Le commissaire européen Olivér Várhelyi, proche du chef du gouvernement hongrois Viktor Orbán, refusait depuis des mois de verser des fonds à l’Autorité palestinienne, en raison de contenus problématiques à ses yeux des manuels scolaires palestiniens.
15 juin 2022 à 10h20
C’est la fin d’une crise ouverte au printemps 2021, révélatrice des difficultés de la politique extérieure de l’Union européenne au Proche-Orient. Des représentants des États membres de l’UE ont, à une écrasante majorité (vingt-six contre un, la Hongrie), fini par valider lundi 13 juin le déblocage d’une aide de 215 millions d’euros à l’Autorité palestinienne.
Cette aide avait été suspendue depuis décembre dernier, et la proposition du commissaire européen Olivér Várhelyi, un Hongrois proche de Viktor Orbán, d’introduire une conditionnalité à son versement : une révision du contenu des manuels scolaires palestiniens, qu’il accuse d’inciter à la violence à l’encontre d’Israël.
Le feu vert des États membres, et la défaite politique d’Olivér Várhelyi, est intervenu alors qu’Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, s’est rendue en début de semaine en Israël et dans les Territoires palestiniens. Elle y a rencontré non seulement le chef du gouvernement israélien Naftali Bennett mais aussi le premier ministre Mohammad Shtayyeh, qui s’est, sans surprise, félicité de la reprise des versements de l’aide. Elle devait se rendre ensuite en Égypte puis en Jordanie.
Le premier ministre palestinien Mohammad Shtayyeh reçoit la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen à Ramallah, le 14 juin 2022. © Photo Issam Rimawi / Agence Anadolu via AFP
D’après le quotidien espagnol El País, la suspension de l’aide a provoqué des pénuries de médicaments dans des hôpitaux palestiniens, menaçant en particulier des centaines de malades souffrant de cancer qui se sont trouvés, du jour au lendemain, sans traitement. En mai dernier, le Conseil norvégien pour les réfugiés déplorait aussi les conséquences de ce gel : « Les Palestiniens paient le prix le plus cruel des décisions politiques prises à Bruxelles », jugeait alors le secrétaire général de cette organisation humanitaire. L’UE est le plus gros bailleur de fonds de l’Autorité palestinienne.
Le feuilleton du blocage de l’aide à l’Autorité palestinienne risque de laisser des traces, aussi dans la capitale belge. « Il est totalement absurde que l’Union ait mobilisé tant de diplomates et de conseillers, pendant tant de mois, davantage que pour tout autre sujet touchant à Israël-Palestine au cours de l’année passée… Comme si ce sujet était central, alors qu’il était totalement périphérique, regrette Martin Konečný, activiste à Bruxelles au sein de l’ONG European Middle East Project, joint par Mediapart. C’est la preuve de la déconnexion entre la politique européenne conçue à Bruxelles et la réalité sur le terrain. »
Que s’est-il passé ? À la demande de la Commission, l’Institut allemand Georg-Eckert a publié en juin 2021 un rapport sur le contenu des manuels palestiniens. Ses conclusions sont plutôt nuancées. Les auteurs et autrices considèrent que les manuels respectent globalement les standards de l’Unesco et que, même si des contenus problématiques subsistent, des réformes ont été entreprises et portent leurs fruits.
Olivér Várhelyi, commissaire européen au voisinage et à l’élargissement, et qui, à ce titre, signe les « chèques » d’aide aux pays voisins de l’UE, aurait pu jouer la carte de l’apaisement. Mais il s’est emparé du rapport, fidèle à la position jusqu’au-boutiste hongroise, pour justifier la suspension de tout soutien financier, tant que les contenus des manuels n’ont pas été révisés.
L’attentisme d’Ursula von der Leyen
Des vingt-sept États de l’UE, la Hongrie d’Orbán est la plus proche d’Israël. La diplomatie de Budapest s’était par exemple refusée, en mai 2021, à signer avec les autres pays de l’UE une déclaration commune appelant Palestiniens et Israéliens à un cessez-le-feu.
Dès l’été 2021, la position d’Olivér Várhelyi est toutefois loin de faire l’unanimité. Josep Borrell, un socialiste espagnol, à la tête de la diplomatie européenne, monte au créneau, et s’oppose à Olivér Várhelyi. Précision qui, en théorie, aurait dû jouer, Josep Borrell, en tant que vice-président de la Commission, est le supérieur du commissaire européen.
Du côté du Conseil, quinze États, dont la France, ont plaidé dans une lettre récente pour débloquer l’aide. Quant à la troisième institution, le Parlement européen, qui n’a pas de pouvoir contraignant en la matière, il s’est opposé, en octobre 2021, à un amendement qui reprenait l’idée d’un gel de l’aide à l’Autorité palestinienne (345 contre, 291 pour, 58 abstentions).
En résumé, Olivér Várhelyi n’avait ni soutien majoritaire au sein du Conseil, ni au Parlement – et sans doute pas davantage au sein du collège des commissaires, même s’il n’y a jamais eu de vote formel sur la question. Mais cela n’a pas empêché sa proposition de conditionnalité de prospérer quelques mois, avec l’aval implicite, ou au minimum la tolérance relative, d’Ursula von der Leyen.
« La Commission est contrainte, par la législation européenne, à chercher des solutions qui ont le soutien le plus large auprès des États membres, fait valoir Martin Konečný. La Commission connaissait dès le départ la réponse au problème. Mais elle s’est refusée à la proposer, et cela pendant des mois. La responsabilité incombe directement à Ursula von der Leyen, qui a protégé le commissaire hongrois, en dépit des protestations de nombreux États membres. »
L’imminence d’un déplacement en Israël, et la pression de certaines capitales, dont Paris, ont fini par contraindre Ursula von der Leyen à rompre avec la position d’Olivér Várhelyi. Ce dernier ne s’avoue pas pour autant vaincu : il a annoncé sur Twitter mardi que la Commission allait financer un deuxième rapport sur le contenu des manuels scolaires palestiniens.
Du côté du Parlement européen, l’eurodéputée grecque de Nouvelle Démocratie (droite, PPE) Anna Michelle Asimakopoulou a exprimé au journal Politico sa « déception », parlant ici d’une « occasion ratée pour provoquer un changement nécessaire de contenu des manuels palestiniens ». À l’inverse, l’eurodéputée écologiste irlandaise Grace O’Sullivan s’est félicitée du dénouement de la crise, ajoutant : « L’UE doit désormais organiser un débat de fond, sur la façon dont elle ne parvient pas à accomplir des progrès significatifs » dans cette zone stratégique.