Nous avons reçu cette contribution d’un camarade, consacrée au congrès confédéral de FO qui aura lieu du 30 mai au 2 juin à Rouen. Utile pour ceux qui connaissent mal cette centrale …
Contribution
Le congrès confédéral de la CGT-Force Ouvrière s’ouvre demain dimanche 29 mai à Rouen. Un congrès confédéral, c’est quelque chose d’important : dans la situation présente, on s’attendrait à d’ardentes discussions sur comment empêcher Macron d’attaquer sur les retraites et de poursuivre la destruction des services publics, de l’école publique et de l’hôpital public, comment rassembler les nombreuses grèves et actions dans les entreprises pour les salaires alors que les prix explosent, et sur la solidarité internationale des travailleurs avec la résistance ukrainienne à Poutine et les syndicats indépendants bélarusses cibles de la répression.
En fait, rien dans les textes préparatoires au congrès ne dessine de perspective d’action et d’union sur ces questions, auxquelles sont confrontés tous les syndicats. La pratique réelle combine des journées d’action interprofessionnelles généralement impulsées par la CGT et un syndicalisme d’accompagnement des reculs sociaux, qui, dans le meilleur des cas, cherche à limiter les dégâts, mais qui, notamment, pour FO, dans la Métallurgie, participe pleinement aux « diagnostics partagés » et autres « gouvernances du dialogue social de branche », comme il est dit dans la convention collective qui vient d’être signée dans ce secteur par le patronat (UIMM) avec FO, la CFDT et la CGC.
Ce qui occupe les délégués et va occuper les nombreux participants à ce congrès (car l’habitude à FO est de « faire monter » un maximum de militants aux congrès, ils seront donc environ 3000), c’est la désignation du secrétaire général. Bien que les statuts confédérés reposent en principe sur le fédéralisme et l’autonomie, chacun sait que la personnalité du « chef » est une question centrale, comme d’ailleurs à la CGT. Or, il y a concurrence : c’est la deuxième fois depuis la succession d’André Bergeron en 1989. A l’époque, quelles qu’en aient été les limites, il y avait une vraie différence d’orientation entre Marc Blondel, qui l’emporta, et Claude Pitous, que préférait Bergeron : au réformisme penchant vers l’accompagnement explicite et finalement à la cogestion, s’opposait un réformisme se voulant combatif, voire même unitaire (dans l’action). Le problème est qu’il y a aujourd’hui concurrence sans que des différences d’orientation ne soient réellement manifestées entre les deux principaux candidats, Christian Grolier et Frédéric Souillot.
Il s’agit en fait d’une situation de crise de l’appareil. Et la racine de cette crise, c’est que le syndicalisme « réformiste de combat » de Blondel, organiquement lié au réseau des cadres syndicaux qu’inspirait Pierre Lambert, s’est progressivement et très naturellement converti en un « réformisme d’accompagnement », avec le soutien et la participation de l’appareil « lambertiste », et que son successeur consensuellement désigné, Mailly, devint un allié explicite de Macron.
Ceci produisit une rupture : après la présidentielle de 2017, un dirigeant indépendant à l’égard des principales factions, occupant une sorte de vide, était porté à la tête de FO puis, plus rapidement encore, prestement dégommé. Après cet « épisode Pavageau », en dehors de tout statut, l’organisation fut dirigée par une sorte de « junte » reposant sur une sainte alliance entre le « POI » et les « Métaux », ou si l’on veut entre « réformistes » passant pour être « lutte de classe » et « réformistes » ne se cachant pas d’être potes avec le patronat. Ils organisèrent le dernier congrès confédéral de manière à éviter toute investigation dans les comptes et la distribution des places (ce dont les avait menacés Pavageau), avec alors 2 candidatures principales, celles de C. Grolier qu’avait alors soutenu l’appareil POI, dirigeant de la fédération des fonctionnaires, et d’Yves Veyrier, ancien dirigeant de la fédération de l’Équipement. Déjà, les questions d’orientation étaient mises sous la table, et ce qui comptait était « l’image » théoriquement plus combative du premier, et plus coopérative du second.
Or, jusqu’au 24 février dernier, Yves Veyrier devait se succéder à lui-même. L’annonce de son choix de prendre sa retraite est un peu passée inaperçue car, ce même jour, Poutine attaquait toute l’Ukraine. Selon le bulletin l’Anarcho-syndicaliste, héritier du courant de l’ancien allié à vie de Pierre Lambert, Alexandre Hébert, qui n’avait plus soutenu l’évolution de l’appareil à la fin de sa vie, il a été décidé, avec la participation des dirigeants du POI – au moins de l’ancien secrétaire de l’UD de Loire-Atlantique, Patrick Hébert, fils d’Alexandre, et du dirigeant de la fédé de l’enseignement, Hubert Raguin – que Veyrier passerait la main à Frédéric Souillot.
Qui est Frédéric Souillot ? Personne ne le sait dans le grand public ni dans les rangs ouvriers. Dans l’appareil on le connaît : il est le responsable aux questions juridiques, financières et d’organisation, ce qui veut tout dire. Et il incarne, jusque là, le « syndicalisme d’accompagnement » et d’acoquinement avec les patrons de sa fédération, les Métaux. Cette décision visait donc à reprendre en plus rapide, plus loin et plus fort, l’évolution « droitière » des sommets confédéraux, qu’avait perturbée la crise ouverte par l’épisode Pavageau. Un repas « amical » auquel participait … Mailly, aurait fait en sorte de la faire avaler par Yves Veyrier, vers mi-février.
Mais elle passe mal. D’une part, C. Grolier a décidé d’être à nouveau candidat, ce qui n’était pas prévu, même si, répétons-le, le discours consensuel « tous amis à Force ouvrière » est aussi le sien. Cette candidature perturbe l’accord aux sommets en signifiant qu’une partie de l’appareil ne soutient pas l’évolution en cours. En outre, quand un syndicaliste un peu sérieux a vu au moins une fois Frédéric Souillot jouer les « orateurs », il ne peut qu’être inquiet pour son organisation.
Mais surtout, il apparait manifestement que les cadres du POI sont divisés dans cette affaire, car ceux qui ont des positions dans les fédérations sont surtout dans les secteurs que représente Grolier, et non Souillot. Un signe qui ne trompe pas est l’incapacité dans laquelle ils se sont trouvés de faire soutenir Souillot par la Fédération de l’enseignement (FNEC-FP-FO) alors que son dirigeant, Raguin, était un homme clef du « putsch contre Pavageau » et de tous les arrangements d’appareil montés depuis, dont la candidature de Souillot.
Frédéric Vuillaume, responsable FO et Gilet Jaune, en manif à Besançon le 17 novembre 2019
D’autre part, comme en 2018 Patrice Clos des Transports, il y a un troisième homme, Frédéric Vuillaume, des Territoriaux de Franche-Comté, qui, au moins, lui, parle d’orientation : pas de compromis avec patronat et gouvernement, retour à la charte d’Amiens et audit des comptes confédéraux sont ses trois mots d’ordre. Le courant anarcho-syndicaliste et le courant des « Amis de Force Ouvrière » récemment constitué par d’anciens dirigeants confédéraux en relation avec Pascal Pavageau, sorti de son silence, le soutiennent.
Rassemblement de soutien à Frédéric Vuillaume, convoqué une énième fois au commissariat de Besançon, octobre 2021
A ce jour, aucune UD n’a porté ses mandats sur Vuillaume. Une majorité d’UD et de Fédés suivent le compromis d’appareil décidé au sommet : Souillot a donc toutes ses chances, aux risques et périls de l’organisation. Rares sont les UD qui, comme la Nièvre, ont voulu organiser un débat ouvert entre les candidats pour connaître leur orientation, s’ils en ont une : Souillot ne s’y est pas rendu.
Une importante remarque s’impose sur les « trotskystes de FO ». Avoir de fortes positions syndicales dans cette confédération n’est en rien condamnable, toute la question est ce que l’on en fait. Aujourd’hui, le POI et le POID dans FO ne servent à rien : la défense de l’appareil existant est l’axe principal de leur politique, le premier parce qu’il est dedans, très profondément, le second parce qu’il estime devoir défendre les appareils existants contre les masses elles-mêmes, ainsi qu’on l’a vu lors de l’explosion – prolétarienne, et non pas petite-bourgeoise ! – des Gilets jaunes. Mais à cette politique le POI en arrive aujourd’hui au point de rupture. L’adaptation de Lambert aux « prérogatives de l’organisation syndicale », comme il disait, avait abouti dans la longue durée à Blondel, ce qui pouvait faire illusion et donner des espoirs. Mais on a eu depuis la réponse : Blondel a donné Mailly, Mailly a donné la « junte anti-Pavageau » qui a donné l’accord de sommet pour investir F. Souillot, expression criante des secteurs les plus droitiers, les plus mouillés dans le « dialogue social », et aussi les moins compétents, de l’appareil. A ce petit jeu le POI a commencé à se diviser, non pas sur des questions d’orientation mais en épousant les conflits de l’appareil. Sans doute l’institution du 87, rue du Faubourg-Saint-Denis en épicentre de la « France insoumise » et l’installation de quelques députés NUPES éligibles compensent-elles cela. Plus dure sera la chute …
Une chose est sure : ce congrès confédéral ne répondra pas aux trois questions centrales posées ci-dessus : comment empêcher Macron d’attaquer sur les retraites et de poursuivre la destruction des services publics, de l’école publique et de l’hôpital public ? comment rassembler les nombreuses grèves et actions dans les entreprises pour les salaires alors que les prix explosent ? comment assurer la solidarité internationale des travailleurs avec la résistance ukrainienne à Poutine et les syndicats indépendants bélarusses cibles de la répression ?
Un militant de FO.
Note : ah, ces journalistes ! … le site de Challenge ce 29 mai prétend tout expliquer sur FO, les lambertistes et ces sortes de choses, et patatras, il nous raconte que Patrick Hébert « n° 1 de Loire-Atlantique » dirige … le POID, et impulse la candidature Grolier ! P. Hébert n’est plus secrétaire de l’UD, c’est Michel Le Ro’ch (certes, son « poulain », comme on dit) ; il soutient Souillot qui a été la vedette du dernier congrès de l’UD (à la CE de l’UD : 20 voix pour Souillot, 1 pour Grolier, 1 NPV) ; et il est un dirigeant non déclaré mais bien réel du POI. Le POID compte les points (et ne vas surtout pas soutenir Frédéric Vuillaume, ce Gilet jaune !). Mais à vrai dire, ce genre de désinformartion par incompétence convient très bien au premier intéressé …
Notes de la rédaction :
Pour suivre au moins partiellement les développements dans FO, se référer au site de l’UAS (Union Anarcho-Syndicaliste) au titre de son bulletin L’anarcho-syndicaliste, site qui est aussi l’un des rares à donner des informations sur les publications des Amis de Force Ouvrière, association réunissant des opposants à la ligne confédérale issue du tournant de Mailly en 2017 après l’élection de Macron.
Mise à jour du 2 juin 2022
Les rédacteurs du bulletin des Amis De Force Ouvrière ont réalisé un numéro spécial comprenant un article intitulé : Analyse pertinente du syndicalisme d’accompagnement.