Par Mustapha Benfodil
Alger, 28 février 2020. 54e vendredi du hirak populaire. 12h15. Alger s’anime peu à peu. Devant l’antenne du Croissant-Rouge, à proximité de la rue Mulhouse, des secouristes se préparent en prévision de la manif’ hebdomadaire.
En haut de la rue Victor Hugo, la présence policière est plus dense, de même que dans le périmètre du bureau régional du RCD (Rassemblement pour la culture et la démocratie). Plus tôt, dans la matinée, un groupe de hirakistes a tenté une première démonstration avant d’être dispersé par les forces de l’ordre. «On a démarré vers 10h30 près de l’agence Ooredoo (rue Didouche). On était environ une centaine. Vers 11h15, la police est intervenue et a interpellé 5 d’entre nous. Ils n’ont toujours pas été relâchés», témoigne un activiste.
Sur d’autres écriteaux brandis par un groupe de jeunes, on peut lire: «L’Algérie nouvelle jette ses jeunes à la mer et ses sages en prison. Qu’Allah ait pitié des enfants de Guelma»; «La révolution continue et rien ne nous fera peur»; «La légitimité du peuple affronte la légitimité de la force».
«Le Corona plutôt que vous!»
Un cortège réussit à occuper la rue Didouche avant de se lancer en direction de la place Audin et poursuivre jusqu’à la rue Abdelkrim Khettabi. Dans le cortège, nous croisons Farid Boughida, qui a été arrêté samedi dernier, lors des manifs célébrant le 1er anniversaire du hirak. «Je n’ai été relâché que mercredi après cinq jours d’incarcération. Je leur ai dit: “N’insistez pas avec moi, je n’arrêterai pas. On ne s’arrêtera que le jour où une autre génération prendra les rênes de ce pays”», martèle Farid avec toujours la même détermination. Nous abandonnons ce carré à hauteur de la Fac centrale et remontons vers la rue Victor Hugo, désormais point de ralliement des hirakistes avant le grand début de la marche hebdomadaire.
La procession scande: «Tebboune m’zawar, djabouh el askar makache echarîya!» (Tebboune est un président fantoche ramené par les militaires, il n’a pas de légitimité), «Qolna el îssaba t’roh, ya hnaya ya entouma!» (On a dit la bande doit partir. C’est nous ou bien vous)…
Un manifestant écrit avec humour: «Bonjour, je m’appelle Coronavirus. On m’a invité en Algérie en ma qualité d’assesseur de magistrat et non comme agent infectieux. Pas de panique!»
Un autre interroge: «Nous sommes la patrie, qui êtes-vous? Notre pacifisme est plus fort que votre répression. Corona plutôt que vous!» Retenons aussi ce geste d’un manifestant qui défile avec un masque de protection sur le visage, sur lequel il a inscrit les chiffres «7 et 8», synonyme de «souveraineté au peuple».
Une forte pensée pour Hassan Benkhedda
Ce qu’on pouvait remarquer hier, également, c’est le grand nombre d’affiches à l’effigie de Hassan Benkhedda brandies par de nombreux manifestants avec cette mention: «Premier chahid du hirak» (chadid: combattant durant la guerre de libération). Le fils de l’ancien président du GPRA, Benyoucef Benkhedda, est décédé, rappelle-t-on, il y a quasiment une année, exactement le 1er mars 2019, au 2e vendredi du mouvement de contestation populaire. Un manifestant hissait une plaque de rue symbolique assortie de cette indication : «Place Hassan Ben Khedda.
Premier martyr du hirak. 1963-2019.» On pouvait distinguer, en outre, le portrait de Nabil Asfirane, un autre hirakiste terrassé par une crise cardiaque en pleine manif, le 24 mai 2019, au 14e vendredi du mouvement populaire.
Nesrine, une jeune manifestante pleine d’entrain, a tenu pour sa part à exprimer une pensée pour l’icône Katia Bengana, assassinée le 28 février 1994 à Meftah. «Devoir de mémoire : Katia Bengana, lâchement assassinée par les terroristes car elle a refusé de porter le voile. Notre brave Katia, sache de là où tu es que nous ne t’oublierons jamais et ton sacrifice ne sera pas vain. Le combat continue», écrit Nesrine. Dans les processions et les cortèges, les portraits des détenus étaient, comme toujours, brandis ostensiblement: Karim Tabbou, Abdelwahab Fersaoui, Fodil Boumala, Brahim Laâlami… Un carré hissait les portraits de Ali Ghediri et déployait une banderole exigeant sa libération. Un manifestant proclame: «Liberté pour Abdellah Benaoum et Yacine Khaldi», deux activistes de Relizane en détention depuis le 2 décembre 2019.
«L’union fait le hirak»
Sur les autres pancartes, ce flot de messages: «L’An II: de la Silmiya à la liberté»; «Turbo: le 2e souffle du hirak» ; «L’important dans la vie n’est pas le triomphe mais le combat». Un citoyen clame à travers son bout de carton: «Ce peuple a assez souffert, respectez-le!» Sur une autre feuille de papier, il résume en quatre mots les revendications du hirak: «Liberté, justice, égalité, démocratie». Un jeune citoyen en colère écrira de son côté: «Le hirak ne sera pas célébré alors que les détenus sont toujours en prison. Le hirak ne sera pas fêté alors que ses revendications ne sont pas satisfaites, que l’Etat policier poursuit la répression et que la justice n’est pas libre». Un autre part de cette requête pleine d’ironie: «Hé Kamel El Bouchi, où est mon flacon de parfum?»
Une autre accuse: «Le système, c’est lui corona». Une hirakiste pleine d’énergie prévient: «Ya issaba, la peur a changé de camp. Le peuple ira jusqu’au bout pour libérer notre Algérie». «Le hirak a-t-il atteint ses objectifs? La justice sociale est le miroir du hirak pacifique», lit-on sur un grand panneau. Un protestataire assène pour sa part: «Monsieur Façade : l’injustice n’a jamais duré ni triomphé. Vous partiez un jour ou l’autre. Vous n’aurez jamais la légitimité!»
Un autre exulte: «L’union fait le hirak!» Enfin, retenons ce serment formulé par une citoyenne: «On ne se fera pas voler notre hirak, parce qu’il est le poumon avec lequel on respire et l’arche qui va nous emmener vers la rive de l’Etat auquel nous aspirons!» (Article publié dans El Watan en date du 29 février 2020)