La société des paiements électroniques a reconnu des fraudes massives qui pourraient avoir des conséquences sur la crédibilité du DAX, l’indice boursier de référence.
Par Cécile Boutelet Publié aujourd’hui à 10h54, mis à jour à 11h53
La justice allemande a annoncé, mardi 23 juin, avoir arrêté l’ancien président de la société financière Wirecard, impliquée dans un vaste scandale de possibles comptes fictifs aux Philippines. Markus Braun, qui avait récemment été démis de ses fonctions, s’est livré de lui-même aux autorités après le lancement d’un mandat d’arrêt à son encontre pour avoir « gonflé » artificiellement le bilan de l’entreprise de services de paiement en ligne, en vue de le rendre « plus attractif pour les investisseurs et les clients », a indiqué le parquet de Munich dans un communiqué.
Maisoù s’arrêtera la chute de la « fintech » allemande ? Jusqu’à quel point la crédibilité du DAX, l’indice boursier de référence du capitalisme allemand, où elle est cotée, sera-t-elle ébranlée par cette affaire ? En trois jours, le scandale Wirecard a pris une ampleur inouïe.
Après la démission du PDG du groupe, Markus Braun, vendredi 19 juin, Wirecard a annoncé, dans la nuit du 21 au 22 juin, ne pas être en mesure de justifier le trou de 1,9 milliard d’euros identifié dans ses comptes, provoquant une nouvelle chute de son cours. Depuis jeudi, le titre de l’entreprise, naguère considéré comme une étoile montante de l’économie outre-Rhin, a perdu 85 % de sa valeur. Le groupe compte notamment comme clients les français Orange et Crédit agricole. Dans un communiqué de presse publié à 2 h 34 du matin, le groupe d’Aschheim, près de Munich, reconnaît qu’après examen approfondi « les dépôts bancaires comptabilisés sur des comptes en fiducie à hauteur de 1,9 milliard d’euros n’existent vraisemblablement pas ». Conclusion inouïe, la direction a retiré le bilan provisoire de son activité 2019 publié en début d’année, ses résultats du premier trimestre 2020, ainsi que ses prévisions de bénéfices. Elle estime que « des conséquences sur les bilans annuels des exercices précédents ne sont pas à exclure ».
Le groupe, qui reconnaît une fraude massive sur ses comptes, à hauteur de 25 % de son bilan, lutte désormais pour sa survie. L’affaire trouve sa source aux Philippines, où deux banques étaient censées exécuter pour Wirecard une mission d’intermédiaire de paiement dans la région. Le principe est le suivant : lorsqu’une cliente achète par exemple une robe en ligne ou par carte chez un marchand, elle quitte le magasin le vêtement en main, mais le vendeur n’a pas encore l’argent sur son compte.
Le système de Wirecard prend en charge la sécurité du paiement : il verse l’argent au marchand et s’occupe du crédit, qu’il va recouvrer auprès de la cliente. Pour cela, il a besoin de liquidités. Pour ses activités en Asie, Wirecard entretient des réserves de cash sur des « comptes en fiducie ». N’ayant pas de licence bancaire dans la région, il fait appel à des établissements partenaires pour assurer ce service à sa place (en « fiducie »).
C’est là que le thriller financier prend corps. Wirecard a expliqué, la semaine dernière, que deux banques asiatiques opéraient depuis fin 2019 la gestion de ces fameux comptes en fiducie. L’identité de ces établissements n’avait pas été précisée. Mais vendredi, deux banques philippines, BPI et BDO, ont vendu la mèche : dans un communiqué commun, elles ont déclaré que, contrairement à ce que prétendent des documents les incriminant dans cette affaire, elles n’avaient jamais été en contact avec Wirecard.
BPI a cependant précisé à l’agence Reuters avoir suspendu un responsable dont la signature figurait sur l’un des documents frauduleux. Quant à BDO, un de ses responsables aurait fabriqué un faux certificat bancaire. La banque centrale philippine a déclaré dimanche que le système financier national ne comportait aucune trace des soldes de trésorerie manquante de Wirecard.
L’affaire écorne l’image du DAX, l’indice boursier censé incarner la puissance et le sérieux du capitalisme allemand pour les grands investisseurs
Les noms des deux banques auraient été utilisés « pour effacer la trace des malfaiteurs ». Selon le Spiegel, l’administrateur philippin des comptes de Wirecard, Mark Tolentino, qui se présentait jusqu’à il y a peu comme un proche du président Rodrigo Duterte, pourrait être au cœur du scandale.
L’affaire écorne l’image du DAX, l’indice boursier censé incarner la puissance et le sérieux du capitalisme allemand pour les grands investisseurs. « C’est un désastre complet et une honte que cela ait pu se passer, a déclaré Felix Hufeld, président de la Bafin, le gendarme des marchés financiers allemand, lors d’une conférence de presse, lundi. Nous nous trouvons au milieu de la situation la plus épouvantable que nous ayons jamais vue au sein d’une société du DAX. »
Le parquet de Munich a annoncé l’ouverture d’une enquête contre Markus Braun et deux manageurs du groupe. Lundi, Moody’s a déclaré retirer toute note à Wirecard, s’estimant incapable d’évaluer la crédibilité de la société. Celle-ci, à présent gérée par l’Américain James Freis, tente de négocier in extremis le maintien d’une ligne de crédit de 2 milliards d’euros qui va déterminer la pérennité ou non de l’ancienne start-up devenue le symbole d’un des plus grands scandales financiers de l’histoire allemande.Cécile Boutelet(Berlin, correspondance)