Plus de deux cents personnes sont rassemblées ce jeudi 15 décembre devant l’Agence de l’eau Loire-Bretagne, à Orléans-La Source, pour montrer leur opposition aux projets de méga-bassines et obtenir des explications.
Plus de deux cents personnes, et une armada de policiers : une mobilisation se tient ce jeudi 15 décembre devant l’Agence de l’eau Loire-Bretagne, à l’appel du mouvement anti-bassines.
Les collectifs « Bassines non merci » du Marais Poitevin, de la Vienne, de la Charente, de Bretagne, de Haute-Vienne et une vingtaine d’organisations alliées appelaient à manifester ce jour, devant ce site, car le conseil d’administration (CA) y était réuni en séance plénière. Une occasion, donc, pour les opposants, de rencontrer des décideurs et de faire entendre leur voix.
Après la mobilisation de Sainte-Soline le 29 octobre, le mouvement anti-bassines entend poursuivre le combat. Notamment en « s’invitant », comme ce jeudi, dans les débats de l’Agence de l’eau et en pesant sur celle-ci afin qu’elle « mette un terme au financement public de ces projets délétères ». Dans les prochains mois, l’Agence de l’eau Loire-Bretagne doit en effet se positionner sur le financement de méga-bassines en projet dans le Poitou (trente nouveaux projets ont été annoncés dans la Vienne). »
La grille fermée et les policiers derrière.
Ils réclament « une transparence absolue »
« Demander la suspension de tout financement par l’Agence de l’eau de projets de bassines ; réclamer un bilan et une expertise de celles qui existent déjà » : voici deux des principales requêtes du mouvement. Selon Julien Le Guet, du collectif « Bassines non merci des Deux-Sèvres », « on doit aux citoyens une transparence absolue sur ces sujets ». Il pointait du doigt la question de la gouvernance et de la composition de ce conseil d’administration, une instance décisionnelle présidée par la préfète de la Région Centre. « Nous allons poser des questions et exiger des réponses écrites », indiquait ce porte-parole qui a fait partie de la délégation reçue par le CA ce 15 décembre.
Le député écologiste élu au Parlement européen, Benoît Biteau, installé en Charente-Maritime, faisait partie des élus présents à cette mobilisation : « Il s’agit d’un mouvement citoyen. L’idée n’est pas de se focaliser que sur le Marais poitevin car la problématique est nationale, européenne. »
Parmi les manifestants locaux figuraient des représentants de l’association de L’ÉCOlivetaine (ex-Olivet en transition). « Nous sommes là car nous ne sommes pas d’accord avec ces projets de bassines qui coûtent 60 millions d’euros et profitent à 150 personnes. C’est la première fois que nous nous mobilisons contre les bassines, mais nous comptons continuer le combat. Il est choquant de voir toute cette police mobilisée. On n’est pas des violents.«
« Dans le Loiret, nous n’avons pas de méga-bassines, mais… »
Eric Vidal, pour l’association Eau secours 45, s’exprimait également : « On est nombreux aujourd’hui. Ça fait chaud au cœur car ce n’est pas toujours le cas des mobilisations localement. » Il soulignait : « Dans le Loiret, nous n’avons pas de méga-bassines, mais sept retenues collinaires qui ne fonctionnent pas exactement selon le même principe, mais qui participent à maintenir un type d’agriculture que nous rejetons totalement. »
Que sont ces bassines ? « Rien d’autre que de l’eau captée et stockée au profit de quelques agriculteurs privilégiés. C’est une privatisation voire une confiscation quand l’eau vient à manquer, comme ces dernières années », selon Eau secours 45. « Ces bassines sont un scandale car, contrairement à ce qu’on pourrait penser, elles sont majoritairement financées par de l’argent public, le nôtre ! »
Blandine Lamorisse
Mégabassines : militants et politiques dénoncent les financements publics
200 antibassines ont accompagné une délégation de militants et d’élus reçus par l’Agence de l’eau à Orléans, le 15 décembre 2022. – © Valentina Camus / Reporterre
Contre le « rouleau compresseur » des mégabassines, plus de 200 activistes et élus se sont réunis le 15 décembre devant l’Agence de l’eau d’Orléans, financeur de ces retenues d’eau.
Orléans (Loiret), reportage
Une quinzaine d’agents des forces de police et des renseignements généraux forment une ligne à l’entrée de l’Agence de l’eau Loire-Bretagne en milieu de journée jeudi 15 décembre. Séparés par une grille, plus de 200 activistes antibassines entament des chants — « No basaran ! » —, montent un « banquet paysan », et déroulent des banderoles — « Pensées par nos parents, les mégabassines assoiffent nos enfants ». Un homme porte une veste kaki siglée « écoterroriste » : un clin d’œil aux mots du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Les manifestants accompagnent un groupe d’élus et de militants que l’agence a accepté de recevoir. C’est elle qui décide d’accorder, ou non, les subventions publiques à ces retenues d’eau géantes dédiées à l’agroindustrie en chantier dans une trentaine de départements. La requête des écologistes est simple : un « moratoire citoyen » et l’arrêt de ces subventions : « pas un centime de plus pour les mégabassines ».
« Le fait qu’il y ait un cordon de CRS devant cette maison de l’eau, qui est censée être celle de tous, c’est questionnant », déplore Julien Le Guet, l’un des porte-parole nationaux des collectifs Bassines non merci. Principal sujet du jour : trente nouvelles mégabassines sont en projet dans la Vienne. Celles-ci sont prévues par le protocole Clain, ratifié le 4 novembre. Soit quelques jours à peine après la mobilisation à Sainte-Soline, un tournant dans la lutte antibassines. On apprend grâce à ce protocole que 14,9 millions d’euros de subventions publiques seront consacrées à onze de ces bassines de la Vienne. Dans les Deux-Sèvres, l’enveloppe d’argent public escomptée est de 74 millions d’euros pour seize bassines.
« Les rivières sont à sec, les poissons crèvent »
Pendant que la délégation est reçue, des soutiens venus de départements voisins patientent dans le froid mordant. Agnès, une habitante de Melle, dans les Deux-Sèvres, n’a pas raté une seule mobilisation nationale contre les mégabassines. « On habite dans une région où les rivières sont à sec, où les poissons crèvent », justifie-t-elle simplement. Son compagnon, Michel, fustige un « marché déloyal : de l’argent public est versé au profit de l’argent privé. Cela nourrit la spéculation sur les terres agricoles, au lieu d’aller en direction des jeunes paysans ». De fait, un chantier comme celui désormais emblématique de Sainte-Soline est financé à près de 70 % par des subventions publiques. Et la construction de ce type de bassines fait grimper le prix des terres.
Lorsque la délégation réapparaît, une heure plus tard, les applaudissements pleuvent. « On a passé tous nos messages, et mis en avant les priorités citoyennes », se satisfait Benoît Biteau, député européen écologiste. L’élu insiste sur les recours en justice contre des projets de bassines. « Beaucoup sont toujours en cours. Or ces projets avancent au rouleau compresseur », déplore-t-il.
Les opposants regrettent aussi que les trente nouveaux projets de bassines aient été annoncés dans un protocole « sans valeur juridique », mené par le préfet de la Vienne. Et ce, avant même la conclusion d’un projet de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE) ou d’une analyse Hydrologie Milieux Usage Climat (HMUC), des documents pourtant de rigueur.
« Nous n’avons pas de demande formelle de financement : pour l’instant, ces trente projets ne sont pas à l’ordre du jour de notre conseil d’administration. On attend le résultat d’une étude HMUC », assure Martin Guitton, directeur général de l’Agence Loire-Bretagne, interrogé par Reporterre. Le protocole sur le bassin du Clain prévoit tout de même la construction de ces trente bassines à l’horizon 2026. Le préfet de la Vienne espère le début des chantiers mi-2023. « On parle bien plus de ces projets qu’il ne s’en réalise sur le terrain », tempère encore le directeur général de l’agence.
« L’obligation de subir nous donne le droit de savoir »
Un cas était au cœur de l’argumentaire des militants : la bassine de Mauzé-sur-le-Mignon. Désormais achevé, ce chantier avait rencontré une large opposition citoyenne en septembre 2021. À l’heure actuelle, cette bassine est « prête à être remplie, alors même que la rivière du Mignon est à sec ! » s’indigne Julien le Guet. « C’est un sujet que nous n’expertisons pas. Cela relève des services départementaux, puisqu’il s’agit de règles de police de l’eau », balaie Martin Guitton.
Parmi les opposants aux bassines, on regrette le manque de transparence de l’Agence de l’eau. « Dans sa gouvernance, il y a une alliance entre l’État et la FNSEA », le syndicat de l’agro-industrie, critique Julien Le Guet. Les élus et militants réclament une meilleure ouverture de ces espaces décisionnels aux citoyens. « Agriculteurs, industriels, associations de défense de l’environnement, pêcheurs, services de l’État… La pluralité est déjà présente dans notre comité de bassin », défend Martin Guitton. Le conseil d’administration de l’agence n’est pas public, « mais ses comptes-rendus le sont. C’est transparent », ajoute-t-il.
Michel, l’habitant des Deux-Sèvres venu avec sa compagne Agnès, estime aussi que la politique des mégabassines reste trop opaque pour les citoyens comme lui, pourtant directement touchés. Philosophe, il cite le livre Printemps silencieux de Rachel Carson — un ouvrage fondateur des luttes écologistes — : « L’obligation de subir nous donne le droit de savoir. »