Initialement présentée par les lobbies de l’immobilier qui ont manipulé l’opinion avec quelques cas de « petits propriétaires » dont le logement a été squatté, la loi Kasbarian-Bergé est devenue une redoutable machine de guerre tous azimuts contre les mal-logés, les squatteurs, et ceux qui les soutiennent. Elle a déjà fait un aller à l’Assemblée nationale et au Sénat. Il lui reste à faire le retour avant d’être définitivement adoptée.
Que dit la loi en l’état ? L’occupation d’un lieu quelconque est un délit. C’est déjà le cas pour toute résidence principale ou secondaire. Cela le devient pour tout local même vide et sans meuble. La loi prévoit pour cela 2 à 3 ans de prison selon qu’il s’agit d’un logement ou d’un local commercial et 45 000 euros d’amende. De plus, elle assimile les locataires en situation d’impayés à des squatteurs.
Certes, devant le tollé qui s’est exprimé de la part des associations, le Sénat a prétendu alléger cet aspect et le ministre du Logement, Olivier Klein, a pu dire, satisfait, que la dernière version de la loi adoptée au Sénat en première lecture « était équilibrée ». Il n’empêche ! Si la peine de prison est supprimée, le locataire risque toujours 7 500 euros d’amende pour s’être maintenu dans le logement alors qu’il y a une décision d’expulsion prononcée.
La loi introduit de façon systématique dans les contrats de bail une clause permettant au propriétaire de mettre fin au bail sans passer par la justice, clause dite « de résiliation de plein droit » qui renforce le droit des propriétaires de façon substantielle. Enfin les expulsions elles-mêmes sont accélérées. Les délais de procédure réduits au minimum au nom de la lutte contre « l’usage dilatoire des procédures par des locataires de mauvaise foi ».
Toutes les associations de locataires ont dénoncé le scandale de cette loi qui vise à criminaliser l’occupation illégale de logements ou de locaux pour se mettre à l’abri, alors que tous les indicateurs sur le logement, sur le logement social, sont au rouge. On n’a jamais aussi peu construit en France que cette année, et plus de 330 000 personnes sont sans domicile. Dans cette situation de pénurie de logements le gouvernement choisit de renforcer l’arsenal juridique répressif plutôt que de répondre aux besoins. Une vraie politique de classe.
Le 1er avril, les manifestations qui se tiendront à l’occasion de la journée européenne pour le droit au logement, de la fin de la trêve hivernale 2023, cibleront particulièrement la loi Kasbarian aux côtés de la reprise des expulsions locatives, des hausses des charges et des loyers, de l’inflation du prix de l’énergie
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Par Olorin Maquindus
Le 03/04/2023
Le samedi 1er avril signe le premier jour après la fin de la trêve hivernale. Il est donc à nouveau possible d’expulser les locataires poursuivis pour loyers impayés. À Paris, des associations manifestent contre la loi Kasbarian-Bergé qui assimile les locataires précaires à des criminels et aggraverait des expulsions déjà massives. Reportage
« Solidarité avec les mal logé·es. » Sur la place de la Bastille, samedi 1er avril, les associations et syndicats redoutent une hausse des expulsions et une criminalisation des foyers les plus modestes, mais aussi des squatteurs. « Un toit = un droit », « se loger n’est pas un crime ! C’est un droit ! » ou encore « Non aux expulsions ! », pouvait-on lire sur les nombreuses banderoles des manifestants.
Environ 400 personnes ont manifesté dans les rues de Paris, pour défendre un droit au logement et à l’habitat digne. La proposition de loi « visant à protéger les logements contre l’occupation illicite », dite loi Kasbarian-Bergé, dont le vote solennel est prévu mardi 4 avril, rendrait cette lutte quasiment impossible pour de nombreux locataires précaires.
Les expulsions de familles impactent fortement les enfants
La proposition de loi qui sera votée en grande partie par la majorité présidentielle, Les Républicains et le Rassemblement national, a pour objectif de durcir les sanctions à l’encontre des locataires précaires et des sans-logis.
« Le 1er avril, en France, de plus en plus de personnes se retrouvent précarisées. Au DAL, nos luttes sont souvent portées par les femmes. Cette loi Kasbarian contre laquelle on se bat s’attaque aussi en premier lieu aux femmes. Souvent, ce sont elles qui rencontrent des difficultés à avoir des ressources stables », explique Passy Mondo, bénévole à l’association Droit au logement (DAL). Et d’ajouter, « les expulsions de familles impactent fortement les enfants, c’est un stigmate sans nom qui fragilise la vie sociale des enfants. »
La fondation Abbé Pierre dans son dernier rapport a exprimé « ses doutes face au désintérêt du président de la République pour le sujet du mal-logement ». La fondation recense en France 4,1 millions de personnes en situation de mal-logement et 300 000 personnes sans domicile. Un chiffre qui n’a cessé d’augmenter au cours de ces dernières années. Cet hiver, un millier d’enfants ont eu à dormir à la rue, faute d’avoir trouvé une place dans un hébergement d’urgence. Pour certaines familles qui ont pu bénéficier de la période de trêve hivernale, ce 1er avril est source d’angoisses.
C’est le cas de d’Hélène* rencontrée lors de la manifestation. « La trêve hivernale a permis de souffler même si ce n’était pas évident tous les jours. J’ai très peur de me retrouver à la rue avec mes enfants », se désespère cette mère de deux enfants. « Je ne sais pas si les gens qui vont voter cette loi se rendent compte de ce que ça fait que de vivre avec cette angoisse au quotidien. »
Il est possible pour la députée La France insoumise, Danielle Simonet, de « résoudre la crise du logement, en prévenant les drames humains et en garantissant la protection des propriétaires. » Pour cela, son groupe à l’Assemblée nationale, la Nupes, propose « la généralisation de la garantie universelle de loyer, le renforcement des moyens d’hébergement et la relance de la construction de logements sociaux. »
« On est en plein dans une logique de financiarisation du logement, déplore l’élue de gauche. On devrait inscrire le droit au logement dans la Constitution pour permettre à tout le monde d’avoir accès à un logement. »
Porté par le parti Renaissance de la majorité présidentielle, et Horizons (parti d’Edouard Philippe), la proposition de loi vise surtout à amplifier les sanctions à l’encontre des squatteurs. Elles seront triplées. Jusqu’à trois années de prison au lieu d’une seule actuellement, et une amende pouvant grimper jusqu’à 45 000 euros, contre 15 000 euros aujourd’hui. Un des objectifs de cette loi est également de raccourcir la durée des procédures d’expulsion.
Lors de l’examen de la proposition de loi en commission, les députés de la majorité, et notamment, son rapporteur Guillaume Kasbarian, ont insisté sur « la souffrance des petits propriétaires en difficulté ». Or, il s’agit de situations ultra-minoritaires. D’après le premier bilan de l’Observatoire des squats en 2021, « le squat n’est pas un phénomène massif en France ».
Pour ce qui est des impayés de loyers, un avis de la Défenseure des droits, fin novembre 2022, faisait état de seulement 2 % d’impayés sur l’ensemble des locations en France. Dans ce même document, Claire Hédon exprime un avis défavorable sur la proposition de loi actuellement en discussion : « Au-delà de l’absence de proportionnalité, il apparaît que sur de nombreux aspects, la proposition de loi n’apporte aucun avantage aux propriétaires. »
L’Insee a, par ailleurs, récemment rappelé que dans le parc locatif (où logent 42 % des ménages en France), l’image du petit propriétaire modeste ne correspond pas à la majorité des cas. L’institut indique que, « les 24 % de ménages multipropriétaires possèdent les deux tiers du parc de logements détenu par des ménages ».
Le sociologue Camille François vient de publier sa thèse, aux Éditions La Découverte, qui porte justement sur les expulsions locatives : De gré et de force. Comment l’État expulse les pauvres. Il y documente comment les expulsions ont augmenté au cours de ces vingt dernières années.
« On perd la notion de domicile, en l’étendant à des locaux vides à usages économiques, pointe ici le sociologue. C’est une loi qui consacre le droit de propriété d’une minorité de la population au détriment de l’intérêt d’une majorité de famille qui n’ont que le marché locatif pour se loger. Cette loi est un recul historique du droit au logement. »
Olorin Maquindus