La réforme des retraites, actuellement discutée en commission spéciale à l’Assemblée, aura eu le mérite de soulever une question beaucoup plus large : celle du salaire des profs. En effet, du fait de son nouveau mode de calcul des pensions, le projet de loi s’annonce comme fortement défavorable aux enseignants. Aussi, l’exécutif en a pris la mesure, promettant des vagues de revalorisations afin de contrecarrer les effets négatifs du prochain système universel.
Ce vendredi 7 février, le ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer a présenté aux syndicats une synthèse des premiers échanges en la matière. Est ainsi définitivement actée une enveloppe de 500 millions d’euros supplémentaire sur le budget de l’enseignement pour l’année 2021.
Celle-ci sera utilisée au moins pour moitié pour des augmentations de salaires des enseignants en début et en milieu de carrière. Sans trancher immédiatement sur ceux qui en profiteront le plus, le ministère a présenté quatre scénarios de primes jouant sur le nombre de personnels concernés, pour des revalorisations sous forme d’une prime sans condition, comprise entre 92 euros et 157 euros net par mois.
Scénario 1 : revalorisation pour les échelons 2 à 5, soit 14 % des profs, avec un maximum de 157 euros net par mois à l’échelon 2 et 64 euros net à l’échelon 5 (rien au-delà).
Scénario 2 : revalorisation pour les échelons 2 à 6, soit 23 % des profs, allant de 128 euros net par mois à l’échelon 2 à 49,80 euros à l’échelon 6 (rien au-delà).
Scénario 3 : revalorisation pour les échelons 2 à 8, soit 44 % des profs, allant de 114 euros net par mois à l’échelon 2 à 14,25 euros à l’échelon 8 (rien au-delà).
Scénario 4 : revalorisation pour les échelons 2 à 11, soit 76 % des profs, allant de 92 euros net par mois à l’échelon 2 à 14,25 euros de l’échelon 8 à 11.
Les augmentations de salaires des profs, de la poudre aux yeux ?
Ces 500 millions ne sont toutefois pas suffisants pour pallier les effets de la réforme des retraites. Aussi, le ministère assure qu’il ne s’agit que de la première étape, avant d’autres revalorisations. Celles-ci ne sont pour l’heure absolument pas chiffrées. Ont déjà été évoquées en coulisses différentes vagues entre 2021 et 2037, se concluant par 8 à 10 milliards d’euros consacrés. Selon les calculs de l’Unsa-Education, au total, cet effort budgétaire se chiffrerait à 76,5 milliards d’euros.
Le ministère préfère ne pas s’avancer pour l’instant, remettant les décisions à de prochaines négociations. A partir du 24 février, de nouveaux ateliers auront lieu, aussi bien sur des sujets annexes comme la formation des enseignants, la qualité de vie au travail ou l’égalité femmes-hommes, que sur les augmentations de salaires en 2021 et après. Toutes les revalorisations suivantes doivent être calées pour un projet de loi de programmation que l’exécutif espère faire voter fin juin ou début juillet.
« Tout doit être sur la table »
Des bonnes nouvelles pour les profs ? Pas si vite. Si elle a été débloquée pour compenser les effets de la réforme des retraites, la première enveloppe de 500 millions d’euros pour 2021 ne sera pas utilisée que pour cela. En effet, dans sa présentation, le ministère a également expliqué qu’une partie sera dédiée aux heures supplémentaires, aux remplacements de courte durée et aux formations réalisées durant les vacances scolaires. En somme, à payer des temps de travail, loin de l’objectif de revalorisation.
Le gouvernement prévoit-il de baisser le salaire des profs ?
Jean-Michel Blanquer n’a pas caché son intention de profiter de la question des augmentations de salaires pour « tout mettre sur la table pour améliorer le service public ». « Pour le ministre, la catastrophe des retraites et la revalorisation nécessaire des salaires est l’occasion de remettre complètement en question l’organisation du métier de professeur, déplore un représentant syndical au cœur des négociations. Déjà, il commence à nous sonder sur ce qu’on peut accepter sur le temps de travail, sur les missions complémentaires, sur les vacances… Il dit que “tout doit être sur table”, alors même que ça devait juste être une compensation de leur réforme ! »
« Nous ne sommes pas satisfaits que l’enveloppe budgétaire soit utilisée pour autre chose que les revalorisations de salaires, réagit Catherine Nave-Bekhti, secrétaire générale du syndicat Sgen-CFDT. Nous allons continuer de discuter pour que la priorité en 2021 soit bien la revalorisation des enseignants. Pour que la profession retrouve de son attractivité, il faut améliorer le pouvoir d’achat pendant la carrière. Le gouvernement doit prioriser ses objectifs en 2021 pour redonner du crédit à une revalorisation qui se fera sur plusieurs années. »
Cette année, le concours de recrutement des professeurs des écoles a enregistré une baisse de -3 % de ses inscrits ; dans le secondaire, le Capes affiche -8 %, et le concours pour les lycées professionnels, -40 % ! Un rapport sénatorial de 2016 [PDF] pointait de son côté une progression « inquiétante » du taux de démission des jeunes enseignants (dits stagiaires), passé de 1 % en 2012-2013 à 3,2 % en 2015-2016.
En cause, est pointée la rémunération des enseignants, qui n’a eu de cesse de diminuer au regard du smic depuis les années 2000. Et cela devrait continuer, puisque depuis l’élection d’Emmanuel Macron, le « point d’indice » qui permet de calculer le salaire des enseignants n’a plus évolué (il est dit « gelé »). Pis, est évoqué un gel jusqu’à (au moins) 2022. Et face à cela, une augmentation de 92 euros à 157 euros net par mois ne suffira pas.
Le Nouvel Obs
Présentée comme « historique » par JM Blanquer, la revalorisation ne sera finalement qu’un mince ruisseau. C’est ce qui ressort des documents ministériels remis le 7 février aux organisations syndicales. Des 10 milliards promis par le gouvernement, on passe à seulement 500 millions sur le budget 2021. Une seconde réduction s’opère par les choix ministériels. Les scénarios avancés représentent environ 200 millions seulement. Le reste ne sera donné qu’aux enseignants qui accepteront les tâches supplémentaires désignées par le ministre.
De 10 milliards à 14.25€ par mois…
Passer de 10 milliards à 200 millions, il n’y a qu’un alambic ministériel pour arriver à une telle distillation. Au final les enseignants n’auront que le parfum de la revalorisation. Celle-ci va leur échapper alors qu’elle est indispensable au maintien du montant de leur retraite.
Les documents remis le 7 février par le ministère aux organisations syndicales avancent 4 scénarios de revalorisation. Celle-ci prendrait la forme d’une prime d’attractivité. Il n’est pas question de réviser les grilles salariales ou encore d’augmenter le point Fonction publique, solutions qui impliquerait tous les fonctionnaires.
Des 10 milliards annoncés pour la loi de programmation il n’est plus question comme on le sait depuis le 13 janvier. Le ministère ne parle plus que des 500 millions qu’il a promis pour le budget 2021, c’est-à-dire pas avant une année.
Le premier scénario prévoit de verser une prime aux échelons 2 à 5 allant de 157 à 64 € nets par mois de façon dégressive de l’échelon 2 au 5ème. Cela toucherait seulement 14% des enseignants. Au-delà de l’échelon 5, il n’y aurait rien.
Le scénario 2, prévoit d’attribuer la prime aux échelons 2 à 6, soit 23% des enseignants, en diminuant son montant. On passerait de 128 à 49.80€ nets par mois. Le scénario 3 envisage de verser la prime de l’échelon 2 au 8ème échelon en faisant passer son montant de 114€ (échelon 2) à 14.25€ (échelon 8). Cela toucherait 44% des enseignants. Enfin le scénario 4 concerne 76% des enseignants mais toujours dans la même enveloppe budgétaire. La revalorisation concernerait tous les enseignants de la classe normale (76% des enseignants) avec une prime allant de 92€ nets par mois à l’échelon 2 à 14.25€ par mois pour les échelons 8 à 11.
Au total, chaque scénario représente environ 200 millions d’euros seulement. Le ministère envisage d’autres mesures non conditionnelles comme une hausse des taux d’accès à la hors classe et à la classe exceptionnelle (en modifiant les taux d’accès selon les deux voies). Mais il est difficile de chiffrer la portée de ces mesures.
Les contreparties exigées par le ministère
Ce qui est certain c’est que la majorité de la revalorisation promise sera conditionnée à l’acceptation par des enseignants de contreparties. Là-dessus JM Blanquer applique les consignes données par le président de la République et renouvelées par le 1er ministre. Le ministère propose aux enseignants d’augmenter leurs revenus en acceptant deux tâches nouvelles.
D’abord en acceptant une formation sur leur temps de congé. Un décret paru en septembre 2019 en application de la loi Blanquer rend obligatoire la formation durant les congés dans la limite de 5 jours par an. Celle-ci doit être rémunérée 120€ maximum pour les 5 jours. JM Blanquer a déjà prévu au budget 2020 30 millions d’euros pour cette mesure, soit 50 000 professeurs contraints de perdre une semaine de congé. A notre connaissance, les intéressés n’en ont pas déjà été informés. Mais l’annonce a été faite au Sénat en novembre.
En consacrant 200 millions à cette mesure, JM BLanquer pourrait imposer une formation de son choix à 350 000 enseignants, par exemple tous les professeurs des écoles, sur le temps de congé. Cela rentre tout à fait dans la vision ministérielle du « nouveau métier enseignant » et du rôle que se donne le ministre de faire évoluer les pratiques pédagogiques selon ses idées. Position qui a l’avantage de rendre les enseignants responsables des échecs de sa politique.
L’autre idée avancée par le ministère c’est de faire effectuer des remplacements par les enseignants en les rémunérant par des heures supplémentaires. On rejoint là une vieille idée déjà avancée sous Luc Chatel. Le problème c’est que les établissements du second degré (car seuls ces enseignants seraient concernés) disposent déjà de ces enveloppes d’heures qui ne sont pas dépensées, les enseignants refusant les remplacements.
Flou total sur l’avenir
Sur la revalorisation, « on est dans le flou et on prend pas en compte les attentes des enseignants », nous a dit R Metger, co secrétaire général du Snuipp Fsu. « Ils attendent que la loi retraite soit votée pour parler de la loi de programmation », pense F. Rolet, secrétaire générale du Snes Fsu. Elle marque elle aussi sa déception.
Les 10 milliards ne sont donc bien qu’un mirage projeté aux enseignants par un gouvernement qui souhaite qu’ils se tiennent tranquilles. La revalorisation des enseignants n’est vue que comme un levier pour leur imposer de nouvelles tâches. Quant au maintien du niveau des retraites, il sera à arracher chaque année, budget après budget aux gouvernements successifs.
Les syndicats opposés sur ces mesures
Il n’y a pourtant pas unanimité syndicale sur ces points. « Ces mesures ne permettent pas de prendre en compte l’investissement de tous les collègues et ne répondent pas au déclassement salarial. Il est inacceptable que le ministère puisse concevoir la résolution de questions essentielles comme la revalorisation, le déroulement de carrière, le remplacement ou la formation continue à l’aune d’une enveloppe de 500 millions qui serait à « multi usages », estime la FSU dans un communiqué.
Le Sgen Cfdt accueille par contre positivement ces mesures. « Le budget supplémentaire pour 2021 de 500 millions d’euros représente une hausse du budget hors pension du ministère de l’Éducation nationale de + 1%. C’est une première étape importante pour une revalorisation des carrières qui sera amplifiée par le prochain plan pluriannuel à partir de 2022. En 2021, la revalorisation concernera surtout les débuts de carrière et dans une moindre mesure les milieux de carrière. Elle pourra se traduire dès le 1er janvier 2021 – selon les hypothèses retenues – par une amélioration des débuts de carrière de 1100 à 1800 euros nets par an pour un.e professeur.e d’école débutant.e par exemple, les enseignant.e.s du second degré, les CPE et les PsyEN sont aussi concerné.e.s ».
François Jarraud