantes. «Chaque jour, on se demande qui on va avoir en cours. On est obligés de préparer trois sujets de contrôle pour ceux qui sont là depuis une semaine, ceux n’ont pas eu tous les éléments à distance et les absents du jour, déroule la secrétaire générale. Estimer qu’on prépare les épreuves du bac revient surtout à creuser les inégalités.»
Pendant ce temps, plane au-dessus de la tête des lycéens la crainte d’être contaminé. «On a peur de subir un isolement, une inégalité par rapport à ceux qui y échapperaient», avance Colin Champion. Certains décident donc d’y aller coûte que coûte. Sophie Vénétitay constate : «Certains profs ont vu des élèves venir seulement en cours de spécialités alors qu’ils étaient symptomatiques ou en attente de test car ils ne voulaient surtout pas louper une heure.»