21 JUIN 2020 PAR HÉLÉNA BERKAOUI
Sous pression, les citoyens tirés au sort se sont réunis une dernière fois pour voter les propositions issues de huit mois de travaux. Des mesures ambitieuses dont l’application va désormais dépendre de l’exécutif.
«La pression est forte », souligne Guy, un des citoyens tirés au sort, alors qu’ils empruntent le dernier virage de la Convention citoyenne pour le climat débutée il y a huit mois. Cet entre-deux démocratique – repoussant les demandes d’instauration du RIC (référendum d’initiative citoyenne) – a été concédé par l’exécutif en réaction au mouvement des « gilets jaunes », mouvement social qui a précisément été déclenché par une mesure de fiscalité écologique : l’augmentation de la taxe carbone.
Parmi les mesures fortes portées par la Convention figurent l’obligation de la rénovation énergétique globale des bâtiments d’ici à 2040, la réduction de la vitesse à 110 km/h sur l’autoroute, l’interdiction des terrasses chauffées ou de l’éclairage des magasins la nuit ou encore l’interdiction des écrans publicitaires dans l’espace et les transports publics. Les citoyens ont aussi voté pour l’introduction d’une loi pénalisant le crime d’écocide. Une proposition de loi en ce sens avait été rejetée à l’Assemblée en décembre 2019. Pour autant, la proposition de la Convention a été longuement applaudie par les participants.
Certaines propositions ont en revanche crispé, presque toujours avec la crainte de pénaliser les plus modestes et de s’éloigner de l’impératif de justice sociale. Sur la réforme du système d’indemnité kilométrique de l’impôt sur le revenu, Amel, infirmière en Île-de-France, défend : « On est n’est pas des barbares, on a pensé à la justice sociale. On a conscience des problèmes et on a aussi pensé aux aides, comme le prêt à taux zéro (pour l’achat d’un véhicule peu émetteur). Notre travail est vraiment holistique, il faut regarder les propositions dans leur ensemble. »
Dans la lettre mission adressée par le premier ministre, le mandat confié aux citoyens consistait à « définir une série de mesures permettant d’atteindre une baisse d’au moins 40 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 (par rapport à 1990), dans un esprit de justice sociale ». Une mission à laquelle les 150 se sont tenus au mot près. Tout au long des débats, ce week-end, l’importance de mesures socialement justes a constamment été rappelée par les uns et les autres.
Si la Convention avait d’abord été accueillie fraîchement par les ONG, elles demandent aujourd’hui que ces propositions soient correctement retranscrites sur le plan législatif. « Ce processus éminemment démocratique ne doit pas rester lettre morte », écrit Youth for Climate, quand Réseau action climat craint qu’Emmanuel Macron ne considère ces propositions comme « un menu à la carte » et ne revienne sur son engagement de les appliquer sans filtre. Le président de la République avait effectivement pris un engagement fort : « Ce qui sortira de cette convention sera soumis sans filtre, soit au vote parlementaire, soit à référendum, soit à application réglementaire directe. »
Les 150 devaient se prononcer, ce week-end, sur les propositions qu’ils ont dégagées au sein de groupes thématiques, mais aussi sur la transcription législative qu’ils souhaitent leur donner. C’est notamment eux qui diront quelles mesures ils souhaitent voir porter par référendum (lire notre article). Emmanuel Macron s’est engagé à répondre le 29 juin prochain à leur contribution aux politiques environnementales.
Au cours des huit mois, les tirés au sort ont travaillé à l’élaboration de propositions, se répartissant entre différents groupes : « se déplacer », « consommer », « se loger », « produire et travailler » et « se nourrir ». Un éventail de 150 propositions est sorti de ces mois de travaux. Certaines des mesures ont été immédiatement brocardées par des politiques, comme la réduction du temps de travail supposant le passage de 35 heures à 28 heures, avec un taux horaire du Smic horaire augmenté de 20 % pour maintenir un salaire équivalent.
Un sujet qui a aussi suscité de vifs débats au sein de l’Assemblée citoyenne. « On va passer pour des guignols », réagit une jeune femme, reprise par une autre : « C’est totalement déconnecté de la réalité dans le contexte actuel. Notre réalité, aujourd’hui, c’est de savoir si on va garder notre emploi ! » Incapable de comprendre la nécéssité de répartir le temps de travail pour préserver TOUS les emploi ! MAIS CA FAISAIT MAL AUX PATRONS ET AUX ACTIONNAIRES ! (note de l’editeur)
Cette proposition est l’une des seules rejetées par l’Assemblée citoyenne. Des membres du groupe « produire et travailler » ont cependant défendu bec et ongles la réduction du temps de travail. « Vous faites une erreur monumentale. La réduction du temps de travail est un thème central […]. Justement, avec la crise, il va falloir partager le temps de travail. On ne peut pas avoir des gens qui vont travailler plus et gagner plus, et avoir autant de chômeurs dans notre pays qui, eux, ne vont rien gagner », fait valoir une citoyenne.
Le débat passionné laisse percevoir le souci que ces propositions soient comprises et acceptées par l’opinion publique. En parallèle, des frustrations sont exprimées. Dans les groupes ayant travaillé sur différentes thématiques, beaucoup ont l’impression de ne pas avoir eu suffisamment le temps de convaincre et d’expliquer le bien-fondé de leur position aux autres citoyens.
À plusieurs reprises, des membres de l’Assemblée citoyenne se sont émus des vives réactions qui ont émergé dans les médias avant même que les propositions ne soient votées. « Quand je vois comment une certaine presse rend compte de nos travaux, je suis en colère. On se fait démonter et j’espère qu’on aura aussi un droit de réponse », réagit Brigitte. Amel est, quant à elle, déçue : « Certains médias ne prennent que des bribes d’information, l’intégralité des choses n’est pas retranscrite et parfois ça nous discrédite ; alors qu’on a besoin des médias pour véhiculer tout ce qu’on a appris ici et pour faire comprendre pourquoi on a pris ces décisions. »
Sitôt les propositions dévoilées, les critiques ont fusé. Le président de la commission des lois du Sénat, Philippe Bas (LR), s’est par exemple offusqué de ce qu’il voit comme la « reprise de la vulgate du lobby écologiste » en remettant en cause l’essence même de la Convention, qu’il qualifie « d’imposture démocratique ».
L’ancienne ministre de l’environnement Ségolène Royal a, elle, critiqué le recours au référendum, notamment pour l’inscription de la lutte contre le réchauffement climatique dans la Constitution. « Tout le monde voit que ce n’est pas adapté […]. Toute procédure qui fera perdre du temps ou qui sera une manœuvre politicienne visant à redonner le blason du gouvernement sera une mauvaise action », a-t-elle déclaré, samedi, sur Europe 1.
Malgré la pression médiatique, les citoyens ne se sont pas démontés. L’écrasante majorité des propositions présentées par les différents groupes ont fait l’unanimité, avec un souci permanent de comprendre et de voter en conscience.
Signe de cette préoccupation, un débat a parcouru l’ensemble des discussions, celui des modalités de vote. Les citoyens ont découvert tardivement qu’ils seraient amenés à voter par famille d’objectifs et non proposition par proposition. « Le mode de vote est tronqué, s’est emporté Pascal. S’il y a une proposition qui ne me va pas, je vais devoir voter contre l’objectif ou tout rejeter. »
Une réaction largement partagée. Amel, qui défendait les propositions du groupe « Se déplacer » face à ceux et celles qui craignent des mesures pénalisant les plus précaires, insiste : « Si on se filtre sans comprendre, il faut avoir en tête qu’on va encore être filtrés par les autres, par l’Assemblée nationale. »
Laurence Tubiana, coprésidente du comité de gouvernance de cette Convention, y voit la preuve de l’implication des 150 : « Les citoyens ont extrêmement peur d’être manipulés. Ils ont peur de perdre leur liberté et qu’on leur vole le résultat de leur travail, c’est normal. Ce n’est pas facile de voter sur autant de propositions. Ils n’ont voulu en lâcher aucune, et ça fait sens. »
Pour faire baisser la pression, les garants de la Convention ont indiqué aux citoyens qu’ils pouvaient recourir au dépôt d’une opinion minoritaire, afin d’inscrire leur désaccord dans le rapport final. « Sur le dépôt d’une opinion minoritaire, on doit être au moins trois. On va devoir courir pour trouver des gens qui sont d’accord avec nous […]. Si on a des réserves, il faut qu’on puisse le dire, sinon on va passer pour des gogos », s’est inquiétée Yolande, de Douarnenez (Finistère), qui a obtenu avec d’autres que la formule opinion minoritaire soit remplacée par opinion alternative.
Pour la Bretonne, engagée politiquement à gauche, le temps a manqué, malgré les huit mois de concertation. Et si elle a participé avec enthousiasme à cette Convention, certains points l’ont dérangée, comme le sentiment d’avoir dû batailler pour que la renégociation du Ceta figure parmi les propositions du groupe « Se nourrir » (lire notre article).
« J’estime qu’on n’a jamais eu de débats contradictoires, il y avait des conférenciers sans contradicteurs. On est arrivés, nous les bleus, face à des sachants avec le comité de gouvernance qui choisissait les intervenants, donc il y a des choses à rectifier », estime-t-elle. Néanmoins, Yolande remarque, un brin amusée, que les positions de nombreux membres de l’Assemblée ont beaucoup évolué au cours de la Convention.
Au moment de la présentation d’une mesure visant à rendre obligatoire l’affichage de l’impact carbone des produits et services, Amandine développe : « On est en train de prouver que la clé du changement, c’est l’information. On en est la preuve, cette clé fait partie intégrante de la justice sociale. »
La prise de conscience des citoyens est perceptible et les propositions issues de leurs travaux apparaissent plus ambitieuses qu’attendu. « Ils veulent l’interdiction de la voiture individuelle, de la construction de nouveaux centres commerciaux en sortie de ville, ils veulent taxer l’aérien, souligne Laurence Tubiana. Ça montre une autre image de la société française. Il faut arrêter de dire que la société française est la société de la voiture individuelle. La Convention en est la démonstration. »
Ce dimanche, les 150 votaient sur le choix des propositions qu’ils souhaitent voir soumises à référendum. Un débat toujours inquiet de l’acceptation de leurs contributions par l’opinion publique.