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La Nuit du 10 mai 1968 – extrait de The Back Dwarf 13,1

Dans cet extrait du premier numéro de La Naine noire, Jean-Jacques Lebel donne un récit vivant de première main des événements de mai 68 à Paris

18h

18h30 à la place Denfert-Rochereau manifestation appelée par l’UNEF et le Groupe du 22 mars recueille 30 000 personnes bloquant la circulation sur deux miles. Cohn-Bendit et d’autres dirigeants demandent à la foule où elle veut aller. Ils décident de la Prison de la Sante, du ministère de la Justice puis de l’ORTF (la Français BBC) qui a été insultante et dégoûtante dans ses reportages. Tout en marchant au moins 5 ou 6, 000 autres se joignent à eux. Nous encerclons la prison de Sante qui est défendue par des milliers de policiers armés puis tournons vers la rive droite et l’ORTF. Par un stationnement astucieux de la police, nous sommes obligés de remonter le boulevard St Michel au lieu de descendre St Germain. C’était notre grosse erreur, de ne pas pousser jusqu’ici et là. Nous avons alors réalisé que nous tombions dans un piège. L’énorme manifestation a été stoppée sur le boulevard St Michel par des forces gigantesques – nous étions encerclés.

12

22 mars Les militants commencent à déterrer des pavés. Certains membres de la FUNU et des passants tentent de nous arrêter. Le doyen de l’Université demande à voir des représentants, des professeurs et des étudiants. Cohn-Bendit et quatre autres vont le voir. Ils sortent une heure plus tard en disant : « Il ne s’est rien passé ». La décision est prise d’occuper pacifiquement le Quartier Latin, non pas pour provoquer la police mais pour nous défendre en cas d’attaque. Cela a été suivi jusqu’à la toute fin; les barricades étaient des défenses et tous les participants se sont simplement défendus contre les attaques de la police. Nous voulions juste tenir le Quartier Latin pour montrer aux policiers qui occupaient la Sorbonne depuis cinq jours qu’ils devaient partir. « Nous occuperons le Quartier latin sans déranger la police, jusqu’à ce que la police soit partie », a déclaré Cohn-Bendit. Cette déclaration a été appuyée par la plupart du personnel de l’université. Il doit être clair que ce qui s’est passé lors de cette nuit historique a été totalement improvisé : pas de direction, pas de préparation, très peu de coordination. C’était une explosion spontanée.

1h du matin

Littéralement des milliers de personnes aident à construire des barricades (Europe n°1 Radio a rapporté que plus de 60 barricades ont été construites dans différentes rues), des femmes, des travailleurs, des passants, des gens en pyjama, des chaînes humaines pour transporter des pierres, du bois, du fer. Un formidable mouvement est lancé. Notre groupe (la plupart n’ont même jamais vu les autres auparavant, nous sommes composés de 6 étudiants, 10 ouvriers, quelques Italiens, des passants et 4 artistes qui se sont joints plus tard; nous ne nous connaissions même pas les noms) organise la barricade à l’angle de la rue Gay Lussac et de St Jacques. Cent personnes aident à transporter les affaires et à les empiler de l’autre côté de la rue. À partir de ce moment-là, j’étais tellement occupé à coordonner le travail à notre barricade que je ne sais pas ce qui s’est passé ailleurs. Des témoins dis-le se sont tous produits en même temps et plus ou moins de la même manière dans tout le Quartier latin. Notre barricade est double: une rangée de pavés de trois pieds de haut, un espace vide d’environ 20 mètres, puis un tas de bois de neuf pieds de haut, des voitures, des poteaux métalliques, des poubelles. Nos armes sont des pierres, du métal, etc., trouvés dans la rue. Bien sûr, la majorité des gens regardent simplement. Nous organisons un cordon pour éloigner les photographes et les passants de nous.

Une grande aide spontanée est donnée par les habitants des maisons voisines qui offrent de l’eau, du sucre et du tissu comme protection contre les gaz et nous avertissent des mouvements de police.

C’est leur soutien qui empêche notre enthousiasme de faiblir dans le temps apparemment interminable d’attente de l’inévitable attaque policière.

2h du matin

Il est maintenant évident que la police prépare une attaque puissante. La radio annonce que nous sommes encerclés et que le gouvernement a ordonné à la police d’attaquer. (Le chef de la police a insisté sur l’ordre par écrit.) Certains passants partent. Nous continuons à construire des barricades en organisant l’approvisionnement en pierres et en centres médicaux tous les 100 mètres. J’essaie de coordonner les coureurs entre différentes barricades près de la nôtre mais nous manquons de temps et sommes pris par des attaques avant de pouvoir nous rassembler. Pratiquement aucune nouvelle d’autres points de notre territoire. Quelqu’un trouve un drapeau Français, nous arrachons la partie bleue et blanche – le drapeau rouge flotte maintenant au-dessus de notre barricade. On me dit que de nombreux drapeaux rouges et noirs flottaient sur d’autres barricades. Devant nous, nous retournons les voitures pour empêcher la police de charger avec leurs bus et leurs chars (la radio a dit que les chars arrivaient mais nous n’en avons jamais vu) il a également dit que 15 000 travailleurs étaient en route pour nous aider de St Denis mais étaient encerclés par l’armée. (Ils ne se sont jamais matérialisés non plus, bien qu’un grand nombre d’ouvriers nous aidaient déjà à construire des barricades.) Je dois insister encore une fois sur le fait que l’humeur générale était défensive et non offensive, nous voulions simplement tenir l’endroit comme une grève assise retranchée et si nous n’avions pas été sauvagement attaqués, il n’y aurait pas eu de violence du tout. Après des jours d’occupation de la Sorbonne et des environs par des policiers lourdement armés, c’était le moins que nous puissions faire pour tenir bon : le Quartier latin. Attaque de la police sur la place de Luxembourg. Leur tactique est simple: à 100 mètres de distance, ils lancent des grenades à gaz à l’aide d’un fusil qui nous aveuglent, nous étouffent et nous assomment. Ce gaz est m a c e (masse du Vietnam et de Detroit). Aussi de petites grenades explosives qu’un étudiant près de chez nous en a ramassé une pour la jeter en arrière, elle lui a arraché toute la main (rapportée dans Le Monde), des gaz lacrymogènes et des grenades au phosphore qui ont mis le feu aux voitures. Nous défendons du mieux que nous pouvons et plus tard, nous découvrons que pratiquement toutes les barricades ont résisté à la police au moins une heure, parfois quatre heures, indépendamment des gaz aveuglants et suffocants. La police avance lentement vers Gay Lussac (les foules s’enfuient, nous avons du mal à les calmer et à les canaliser vers la sortie de Gay Lussac où les policiers sont moins nombreux). Mais ensuite, la police attaque à trois endroits simultanément: à deux extrémités de Gay Lussac, à notre barricade et à la rue d’Ulm. Les victimes sont lourdes de notre côté, principalement des personnes frappées inconscientes par le gaz, certaines temporairement aveuglées. Des milliers de voix crient ensemble : « De Gaulle assassin », « Liberez nos camarades », « Révolution », « A bas l’Universite bourgeoise ». Certains font des molotovcocktails. J’essaie de les dissuader par peur que la police ne massacre pas tant d’entre nous que des milliers de spectateurs, juste là, fascinés. Le sentiment général est d’une transe. Nous nous sentons libérés. Soudain, nous sommes devenus des êtres humains et nous crions « NOUS EXISTONS NOUS SOMMES » un geste incroyablement héroïque, attrapant un drapeau rouge et nous conduisant vers les flics à travers le gaz et les grenades.

À notre grande surprise, nous sommes plus nombreux que l’ennemi et ils battent en retraite. Les foules derrière nous applaudissent sauvagement. Nous revenons derrière notre barricade, un seul légèrement blessé. Mais les gaz sont notre pire ennemi, nous ne pouvons pas respirer, nous ne pouvons pas voir. Finalement, nous sommes forcés de revenir en arrière. Nos clochards de barricade. À ce stade, tout ce dont je me souviens, c’est que je me suis évanoui par manque d’air. J’arrive dans un couloir à deux filles qui me giflent le visage et me mettent des chiffons mouillés sur les yeux. L’eau est la seule chose qui aide. Ils me disent qu’un étudiant m’a emmené là-bas. Je regarde dehors : la police est partout, notre barricade de l’autre côté de la rue brûle. Les vapeurs de gaz jaunes sont si épaisses que vous ne pouvez pas les voir. J’essaie de m’enfuir, pensant rejoindre nos forces plus bas, mais la police charge des deux côtés avec des grenades et de grosses matraques mortelles; nous sommes acculés. Nous organisons à l’intérieur du bâtiment au moins 60 étudiants, certains blessés, d’autres s’évanouissant. Nous essayons de barricader la porte. Certains sonnent désespérément à l’intérieur de la maison, personne n’ose répondre. Nous encombrons les escaliers. La police arrive, défonce la porte, en attrape quelques-uns et les frappe à la pulpe, jette trois grenades à gaz qui sont un meurtre à nos poumons et à nos yeux

La police part pour revenir plus tard. Une fille au deuxième étage nous dit d’entrer, nous nous entassons comme des sardines et elle nous donne de l’eau. Extérieur : explosions, explosions, explosions.

6h du matin

Toujours en train de se battre à l’extérieur. Nous votons tous pour appeler la Croix-Rouge de toute façon parce que l’un d’entre nous saigne mal. Nous avons peur de la Croix-Rouge parce qu’elle nous livre parfois à la police, mais d’autres fois nous protègent, on ne sait jamais. C’est un fait que de nombreuses Croix-Rouge qui ont tenté d’aider des étudiants blessés ou faibles ont également été battues par la police (voir Le Monde pour des détails de ce genre, d’armement policier, de gaz, etc.) La police fouille maison par maison, pièce par pièce. Toute personne ayant les mains noires et des taches de gaz sur les vêtements (le gaz attaque le cuir) ou des blessures est battue et arrêtée. (Plus de 500 personnes arrêtées en tout.) Nous décidons à 60 ans de partir ensemble au cas où nous devrions nous battre dans la rue: des casques sont donnés aux filles. Le soleil est levé. Nous courons à l’air libre dans un corps: fantastique: quel spectacle! Des barricades fumantes partout, des voitures renversées, une rue non pavée, sur un demi-mile. Mots peints sur les murs : Vive la Commune du 8 Mai, ABAS L’ETAT POLICIER… Je ne peux pas m’en empêcher, je cours pour voir notre barricade. Il est toujours debout, désert; quelques spectateurs, stupéfaits, la vue incroyable du champ de bataille vide. Cette rue Gay Lussac était à nous toute la nuit jusqu’à environ 4 heures. 30 heures. o vous êtes s . Je demande à un élève un morceau de sa chemise rouge sale, nous l’attachons à un bâton, le remettons sur notre barricade et courons, la police charge de l’autre côté de la rue. Je peux à peine marcher de la douleur. Nous tournons autour de la rue d’Ulm, là pour arrêter tout le monde, y compris ceux du centre médical. Des barricades et des voitures fumant dans toutes les rues et tous les arrivants. Les passants nous avertissent où se trouve la police; de nombreuses personnes dans des voitures et des taxis se portent volontaires pour nous sortir de la zone de police. Partout, nous voyons d’énormes bus de police remplis de notre peuple fatigué, battu, ensanglanté. La révolution a commencé. Si vous voulez nous aider, il y a un moyen.

FAITES LA MÊME CHOSE.

Cet extrait de The Black Dwarf 13:1 est tiré du site Web de Barry Amiel et Norman Melburn, où les archives complètes de BD sont numérisées.

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Cette entrée a été publiée le 22 mai 2022 par dans DEVOIR DE MEMOIRE, ETAT POLICIER, FRANCE.
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