10 SEPTEMBRE 2020 PAR MATHILDE GOANEC
Devant la forte mobilisation, la ministre du travail a allégé la sanction contre l’inspecteur du travail Anthony Smith, qui avait été désavoué par sa direction en pleine crise du Covid-19, pour avoir refusé de retirer une procédure judiciaire contre un employeur.
Même Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, s’est fendu d’un coup de fil, en début de semaine, pour plaider la cause d’Anthony Smith auprès de la ministre du travail Élisabeth Borne. Le 14 août dernier, l’inspecteur du travail avait écopé d’une sanction disciplinaire lourde, entraînant une mutation d’office, à 200 kilomètres de son domicile. Il aurait aussi dû se voir privé de toute mission de contrôle dans une entreprise.
Pressions diverses du monde du travail, manifestation de ses collègues devant le ministère, pétition signée par un aréopage de personnalités… La mobilisation a été forte, et a finalement fait évoluer la position du ministère. Élisabeth Borne a convié les syndicats mercredi 9 septembre pour « un premier échange » sur le dossier. Elle leur a alors indiqué qu’il était finalement décidé de ne pas démettre Anthony Smith de ses fonctions d’inspection, et de l’affecter dans la Meuse, sa région d’origine, beaucoup plus proche de son domicile.
Le ministère « confirme qu’il a été décidé de procéder à un aménagement pour tenir compte des contraintes personnelles de M. Smith. Le nouveau lieu d’affectation sera voisin de son domicile ». Mais, souligne le gouvernement, « la nature de la sanction reste identique (une mutation d’office) ».
Un tel changement de pied est néanmoins très rare, de la part d’un ministère en conflit ouvert avec ses agents depuis des mois. Mais la sanction contre Anthony Smith est sûrement apparue au fil du temps difficilement défendable, alors que la doctrine sur la protection des salariés, et des masques en particulier, a considérablement évolué.
La faute originelle d’Anthony Smith ? Mi-avril, en plein confinement et alors que l’épidémie de Covid-19 bat son plein, cet inspecteur du travail dans la Marne initie une procédure judiciaire en référé (en urgence) contre une entreprise d’aide à domicile, après plusieurs rappels à l’ordre et le dépôt d’un droit d’alerte des salariés.
L’entreprise manquait, selon l’inspecteur, à ses obligations de sécurité en matière de protection des salariés contre le virus, et notamment sur l’équipement du personnel en masques ou en surblouses. Par cette procédure, Anthony Smith imitait une collègue inspectrice à Lille, qui avait obtenu, le 3 avril, un jugement en référé rappelant à une autre grosse association d’aide à domicile du nord de la France à quel « risque biologique » ses employés étaient soumis et comment les en protéger, ce qui avait déjà fait tiquer la ligne
Pour le ministère, l’agent aurait « méconnu de manière délibérée, grave et répétée les instructions de l’autorité centrale du système d’inspection du travail concernant l’action de l’Inspection durant l’épidémie de Covid-19 ». Après 136 jours de suspension disciplinaire, Anthony Smith, originaire de Reims, a donc appris qu’il devrait prendre ses fonctions en Seine-et-Marne, à 200 kilomètres de son domicile, sans pouvoir exercer de fonctions de contrôle.
La ministre a annoncé la nouvelle de l’allégement de cette sanction à l’issue d’une visioconférence avec une délégation CGT, mercredi 9 septembre. « Dans cette histoire, tout le monde a compris que c’était un tel coup de massue qu’il allait être difficile de saisir l’inspection du travail dans le futur, décrypte Gérald Le Corre, membre du syndicat CGT du ministère du travail, dirigé un temps par Anthony Smith. Au-delà du cas d’Anthony, maintenir une telle sanction revenait à asphyxier l’Inspection. »
La bataille n’est cependant pas terminée. « La ministre choisit d’amoindrir les effets de la sanction, pensant sans doute qu’on allait laisser tomber, souligne Gérald Le Corre. Mais on garde la procédure de contestation au tribunal administratif, nous continuons notre mobilisation, et allons diffuser son dossier disciplinaire aux agents. Rien ne tient dans ce dossier. Même la hiérarchie intermédiaire n’arrive pas à expliquer pourquoi il a été sanctionné. »
Une plainte a, par ailleurs, été déposée le 16 avril auprès de l’Organisation internationale du travail (OIT), dans laquelle plusieurs syndicats du ministère accusent leur tutelle de violer plusieurs articles de la convention 81, dont ils dépendent et que la France a ratifiée. Ces agents de contrôle critiquent des atteintes à l’indépendance et au fonctionnement de l’Inspection du travail depuis le début de l’épidémie de Covid-19, au nom du maintien et de la reprise économique.