Ce jeudi sera marqué par une journée de mobilisation contre le plan Hercule qui vise à accélérer la privatisation d’EDF. Si ce combat rejoint en de nombreux points la question de la lutte contre la réforme des retraites et contre le gouvernement, il reste inscrit dans un calendrier éclaté. Une situation qui souligne la nécessité de construire la convergence au plus vite.
Evidemment, cette journée de grève prend une importance particulière dans le contexte actuel, celui d’une rentrée sociale chargée, et d’une colère importante des travailleurs contre le projet de réforme des retraites et le gouvernement, ce dont témoigne les taux de grévistes historiques de la mobilisation RATP du 13 septembre dernier.
Si la journée de grève EDF peut apparaître comme distincte des mobilisations contre les retraites, il convient de noter les nombreux éléments communs avec ces mobilisations.
Tout d’abord, comme la réforme des retraites, le Plan Hercule est une commande de l’Elysée. Dès 2016, Emmanuel Macron évoquait l’hypothèse d’une dissociation entre les activités nucléaires et le reste du groupe. Ensuite, derrière le Plan Hercule se cache une logique de destruction des conquêtes du mouvement ouvrier, telles que le statut des électriciens et gaziers, au profit d’une dégradation de l’emploi, dans le même sens que la réforme des retraites et la suppression des régimes spéciaux qu’elle doit permettre d’opérer.
Enfin, s’il fallait une raison supplémentaire de s’opposer à ce plan, notons son caractère totalement anti-écologique. Interrogé par Reporterre, le ministère de la Transition écologique et solidaire n’a pas hésité à décrire le futur plan en ces termes : « à la demande du président de la République, dans le cadre de la PPE [programmation pluriannuelle de l’énergie], EDF a été invitée à proposer une nouvelle structure, plus adaptée aux enjeux de la transition énergétique. »
Or avec la privatisation des énergies renouvelables ainsi que des fonctions de distribution, c’est tout l’inverse qui va se produire. Comme l’explique Anne Debrégeas, chercheuse au Centre de recherche d’EDF et syndiquée à SUD-Energie, à Reporterre : « Nos études montrent que pour éviter le déséquilibre entre l’offre et la demande d’électricité, qui peut entraîner un black-out en quelques minutes, il est bien plus efficace et meilleur marché d’avoir un acteur intégré qui organise une complémentarité très fine entre les moyens de production, plutôt que des acteurs aux intérêts concurrents coordonnés par un marché. » Un enjeu qui devient encore plus brûlant lorsque la crise écologique commande d’opérer une transition énergétique radicale.
Si la lutte contre le plan Hercule a donc tout pour s’inscrire dans un grand mouvement contre les politiques du gouvernement, qui permette de faire tomber la réforme des retraites mais aussi de mettre en avant les enjeux sociaux et écologiques brûlants – à l’image de la convergence qui s’esquisse entre écolos et Gilets jaunes pour le 21 septembre – force est de constater que le plan de bataille des directions syndicales est encore totalement insuffisant.
Ainsi, les directions syndicales qui appellent à la journée de demain inscrivent leur action dans une division générale des dates qui affaiblit les diverses mobilisations dont les revendications et les objectifs se rejoignent pourtant largement. A ce titre, le fait que la mobilisation à EDF soit prévue pour ce jeudi, tandis que la journée de grève lancée par les sous-traitants des centrales nuclaires pour leurs conditions de travail et de sécurité ait eu lieu la veille est un exemple de division qui affaiblit l’ensemble des travailleurs alors qu’ils travaillent pourtant au même endroit.
De même, le mouvement contre la réforme des retraites reste encore éclaté à ce jour, avec des dates éparpillées par secteurs et par syndicats, et des dirigeants syndicaux qui entendent se maintenir sur le terrain des négociations. Pourtant, la grève massive à la RATP a montré que la colère et la détermination existent à la base, mais aussi que lorsque les travailleurs se mettent massivement en grève, ils sont capables de paralyser la société. Or le projet de réforme Macron-Delevoye menace le régime de retraite des salariés d’EDF qui vient compenser la pénibilité du travail, la dangerosité pour les interventions sur le réseau, ainsi que le travail en horaires décalés et les semaines d’astreinte, comme les 41 autres régimes spéciaux à la RATP et ailleurs.
De nombreux travailleurs ont conscience que cette stratégie de grèves sectorielles et éclatées est pensée par les directions syndicales uniquement pour négocier et non pour imposer le retrait pur et simple du projet de loi, à l’instar des nombreux salariés de la RATP grévistes, syndiqués ou non, qui réclamaient la semaine dernière une grève « illimitée », en opposition à la direction de l’UNSA et de la CGT. Cette possibilité pourrait en effet changer toute la situation et mettre le feu aux poudres. La classe dominante en a conscience et redoute le retour d’un mouvement de type 1995.
Mais, c’est également le risque d’une convergence, d’un « tous ensemble » qui lui fait peur. Cette perspective d’une mobilisation inter-syndicale, inter-professionnelle, capable d’agréger des secteurs tels que la jeunesse, les quartiers populaires, les écolos et les Gilets jaunes autour de revendications communes est pour le moment empêchée par la stratégie de négociation secteur par secteur des directions syndicales. C’est pourtant vers cela qu’il faudra aller.
commence, et elle s’annonce longue et complexe. Jeudi 19 septembre, l’intersyndicale d’EDF appelle à une grève « massive » contre le projet de découpage en deux entités de l’entreprise publique.
La mobilisation promettait d’être importante, avec des baisses de production dans les centrales hydroélectriques, et dans certains sites nucléaires ou thermiques. « C’est tout simplement la fin d’Electricité de France. On coupe le lien entre la production et la commercialisation », a expliqué mardi, lors d’une conférence de presse, Philippe Page Le Merour de la CGT.
L’objectif des syndicats – qui ont été reçus au ministère de la transition écologique et solidaire, mais pas par la ministre Elisabeth Borne – est de mener une première mobilisation pour faire monter la pression et démontrer à la direction d’EDF et au gouvernement que ce projet de réorganisation n’est pas acceptable en l’état.
Surnommé « Hercule », ce chantier titanesque consiste à séparer les activités d’EDF en deux entités. D’un côté, « EDF Bleu » deviendrait une structure 100 % publique qui comprendrait toutes les activités nucléaires, les barrages hydroélectriques, peut-être les centrales à gaz et le gestionnaire du réseau de transport d’électricité (RTE). De l’autre, « EDF Vert » regrouperait la branche commerce, qui fournit l’électricité aux clients, les énergies renouvelables, les services et Enedis (ex-ERDF), le réseau de distribution d’électricité.
Dans un document confidentiel diffusé cet été au comité stratégique du conseil d’administration de l’entreprise et que Le Monde a pu consulter, la direction d’EDF détaille de manière un peu plus précise sa démarche. Le groupe souhaite que le nucléaire soit considéré comme service d’intérêt économique général (SIEG) au niveau européen « puisqu’il recouvre une mission d’intérêt général ». Autrement dit : qu’il puisse déroger aux règles de la concurrence européenne et être intégralement piloté en direct par l’Etat.
Un autre sujet majeur ressort de cette présentation : la réforme de l’Arenh, le dispositif qui oblige EDF à vendre à un prix fixe à ses concurrents le quart de sa production nucléaire – un mécanisme inventé pour convaincre Bruxelles de ne pas démanteler le géant public, accusé d’abuser de sa position dominante. « La régulation est un préalable à la mise en œuvre d‘une évolution de l’organisation du groupe », écrivent ainsi les concepteurs d’Hercule.
Concrètement, EDF lie de manière directe la réforme de ce dispositif – qualifié récemment par un dirigeant du groupe de « péril mortel » – à la réorganisation. C’est le cœur de la négociation à venir avec la Commission de Bruxelles, qui s’annonce particulièrement ardue, selon les premières informations qui filtrent sur les contacts entre l’Etat français et le nouvel exécutif européen. « Il est fort probable que les discussions avec la Commission européenne portent sur des garanties permettant de sécuriser le développement de la concurrence commerciale », note également le document.
Pour convaincre Bruxelles d’autoriser la nationalisation du nucléaire français, EDF devra se séparer de sa branche commerciale. Une perspective qui inquiète les syndicats, qui y voient la mort de cette activité, qui compte plus de 6 000 salariés en France. Or, dans ce domaine, les marges sont très faibles et la compétition est rude. Les concurrents du groupe public ont majoritairement délocalisé leurs services client. « Un EDF fournisseur d’électricité séparé de la production n’a aucun modèle économique », s’alarme un syndicaliste.
Autre point important mentionné dans la présentation aux administrateurs : ce mécano repose également sur l’idée que l’Etat doit absolument relancer un programme de construction de réacteurs nucléaires.
« Sans l’assurance de construction rapide de nouvelles tranches, l’avenir industriel de l’entité qui serait chargée des activités nucléaires serait réduite à accompagner l’extinction progressive de ses actifs », prévient le document. Or le gouvernement n’a pas donné son feu vert à tel projet, et n’entend pas le faire avant – au mieux – mi-2021.
Dans le schéma proposé – présenté comme « non validé » –, la maison mère « Bleu » devrait détenir au minimum 65 % des parts de « Vert ». « En deça, les deux entités seraient notées [par les agences de notation] distinctement avec un risque d’abaissement de la note des deux », est-il précisé. De quoi alimenter le moulin de ceux qui s’inquiètent d’une logique purement financière dans cette opération. « En interne, le projet passe très mal, il n’y a pas de logique industrielle », s’inquiète un cadre.
En attendant, la mobilisation syndicale contre ce découpage a pris une tournure inattendue, avec la publication, le 13 septembre dans Les Echos, d’une tribune de députés Les Républicains (LR) opposés au projet Hercule, dénonçant « un rêve de financiers ». Julien Aubert, député (LR) du Vaucluse et spécialiste des questions d’énergie, a également écrit au ministre de l’économie Bruno Le Maire. Il s’inquiète d’un « risque sur la souveraineté du service public de l’électricité ».
Interrogé sur le sujet à l’Assemblée nationale mercredi, M. Le Maire a répondu qu’à ce jour « aucune décision n’a été prise sur EDF », avant d’ajouter : « Nous garantirons l’intégrité d’EDF ». Au gouvernement, les différents ministères font preuve d’une prudence de sioux sur le sujet. Et pour cause : c’est Emmanuel Macron qui prendra lui-même la décision ou pas de se lancer dans ce chantier à haut risque. Seul un rapport de force de haut niveau social pourra arrêter les volontés de ce valet des capitalistes ! En avant pour l’unité contre ce pouvoir !