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Ces 25 milliards, c’est ce que la recherche attend depuis vingt ans !

Par Olivier Monod Libé

Investissements, statuts, autonomie… La ministre de l’Enseignement supérieur tente de répondre à l’inquiétude de la communauté scientifique, remontée contre le projet de loi de budget pluriannuel du secteur pour la prochaine décennie.

Ce devait être la loi qui redonne du souffle et une vision à la recherche française, or elle déclenche plus d’opposition et de déception que d’adhésion. Le projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) dessine la trajectoire budgétaire de la recherche jusqu’en 2030. Elle prévoit, en moyenne, d’augmenter chaque année de 500 millions d’euros son budget annuel. Le milieu attendait le double. Surtout, l’essentiel de l’effort budgétaire est laissé… aux gouvernements suivants.

Cette loi fait l’objet d’un vif débat depuis l’automne dernier. Un nombre impressionnant de tribunes et autres lettres ouvertes défendent l’idée d’une recherche inscrite dans le temps long et le travail collectif. Des témoignages racontent les sacrifices des jeunes chercheurs baladés de contrats courts en contrats courts, finissant leur doctorat sur leur chômage ou encore vivant de vacations payées très en retard par les universités. Ces précaires de la recherche sont descendus crier leur colère dans la rue en mars. Pour faire évoluer la situation, ils réclament des postes de titulaires et des financements pérennes pour les laboratoires.

Le texte du projet de loi est connu depuis le 7 juin. Il était examiné jeudi par le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche et doit être présenté en Conseil des ministres le 8 juillet, avant un débat parlementaire à l’automne. Les syndicats constatent que leurs revendications n’ont pas été entendues. Sur presque tous les sujets, un décalage existe. La LPPR porte une revalorisation des carrières, mais par des primes. Elle apporte des moyens nouveaux, mais distribués par des appels à projets. Enfin, elle met en place des nouveaux modes de recrutement accusés de casser le statut de fonctionnaire. Jeudi, plusieurs organisations appelaient à un rassemblement contre la LPPR à Paris. La ministre de la Recherche, Frédérique Vidal, répond aux polémiques.

Il existe un climat de défiance entre la communauté scientifique et le pouvoir politique, or le fait de proposer une loi de programmation sur dix ans à deux ans de la fin du quinquennat demande une grande confiance en l’avenir. Que répondez-vous à cette défiance ?

Oui, il y a de la défiance. Et je la comprends. Cela fait vingt ans qu’on a dit qu’on arriverait à 3 % du PIB consacré à la recherche. Depuis dix ans, j’ai moi-même participé aux assises, aux stratégies nationales, on a aussi fait des livres blancs et, au final, il ne s’est rien passé. Je sais aussi que ce qui est essentiel, c’est de réinvestir massivement dans la recherche. Ces 25 milliards d’euros réinvestis sur dix ans, c’est ce que le monde de la recherche attend depuis vingt ans. Il est très important que ce soit programmé maintenant. Mais il faut être clair sur un point : cette loi de programmation budgétaire ne dit pas tout du budget du ministère.

Les personnels précaires des universités se mobilisent contre la LPPR. Ces doctorants et post-doctorants voient dans ce projet la fin de leur espoir d’obtenir un poste pérenne et la hausse de la précarité. Leur crainte est-elle justifiée ?

Je ne vois pas en quoi on augmente la précarité. Au contraire, tout est fait pour qu’il n’y ait plus de doctorants sans rémunération. Nous avons pour objectif d’augmenter de 20 % le nombre de doctorats rémunérés et d’augmenter cette rémunération de 30 %. Je ne veux plus voir de doctorants sans rémunération.

Maintenant, il y a une chose très claire et qui a toujours été la règle : le fait d’avoir un doctorat n’a jamais dispensé personne de passer un concours. Et un concours est par nature sélectif. Le problème, c’est qu’on a vu le nombre de postes mis au concours diminuer parce que l’augmentation mécanique du coût de la masse salariale absorbait une partie des moyens disponibles. Le réinvestissement prévu a vocation à inverser la tendance. On aura une augmentation du nombre de postes mis au concours.

Vous allez augmenter la rémunération en augmentant les primes, c’est bien ça ?

640 millions d’euros sur les sept prochaines années, par marches supplémentaires d’environ 90 millions par an, seront consacrés à la revalorisation des carrières. L’objectif est d’augmenter les rémunérations. Cela équivaudra à un treizième, voire un quatorzième mois pour les maîtres de conférences. Il y a aussi ce «repyramidage» des carrières, qui démarre par un recrutement des jeunes entrants dès l’année prochaine à 2 smic minimum, soit bien au-delà du minimum actuel. Cette hausse entraîne un repyramidage des carrières, pour éviter que les nouveaux entrants soient mieux payés que leurs prédécesseurs. Je suis par ailleurs très attachée à ce que l’ensemble des missions assurées par l’ensemble des personnels soient reconnues et valorisées.

C’est toute l’évaluation des carrières qu’il faut repenser. Il faut sortir du système actuel fondé uniquement sur l’analyse de l’activité de recherche et se poser la question de comment on valorise le collectif et l’ensemble des missions comme l’enseignement, l’implication dans la vie de l’université, etc. C’est un point essentiel. Je ne fixe pas les grilles indiciaires de la fonction publique. Par contre, je peux agir rapidement sur l’indemnitaire et sur l’évolution des carrières. C’est le travail que l’on a devant nous.

Vous parlez là des statutaires, mais le projet de loi prévoit le recrutement de 15 000 contractuels. Pour ces personnes, un CDI de mission scientifique est créé et il est très critiqué…

Alors ça, c’est un vrai malentendu. Ce qui existe actuellement, ce sont des CDD très courts. Les personnes alternent CDD et période de chômage et on perd leurs compétences quand elles s’en vont. Les établissements ne peuvent pas les titulariser parce qu’elles ne sont pas payées par leur dotation de fonctionnement et ils n’osent pas leur octroyer un CDI de peur qu’elles ne prennent la place d’un statutaire si le financement venait à se tarir.

Ce que nous proposons donc, c’est un contrat qui correspond à la durée du financement. Mais vous n’êtes pas obligés d’y mettre fin à l’issue du projet. En effet, vous pouvez garder le salarié et sa compétence en identifiant un autre budget pour couvrir son salaire. Dans l’état actuel des choses, vous ne pouvez pas garder la personne avec qui vous avez travaillé pendant plusieurs années.

Votre projet privilégie le financement par appels à projets. Pourtant, 36 sociétés savantes vous ont écrit une lettre demandant d’augmenter aussi la dotation de base des laboratoires.

Notre projet est de faire en sorte que l’ANR [l’Agence nationale de la recherche, qui gère les appels à projets, ndlr] atteigne des standards internationaux en termes de taux de succès. C’est-à-dire que 30 % des projets présentés soient financés, contre 16 % aujourd’hui et 11 % en début de mandat. L’augmentation du budget de l’ANR répond en partie à la capacité de réinjecter du financement de base au plus près des laboratoires. Pour 100 euros remportés par une équipe auprès de l’ANR, les établissements de tutelle et le laboratoire recevront 40 euros en plus pour leurs frais de fonctionnement. Ceci afin que le fait de gagner une ANR ait un rejaillissement collectif. Cela permet d’arrêter cette opposition factice entre financement sur projet et financement de base.

Vous parlez d’opposition factice entre financement de base et financement récurrent, mais on sait que les universités ne sont pas égales entre elles : les plus grandes ont des équipes dédiées pour aider les chercheurs à monter des dossiers. Finalement, le système que vous présentez ne risque-t-il pas de donner plus à celles qui ont déjà beaucoup ?

C’est une vision un peu tronquée de ce que sont les universités en France. Les universités de taille plus modeste en nombre d’étudiants ont aussi des équipes extrêmement compétitives sur le plan des appels à projets. Et je n’aurais pas proposé cela si j’avais observé qu’il y avait des universités dépourvues totalement de succès sur des appels à projets. Cela n’aurait pas eu de sens. Par ailleurs, dans le cadre des dialogues stratégiques que l’on commence à mettre en place avec les universités, je les encourage à présenter des projets importants pour celles que nous pourrons accompagner financièrement. Mais cela ne s’écrit pas dans une loi. La loi permet de se projeter en connaissant les moyens à disposition.

Vous n’allez donc pas augmenter la dotation de fonctionnement des établissements ?

La subvention pour charge de service public a été définie il y a plus de dix ans en fonction de comment les universités se présentaient elles-mêmes. Certaines ont mal estimé leur masse salariale à l’époque et se trouvent aujourd’hui en difficulté. Si je continuais dans ce système, alors je donnerais en effet plus à celles qui sont déjà mieux dotées. Par le dialogue stratégique, on pourra rééquilibrer les financements alloués et accompagner la dynamique des établissements pendant une période donnée.

La mise en compétition permanente est-elle utile à la recherche ? En décembre, Antoine Petit, patron du CNRS, avait parlé d’une loi inégalitaire…

Il s’agit d’un débat éternel dans le milieu. On a même inventé un mot, la «coopétition», pour illustrer le mélange de collaboration et de compétition qui caractérise la recherche scientifique. Nous sommes dans un système où les chercheurs les plus brillants sont courtisés par les autres pays. Il faut donc penser à des mécanismes pour les garder.

C’est pour cela que vous avez mis en place un système de chaire de professeur junior qui permet de recruter plus vite au poste de professeur ou directeur de recherche ?

Non, pas seulement. Cet outil, nous le proposons aux établissements pour deux cas de figure. Pour faire revenir des gens formés en France mais ayant démarré leur carrière à l’étranger et qui se retrouvent trop jeunes pour postuler aux postes de professeur des universités et trop vieux pour postuler aux postes de maître de conférences. Deuxième cas de figure, dans certaines disciplines (informatique, mathématiques, économie, sciences de l’ingénieur), les jeunes sont recrutés dans le privé avant même la fin de leur doctorat. Il faut pouvoir leur proposer quelque chose d’attractif avec une carrière accélérée. Ce concept de carrière accélérée existe d’ailleurs déjà en droit avec l’agrégation.

Dans la compétition internationale, l’avantage concurrentiel de la France n’est-il pas avant tout le statut des chercheurs ? A-t-on vraiment les moyens d’aller concurrencer les salaires anglo-saxons ?

C’est un ensemble. Nous avons fait en sorte que les chaires de professeur junior aboutissent au statut de professeur des universités ou de directeur de recherche, car on a bien conscience que cela fait partie des raisons qui ont rendu notre pays attractif. Mais il était aussi primordial de revaloriser les carrières face à la paupérisation des métiers scientifiques. On ne devient pas chercheur pour devenir riche, mais là, la question des rémunérations est devenue prégnante.

Pourquoi ressortir cette loi aussi vite, alors que l’état d’urgence sanitaire n’est pas levé ? N’aurait-il pas fallu tirer les conséquences de la crise de Covid-19 ?

La conviction de redonner du poids à la parole scientifique, de retisser du lien entre la science et la société, était déjà la base de ce projet quand le Président et le Premier ministre l’ont lancé il y a plus d’un an. La loi était dans sa phase d’arbitrage financier pendant le Covid et le Président a rappelé en pleine crise l’importance de la programmation budgétaire pour la recherche. Présenter la loi en Conseil des ministres maintenant, c’est s’assurer que les financements seront disponibles dès 2021. Cela explique le calendrier.

Ce projet permettra-t-il vraiment d’atteindre un effort représentant 3 % du PIB en 2030 ?

Aujourd’hui, l’effort de recherche total en France est d’environ 2,2 % du PIB. Il se décompose en 1,4 % de R & D [recherche et développement] en entreprise et de 0,7 % de recherche publique. Notre projet est de passer le budget de la recherche publique dépendant de mon ministère de 15 à 20 milliards d’euros par an, soit une augmentation d’un tiers qui devrait nous amener près de 1 % du PIB en recherche publique. Après, il faut aussi travailler sur la recherche privée, ce que nous faisons avec le ministre de l’Economie et des Finances. Je ne sais pas si nous atteindrons les 3 % du PIB, parce que je ne sais pas comment va évoluer le PIB après la crise que nous avons vécue.

Tous les moyens nouveaux de la loi sont-ils d’ores et déjà fléchés ?

Non, bien sûr. L’objectif est de redonner des moyens, du temps et de la visibilité à la recherche. Ce sera du soutien à la recherche, aux grandes infrastructures de recherche, de l’achat de matériel, de l’investissement. Le but est de redonner du souffle à la recherche, mais tout ne s’inscrit pas dans le projet de loi. Cela se construira année après année avec les universités, les organismes et les personnels. Ce que fixe cette loi, c’est une trajectoire budgétaire consacrée à la recherche.

Les chercheurs s’inquiètent de l’absence d’enveloppe dédiée au prolongement des contrats mis en pause pendant le Covid. Qu’en est-il ?

Pour les contrats doctoraux, il fallait d’abord changer la loi pour qu’ils puissent être prolongés au-delà de trois ans, ce que nous avons fait la semaine dernière. Cela représente quelques dizaines de millions d’euros. La loi de finances rectificative prévoit 2,5 milliards d’euros de fin de gestion. L’argent pour les contrats, mais aussi pour reconstituer les stocks de matériel que les laboratoires ont donnés aux hôpitaux, sera pris dans cette enveloppe.

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Cette entrée a été publiée le 27 juin 2020 par dans anticapitalisme.
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