La “comptesse” aux mains vides.
Aujourd’hui 14 juin 2019, la “sinistre » de la santé a ouvert une demie paupière, embrassant de son regard d’aristocrate de la médecine, le panorama des urgences sinistrées. Une furtive moue de dédain a traversé son visage de comtesse en un spasme vite réprimé. Les caméras et tous ces sagouins de journalistes guettent le moindre sourcillement, alors attention ! Cachons notre mépris.
Puis en étouffant un bâillement de lassitude face à ces va-nu-pieds qui la sortent de la tiédeur confortable de son bureau ministériel elle a condescendu à recevoir une délégation de ce petit peuple des faubourgs hospitaliers que sont les urgences.
Quelques instants après elle réapparaissait pour les effets d’annonces.
Car qu’est la politique si ce n’est l’art de maitriser l’effet d’annonce. Et c’est en bonne comédienne que son numéro s’est déroulé avec l’éternelle chiffre choc qui doit balayer toutes les critiques par le nombre de ses zéros.
Aujourd’hui c’est 70 millions. Sept zéros. Et Toc ! 70 briques. Tu l’as vu ma bonne volonté, pauvre piaillard des urgences.
Sauf que le personnel des urgences fait ses comptes et 70 millions pour 600 services d’urgences ça fait pas bésef. Ce sont quelques centaines de milliers d’euros par département à couper en deux morceaux, 55 millions pour la paie du personnel et 15 millions pour des mensualités de remplacement cet été.
D’abord les 55 millions pour la paie du personnel.
Par agents on tombe en dessous de 100 euros car la prime de risque les atteint à peine. A vérifier fin juillet sur les fiches de paie et ne pas oublier que ce n’est pas une prime supplémentaire mais une prime à la place d’une autre. La précédente sera supprimée car le cumul est impossible. Le net réel devrait être largement inférieur aux 100 euros nets annoncés. Premier effet de manche de la “comptesse”.
Puis les 15 millions pour des mensualités de remplacement.
C’est son deuxième et fatal effet de manche. Ramenés aux 600 services en années pleines cela représenterait 1/2 poste supplémentaire par service. La comptesse est généreuse et on sent bien que sa demie paupière entrouverte lui a permis de bien appréhender la mesure de cette crise de fond.
Ses déclarations précisent que, grâce à cet argent, on ouvrira plus de lits d’aval cet été. Le p’ti bout de poste ira peut être vers des mensualités de remplacement dans un service d’hospitalisation. Tant mieux pour l’heureux service élu car là aussi les conditions de travail se sont terriblement détériorées. Mais bien souvent ce sera peau de balle et balai de crin.
Ces déclarations frisent le ridicule total, l’inconscience ou le mépris. Ou les trois à la fois. Comme d’habitude l’aristocratie médico-politique vit dans son petit monde bien loin des réalités du terrain et des gueux. Jusqu’au jour où…
On allait oublier, l’essentiel ?
Le plafond des heures supplémentaires payées passe à 20 h par mois. Là encore elle devrait avoir honte, notre comptesse. On propose à des infirmières, aides soignantes épuisées de… travailler plus. Bien sûr le paiement de ces heures met un peu de beurre dans les épinards mais ce n’est pas cela qui protègera le personnel du burn-out qui se répand comme une trainée de poudre. Bien au contraire.
Sans oublier, les oublié-es
Les médecins, rien, à part des perspectives inconnues et bien mystérieuses annonçant une révolution dans l’hôpital public, une de plus.
Les aides soignantes quasi oubliées et bien loin de toucher l’hypothétique prime de “coopération” qui ne concernera qu’une poignée d’infirmières acceptant de faire des tâches médicales pour quelques euros. Elles se contenteront de la prime de risque.
Alors la colère enfle. 106 services touchés par le mouvement de grève. Collectif Inter-urgences, comité de grève national, une auto-organisation salutaire qui ne peut que protéger cette lutte des manoeuvres redoutées de certains syndicats toujours prêts à accepter l’inacceptable.
Si le gouvernement s’entête dans ses déclarations méprisantes aucun doute, la pression ne risque pas de retomber. Un signe fort qui devrait réveiller nos gestionnaires chéris : les hospitaliers osent. Les formes de grève, arrêts de travail et arrêts maladie, blocages… apparaissent dans des établissements habituellement peu touchés par les mouvements sociaux. L’alerte est sérieuse et l’enjeu énorme pour des équipes qui n’ont plus rien à perdre. Il est urgent que la comptesse se réveille car la révolte explose. Jusqu’à la révolution ?
Jean Delhosto