La CGT, FO, Solidaires, la FSU et des organisations de jeunesse ont appelé à une nouvelle journée de mobilisation le 20 février et d’autres initiatives sont envisagées à plus long terme ; alors qu’à Orléans se profile une « chaîne humaine le 13 fevrier !
Un baroud d’honneur ? N’allez surtout pas prononcer ces mots devant Lionel, croisé, jeudi 6 février, dans le défilé parisien contre la réforme des retraites. « Bien sûr que non, ce n’est pas terminé. Ça va continuer, même s’il y a moins de monde, affirme ce retraité, longtemps encarté à la CGT. Tous les gens qui sont là sont très déterminés. » A quelques pas de lui, des agents de la RATP, hilares, scandent : « Et on ira, et on ira jusqu’au retrait ! » Plus en amont dans le cortège, l’escouade féministe formée par Attac exécute la chorégraphie désormais bien connue des manifestants, en entonnant « A cause de Macron/c’est la chute des pensions/pour Fatou et Marion… »
De l’enthousiasme, il y en avait encore parmi les femmes et les hommes qui ont participé à la nouvelle journée nationale d’action – la neuvième depuis le début du mouvement. Ils étaient 121 000 à battre le pavé dans tout l’Hexagone et 15 000 dans la capitale, selon le ministère de l’intérieur. La CGT, elle, a dénombré 130 000 personnes entre gare de l’Est et Nation, sans donner de chiffre national. C’est légèrement mieux que lors de la précédente initiative interprofessionnelle, le 29 janvier, mais loin des premières déferlantes (806 000, dont 65 000 à Paris, le 5 décembre 2019, selon la place Beauvau).
Dans le carré de tête syndical, Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, juge que « la mobilisation est là et ceux qui refusent de la voir doivent ouvrir les yeux ». Pour lui, « on est loin d’être à la fin ». Son homologue de FO, Yves Veyrier, reconnaît, lui, que « ça devient difficile » mais appelle à être « imaginatif ». « C’est comme dans un marathon : ça ne se gagne pas en faisant un sprint tous les jours », complète-t-il. A leurs côtés, Eric Beynel, l’un des porte-parole de Solidaires, estime qu’il y a « des points d’appui » : « On a gagné la bataille idéologique sur leur projet, avec une opinion publique qui reste majoritairement opposée à la réforme. »
Si la grève reconductible s’est interrompue à la RATP et à la SNCF, d’autres ont repris le flambeau. Une large partie du personnel employé dans trois sites d’incinération de déchets, en Ile-de-France, a cessé le travail, provoquant l’apparition sur les trottoirs de monticules de sacs de déchets autour de poubelles pleines. A Marseille, la CGT a organisé une opération « ports morts », qui a causé des retards pour les navires de Corsica Linea. Idem au Havre, où l’activité était à l’arrêt. Mercredi, égoutiers, éboueurs et fonctionnaires de la police scientifique ont monté une scène de crime – fictive – devant l’Opéra Garnier. « C’est très étonnant, décrypte Jean-Marie Pernot, politologue à l’Institut de recherches économiques et sociales. C’est une mobilisation à géométrie totalement variable : il y a des secteurs qui sortent, d’autres qui rentrent. Et si le caractère central de la manifestation se tasse un peu, le mouvement est toujours vivant. Certes à bas bruit, mais toujours vivant. »
Parmi ceux qui s’impliquent depuis le début dans la contestation, il arrive toutefois que la lassitude se fasse sentir. Ingénieur chez EDF, militant de la CGT, Joël, 59 ans, dit avoir « participé aux précédentes journées nationales d’action, en faisant grève chaque fois ». Idem pour sa femme. Leurs deux salaires ayant subi des retenues, « ça commence à faire mal », confie-t-il, juste avant le coup d’envoi de la manifestation : « Il faut qu’on s’organise pour durer. » « L’essoufflement de la grève, c’est uniquement dû aux pertes de salaires », affirme Christophe Thetier (UNSA-ferroviaire), en queue de cortège avec un petit groupe de militants.
Si les cheminots, engagés dans le conflit, ont repris le travail, « ça ne veut pas dire qu’ils sont d’accord avec ce qui est mis en place », souligne-t-il. « On est encore là », martèle-t-il. Toute la question, désormais, est de savoir comment prolonger la lutte. « C’est compliqué », admet Alain, 62 ans, cadre administratif, en évoquant timidement l’« espoir, qu’au Parlement, il se passe quelque chose », puisque l’opposition ferraille depuis lundi, à l’Assemblée nationale, contre les textes instituant un régime universel de pensions. « Il peut y avoir d’autres types d’action », ajoute-t-il, sans préciser la forme qu’elles pourraient revêtir.
Dans la soirée de jeudi, l’intersyndicale, qui regroupe la CGT, FO, Solidaires, la FSU et des organisations de jeunesse, s’est entendue sur plusieurs options pour essayer de poursuivre l’offensive et de la faire basculer dans une nouvelle phase. Une date a été inscrite à l’agenda des protestataires : le 20 février, des manifestations interprofessionnelles et des grèves sont prévues. Un horizon à deux semaines qui permet de recharger les batteries. D’autres initiatives sont envisagées, à plus long terme – notamment autour du 31 mars – pour avoir le temps de bien se préparer. L’intersyndicale a également avancé l’idée d’une « contre-conférence » de financement, courant mars, parallèlement à celle mise en place par l’exécutif.
De son côté, l’UNSA-RATP, qui avait suspendu sa participation au mouvement mi-janvier, a appelé à faire du 17 février un « lundi noir » dans les transports – c’est-à-dire le jour où doit commencer l’examen en séance de la réforme, au Palais Bourbon.
Les opposants veulent également profiter de la campagne des municipales pour se faire entendre. « Les salariés sont des électeurs », rappelle M. Veyrier. « Les comptes se régleront dans les urnes, aux municipales, peut-être et plus sûrement à la présidentielle », abonde un haut fonctionnaire, familier des problématiques sociales. Boulevard Magenta, à Paris, Monique, une retraitée de 85 ans, en est persuadée : le conflit laissera des traces – « les gens sont tellement écœurés ». Dans sa ligne de mire, la prochaine présidentielle. « Il faut se montrer, qu’il y ait du monde, jusqu’à ce que l’on puisse rétablir la situation en 2022 », glisse-t-elle. Cette ancienne électrice de Jean-Luc Mélenchon au premier tour de 2017 avait refusé de choisir au second entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Si une telle configuration doit se reproduire dans deux ans, elle ira glisser un bulletin dans l’urne « pour Le Pen », assure-t-elle : « On en prend pour cinq ans et après, on verra. De toute façon, ça ne peut pas être pire. »