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Indexation des retraites: les syndicats de l’Insee refusent le bidouillage

Par Laurent Mauduit Médiapart

La polémique autour de l’indexation des retraites s’envenime. L’intersyndicale de l’Insee estime que l’institut « n’a pas à répondre aux “commandes” du gouvernement lorsque celle-ci porte sur un indicateur central dans un projet de loi contesté ».

La nouvelle polémique autour du système d’indexation des retraites, que le gouvernement veut demander à l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) de concevoir, prend de plus en plus d’ampleur. Et elle est ravageuse pour le pouvoir aussi bien à cause des effets qu’elle a sur l’opinion qu’au sein de l’institut qui va bientôt être sollicité. Car l’Insee est statutairement indépendant et, en son sein, des voix nombreuses se font entendre pour s’inquiéter du bricolage auquel le gouvernement voudrait l’associer.

La prise de position de l’intersyndicale de l’Insee (CGT, SUD, FO), que Mediapart révèle, est à ce sujet très éclairante : « L’Insee n’a pas à répondre aux “commandes” du gouvernement en matière statistique, lorsque cette commande porte sur un indicateur central dans un projet de loi contesté, un indicateur dont le champ n’est aujourd’hui pas clair, et que tout laisse présumer moins favorable aux futures pensions : en effet, à l’origine l’indicateur annoncé par le gouvernement était l’évolution des salaires. Il serait désormais plus large. Or, on constate depuis des années que les revenus des fonctionnaires et des non-salariés progressent moins vite que les salaires du privé. En souhaitant intégrer ces revenus supplémentaires, un choix d’apparence technique va donc de pair avec la volonté affichée par le gouvernement de limiter les dépenses en matière de retraite. En imposant aux parlementaires de voter sur un indice non déterminé, le gouvernement met en place une méthode inacceptable, et fait porter à l’Insee une responsabilité qu’il n’a pas à prendre : construire un indicateur dont le seul but est de baisser le niveau des retraites ! »

 

Si les syndicats sont aussi critiques, c’est que le gouvernement veut effectivement les emmener dans une voie qui pourrait menacer l’indépendance de l’Insee. Avec le recul, on comprend d’ailleurs mieux ce qui a amené le gouvernement à déclencher cette nouvelle polémique. Le 11 décembre, quand il avait présenté le détail de la réforme des retraites, Édouard Philippe avait pris un engagement solennel : « La loi prévoira une règle d’or pour que la valeur des points acquis ne puisse pas baisser et avec une indexation non pas sur les prix, mais sur les salaires, qui progressent plus vite que l’inflation en France », avait assuré le premier ministre.

Mais sans doute le gouvernement a-t-il ensuite pensé qu’il pouvait ruser avec cette promesse, en trouvant un indicateur économique qui progresse un peu moins vite que le salaire moyen par tête (SMPT). Vendredi, lors d’une séance de la commission spéciale de l’Assemblée nationale en charge de l’examen du projet de loi, le secrétaire d’État chargé des retraites, Laurent Pietraszewski, a donc indiqué qu’un « nouvel indicateur » de l’Insee sur « l’évolution du revenu moyen par tête » serait nécessaire pour calculer la valeur du point du futur système de retraites.

Sous les critiques de l’opposition et notamment du socialiste Boris Vallaud le taxant d’« amateurisme », il a admis qu’il s’agissait d’un « indicateur » qui « aujourd’hui n’existe pas » et qui reste « à créer ». Et il a essayé de se justifier en avançant cet argument : « Il est intéressant de le créer, parce qu’il n’y a pas que les salariés qui vont être concernés par cette dynamique de revalorisation. Le point ne va pas concerner que les salariés, mais l’ensemble des Français, les revenus des indépendants, des fonctionnaires. Il est donc juste et objectif de constituer un indicateur qui concerne toutes ces populations », a-t-il expliqué.

A priori, l’idée d’indexer le point sur les revenus plutôt que sur les salaires aurait, certes, pu ne pas constituer une mauvaise nouvelle, car les premiers évoluent souvent plus favorablement que les seconds. Seulement, l’annonce d’une nouvelle indexation, non plus sur les salaires, mais sur « l’évolution du revenu moyen par tête » n’est pas seulement un manquement à la parole donnée ; c’est aussi une entourloupe.

Car, le gouvernement a une idée assez biscornue de ce que devrait comprendre ce nouvel indicateur. D’abord, il devrait comprendre tous les revenus… sauf ceux de l’épargne et du capital, qui sont évidemment ceux qui progressent le plus vite. Et par surcroît, ils devraient prendre en compte également les revenus de certaines professions, comme celles des autoentrepreneurs, qui sont souvent… faibles ou même inexistants ! On devine donc que si le gouvernement a manqué à son engagement, c’est pour trouver un indicateur qui progresse moins vite que le salaire moyen par tête.

C’est donc bel et bien un bricolage auquel le gouvernement entend demander à l’Insee de collaborer. C’est implicitement ce qu’ont confirmé ces derniers jours plusieurs parlementaires de la majorité. « Comme on parle de régime universel, il s’agit d’avoir un indice de référence qui prend à la fois en compte l’évolution des salaires, mais aussi les revenus des indépendants et le traitement des fonctionnaires », a par exemple expliqué Nicolas Turquois, l’un des rapporteurs du texte de loi, lors d’une rencontre organisée par l’association des journalistes de l’information sociale (Ajis), ce mardi 11 février.

Explication du magazine Capital : « Cet indice, dont la construction serait donc confiée à l’Insee, serait pondéré. C’est-à-dire qu’il prendrait en compte la part que représentent les salariés, les indépendants et les fonctionnaires dans la population active. Autre subtilité qui vient d’être ajoutée dans un amendement adopté par la commission spéciale chargée d’étudier le texte de loi à l’Assemblée nationale, ce sont les revenus d’activité qui seraient pris en compte, excluant de fait tous les revenus du patrimoine. “Le problème est que pour un indépendant, il est parfois difficile de distinguer ce qui relève de ses revenus d’activité et ce qui relève de ses revenus du patrimoine”, dénonce le comité de mobilisation de la direction générale de l’Insee ».

En lieu et place de l’indexation sur les salaires, c’est donc un bidouillage de la statistique publique que le gouvernement voudrait demander à l’Insee de mettre au point. Mais l’iInsee est un institut dont l’indépendance est garantie par la loi, comme c’est le cas dans tous les pays démocratiques.

Sur une page de son site internet, l’Insee détaille lui-même les deux textes principaux, français et européen, qui garantissent cette indépendance. Il y a d’abord l’article 1 de la loi du 7 juin 1951, qui régit le fonctionnement de l’Insee : « La conception, la production et la diffusion des statistiques publiques sont effectuées en toute indépendance professionnelle. » On comprend bien les raisons de ces principes : l’indépendance des statisticiens est le gage de l’honnêteté des chiffres qu’ils produisent, sur lesquels sont souvent adossées d’innombrables règles d’indexation qui rythment la vie économique (salaire, Smic, loyers, épargne réglementée, etc.).

 

L’honnêteté et l’impartialité des chiffres sont aussi la garantie d’un débat démocratique sérieux : dans les controverses sur le chômage, le pouvoir d’achat ou la pauvreté, l’Insee sert de garde champêtre indispensable, permettant un échange de bonne foi. En bref, un pays qui ne garantit pas l’indépendance de sa statistique publique ne peut pas prétendre être une véritable démocratie.

Le deuxième texte, est le règlement de l’Union européenne n° 223/2009 révisé du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2009 relatif à la statistique européenne.

Il faut par ailleurs noter que la « loi sur la modernisation de l’économie » du 4 août 2008 a encore amélioré les garanties d’indépendance de l’appareil statistique nécessaire pour son impartialité et a notamment décidé la création d’une Autorité de la statistique publique, dont la mission est de veiller à « à l’indépendance professionnelle dans la conception, la production et la diffusion de statistiques publiques ».

Le gouvernement s’aventure donc là en terrain miné. Dans Le Monde, le directeur général de l’Insee, Jean-Luc Tavernier, dit certes les choses avec urbanité : même si « le gouvernement et le Parlement sont autorisés à demander des productions statistiques, comme l’est la société civile, cela est de toute façon réalisé de façon indépendante ». Mais il y a beaucoup de statisticiens ou d’administrateurs qui parlent plus nettement : l’Insee ne participera pas à un bidouillage de la statistique publique.

Concrètement, le gouvernement a la possibilité d’adresser des demandes à l’Insee. Voici de longues années, quand pour des raisons de santé publique, les gouvernements successifs ont choisi d’augmenter chaque année les prix du tabac, il a été demandé à l’Insee de calculer un indice des prix hors tabac, de sorte qu’il devienne la référence pour de nombreuses indexations. Plus récemment, sous le quinquennat de François Hollande, il a été demandé à l’Insee de calculer un indice des prix portant sur la consommation des foyers à bas revenus, de sorte qu’il soit pris en compte pour les revalorisations du Smic.

Mais à chaque fois, c’est à l’Insee qu’il revient de choisir la méthodologie de ses mesures et leur pertinence. C’est donc cela que tous les statisticiens – et les syndicats – surveillent d’ordinaire de très près. Mais cette fois, comme le disent les trois syndicats, le gouvernement veut de facto enrôler l’Insee dans son projet douteux, non pas sur le toilettage d’un indice, mais dans un indice nouveau au cœur du projet de loi. Quant aux futurs retraités, eux, ils peuvent deviner dès à présent, l’objectif de l’embrouille : élaborer un indicateur qui évolue moins vite que les salaires.

Insee

 

 

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Cette entrée a été publiée le 19 février 2020 par dans Actualités des luttes, anticapitalisme, FRANCE, retraites.
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