Après trois ans d’enquête, la Défenseure des droits publie une « décision » que « Le Monde » a pu consulter. La liste des manquements et des comportements contraires à la déontologie des forces de sécurité, à tous les niveaux de la hiérarchie, est longue.
Par Nicolas Chapuis
Captures d’écran vidéo issues d’une caméra de surveillance, sur lesquelles les policiers apparaissent floutés, montrant l’interpellation de Théodore Luhaka, à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), le 2 février 2017. L’enquête avait été relancée après la diffusion de ces images par Europe 1, en janvier 2018. EUROPE 1
« Petite altercation avec des jeunes, ramenez-nous un petit véhicule ! » Quand le message du gardien de la paix B. passe sur les ondes de la police d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) ce jeudi 2 février 2017, l’affaire ne paraît pas très sérieuse. Presque banale. Un après-midi d’hiver comme un autre sur la dalle située devant le centre culturel, lieu habituel du trafic de drogue de la ville. Aux pieds du chef d’équipage qui s’exprime à la radio, gît pourtant un jeune homme de 22 ans, mains menottées dans le dos. Théodore Luhaka est très grièvement blessé après avoir reçu un coup de matraque au niveau de l’anus.
Une « petite altercation » donc, qui a donné naissance à « l’affaire Théo », un dossier emblématique des violences policières ayant provoqué des émeutes urbaines et l’intervention du chef de l’Etat, François Hollande, qui s’était rendu au chevet du jeune homme.
Alors que l’information judiciaire est sur le point d’être clôturée, la Défenseure des droits, Claire Hédon, publie, mardi 24 novembre, une « décision », que Le Monde a pu consulter. Il s’agit d’un travail d’enquête de plus de trois ans, mené par une équipe de juristes qui a eu accès à l’ensemble du dossier d’instruction, aux rapports de l’inspection générale de la police nationale (IGPN), à des documents administratifs inédits et qui a auditionné toutes les personnes impliquées.
Il ne s’agit pas pour l’institution de se prononcer sur les infractions commises dans cette affaire mais d’évaluer l’intégralité des faits au regard du code de la déontologie qui régit l’action des forces de l’ordre et de proposer des sanctions au ministère de l’intérieur. Le débat judiciaire a jusqu’à présent gravité principalement autour de la blessure anale du jeune homme, qui gardera une infirmité à vie et autour de la qualification de viol aggravé, retenue lors de l’ouverture de l’information judiciaire, et abandonnée ensuite par le parquet dans ses réquisitions.
La procureure de la République a demandé en octobre le renvoi de trois des quatre fonctionnaires impliqués devant la cour d’assises pour violences volontaires. La juge d’instruction doit rendre prochainement son ordonnance, dans laquelle elle donnera son interprétation sur le caractère sexuel ou non de ces violences.
Manquements documentés
L’enquête édifiante, la première du genre publiée par la Défenseure des droits, complétée par des documents que Le Monde s’est procurés, dépasse largement ce débat juridique. Au-delà du coup de matraque, Claire Hédon pointe une accumulation de comportements en contradiction totale avec la déontologie policière, du début de l’intervention réalisée sur des bases juridiques floues, à la gestion in fine du commissaire divisionnaire responsable du commissariat – qui n’a pas pris les mesures nécessaires pour préserver l’enquête –, en passant par les nombreux coups portés sur Théo – avant et après son menottage –, l’humiliation par la prise de photo, les coups portés dans le véhicule de police, l’usage d’armes intermédiaires en toute illégalité, l’introduction de données fausses dans les fichiers de police… Tous ces manquements sont documentés par des vidéos, des éléments d’enquête ou par des pièces obtenues de l’administration, qui a obligation de les fournir à la Défenseure des droits.
Il est 16 h 45 ce jeudi 2 février 2017, quand un équipage de la brigade spécialisée de terrain (BST) fait irruption sur le parvis du centre culturel, pour contrôler l’identité d’un groupe d’une dizaine de jeunes gens. La situation est encore calme mais le gardien de la paix A. tient déjà dans sa main sa matraque télescopique. C’est lui qui, quelques secondes plus tard, portera le coup à l’anus.
Selon lui, la raison du contrôle est le tapage provoqué par les cris « pu, pu ! » poussés par un individu pour avertir de la présence de la police. Son chef d’équipage, l’agent B., assure de son côté qu’il s’agit d’une intervention habituelle sur un point de « deal » connu des services de police. Les fonctionnaires agissent selon l’article 78-2 du code de procédure pénale qui suppose la constatation d’une infraction pour procéder à un contrôle. A aucun moment pourtant, Théo Luhaka, qui cherche à faire une carrière de footballeur et a alors un casier judiciaire vierge – il a depuis été renvoyé devant le tribunal correctionnel dans une affaire d’escroquerie –, n’a été aperçu en train de commettre le moindre délit.
Le début du contrôle se déroule derrière un mur et échappe en partie aux caméras de vidéosurveillance de la ville. Deux versions s’opposent. Un des individus interpellés s’est-il approché de manière menaçante ou est-ce l’agent A. qui a fait dégénérer la situation ? Toujours est-il que ce dernier porte le premier coup, en repoussant un des jeunes au niveau du visage, ce qui peut être interprété comme une gifle, reconnaît-il lui-même.
Outre le caractère disproportionné, la Défenseure des droits pointe le rôle-clé que va jouer ce geste dans la suite des événements : « Il a augmenté le risque de dégradation de la situation (…). Le gardien de la paix A. n’a pas fait preuve du calme et du professionnalisme que l’on peut attendre d’un fonctionnaire de police. » La réaction ne se fait pas attendre. Il assure que Théo Luhaka le saisit en retour au col. Le jeune homme explique pour sa part s’être interposé et avoir reçu un coup de poing. Le résultat est le même : le contrôle s’envenime et les policiers tentent de l’interpeller. Il résiste, tandis que les autres prennent la fuite.
Gestes très problématiques
Le jeune homme, aux prises avec deux des fonctionnaires, réapparaît dans le champ des caméras. Il a perdu sa veste dans la mêlée et son pantalon tombe sur ses jambes. La partie des événements qui suit est la plus connue, Europe 1 ayant publié en janvier 2018 un extrait de la vidéosurveillance. A l’époque, la séquence avait été interprétée comme un démenti apporté aux propos du jeune homme qui avait parlé d’un « viol en réunion ». Mais elle permet, selon la Défenseure des droits, d’isoler une série de gestes très problématiques au regard de la déontologie.
Deux fonctionnaires amènent Théo Luhaka une première fois au sol. L’un des deux, le chef de bord B., qui se trouve sous lui, envoie des jets de gaz lacrymogène à bout portant – non intentionnellement, dira-t-il par la suite. L’agent A., qui a reçu un coup au visage dans la mêlée, tient toujours sa matraque en main. Il assène des coups fouettés aux jambes, avant d’en porter un avec le manche de l’arme derrière la tête. Un geste « disproportionné » étant donné le fait que le jeune homme est déjà au sol.
Les agents le relèvent mais il prend appui sur un parapet. Très athlétique, il paraît difficile à maîtriser et refuse de se faire menotter, sans toutefois porter de coup. Le chef de bord B. est agrippé à sa jambe, les deux agents A. et D. tentent de ramener ses bras dans son dos. Le fonctionnaire C. se situe à quelques mètres et tient un petit groupe à distance avec sa gazeuse. Ce dernier est le seul de l’équipage dont le procureur a demandé la relaxe.
Car à cet instant, alors que D. frappe Théo Luhaka au visage, le gardien de la paix A. donne un coup d’estoc avec sa matraque, pointe en avant, au niveau des fesses. Il ne le sait pas encore, mais il vient de provoquer une blessure très grave, une « plaie longitudinale du canal anal et du bas rectum en continuité et sur le trajet de la lésion sphinctérienne », dira le rapport médical. En langage courant, Il a perforé la chair à côté de l’anus, créant un nouvel orifice de 10 cm de profondeur. Le jeune homme s’effondre sous la douleur.
« J’ai été comme dans les vapes : ils continuaient à me frapper mais je ne sentais plus les coups, j’étais comme concentré sur ma douleur au niveau des fesses », dira-t-il par la suite. Alors qu’il n’oppose plus de résistance, il reçoit un nouveau coup de matraque « pointé » du même agent. L’agent D. lui donne un crochet dans le ventre. Il est ensuite menotté. L’agent A. place son genou sur sa nuque, « un geste non nécessaire et dangereux », relève la Défenseure des droits. La vidéo révélée en 2018 par Europe 1 s’achève sur cette image. A l’époque, George Floyd n’était pas encore mort étouffé dans les mêmes circonstances aux Etats-Unis et le geste n’avait pas provoqué d’émoi particulier.
« Ils continuaient à me frapper mais je ne sentais plus les coups, j’étais comme concentré sur ma douleur au niveau des fesses », dira Théo Luhaka
Autour des policiers, un petit groupe de sept personnes assiste à la scène et semble protester. Une femme filme. Les fonctionnaires projettent du gaz dans leur direction. Le chef de bord B., qui s’est redressé, passe son appel radio : « Petite altercation avec des jeunes, ramenez-nous un petit véhicule ! » Puis il se tourne vers l’agent A., lui demande une grenade lacrymogène MP7, dégoupille et la jette en direction des témoins, alors que ceux-ci étaient déjà en train de quitter les lieux.
Usage formellement proscrit
L’équipage de la BST n’en a pas fini avec Théo Luhaka. L’agent A. l’a redressé et l’a assis adossé au parapet. Alors qu’il a toujours les mains menottées dans le dos, le policier le frappe à deux reprises au visage. Sa tête heurte le mur. Son chef de groupe, le gardien de la paix B., le repousse à son tour violemment contre le mur. Son crâne cogne à nouveau le béton.
Puis les fonctionnaires le relèvent, et l’emmènent derrière le mur, hors du champ des caméras de vidéosurveillance. Ils restent pendant deux minutes et vingt secondes à l’abri des regards, ou presque. Un passant a filmé la scène pendant neuf secondes. Des images révélées par RTL que Le Monde a pu consulter. On y voit les fonctionnaires saisir les jambes de Théo Luhaka pour le faire chuter sur le dos. Deux d’entre eux se placent sur lui. Puis, alors qu’ils tiennent ses deux jambes en l’air, ils le traînent sur le sol. Selon eux, alors qu’il était gravement blessé, il refusait de s’asseoir. Un témoin s’approche mais un des agents l’écarte. Il racontera que les policiers continuaient à gazer le jeune homme et à lui porter des coups.
Entre-temps, un équipage de la brigade anticriminalité (BAC) est arrivé sur place pour prêter main-forte à ses collègues. Les trois hommes, qui ne portent aucun signe distinctif contrairement aux règles, se chargent à leur manière d’éloigner les gêneurs. L’agent F. se dirige vers l’escalier menant au parvis où ne se trouve plus qu’un homme seul, qui assiste à la scène. Il lui jette en cloche une grenade de désencerclement, un usage formellement proscrit, et qui plus est disproportionné pour un seul individu. Un autre homme descend de sa voiture et s’approche de la dalle. L’agent E. se précipite vers lui pour lui barrer la route et lui assène un coup de pied, « un usage de la force en dehors de tout cadre légal », juge la Défenseure des droits.
Un troisième homme s’approche de l’escalier. Deux des agents qui entourent Théo Luhaka se retournent et projettent du gaz dans sa direction pour le faire partir. L’homme recule en levant les mains. Malgré l’absence de mise en danger ou d’infraction, le fonctionnaire E. de la BAC arme son lanceur de balles de défense (LBD) et lui tire dessus. Ses deux collègues ne sont pas en reste. Tandis que l’homme est en train de prendre la fuite, l’un jette en cloche une grenade de désencerclement dans sa direction, le second une grenade lacrymogène MP7. Trois usages irréguliers d’armes intermédiaires pour faire partir une seule personne, qui avait déjà fait demi-tour…
Violation du « code de déontologie » (sic !)
Ce n’est pas la seule violation du code de déontologie que commettront ces trois agents ce jour-là. De retour au commissariat, les fonctionnaires doivent remplir le fichier de traitement relatif au suivi de l’usage des armes (TSUA). Mais il y a un os : le gardien de la paix E., qui a tiré au LBD, n’a pas l’habilitation pour le faire. Qu’importe, l’agent G. prend sur lui et inscrit dans le logiciel qu’il est l’auteur du tir. Il assure avoir fait feu sur un homme qui jetait des projectiles. Quant à l’agent F., il indique avoir jeté deux grenades de désencerclement pour disperser une foule d’une trentaine de personnes qui empêchaient les agents de la BST de rejoindre leur véhicule. Une version des faits totalement contredite par la vidéosurveillance.
La Défenseure des droits a demandé à l’administration de lui fournir les données concernant ces agents. « Il ressort de l’historique des fiches TSUA que M. E. n’en avait jamais remplies et que les dernières déclarations de MM. F et G remontaient au 15 juillet 2016 », note le rapport.
Lors de leurs auditions, les trois fonctionnaires ont donné un aperçu de leur utilisation généreuse de l’armement intermédiaire : « M. F., interrogé sur ce point, affirme que l’usage des armes, comme lors de cette intervention, était fréquent. M. E. indique que ce type d’intervention était banal voire quotidien dans le département de la Seine-Saint-Denis, et le gardien de la paix G. précise qu’il faisait souvent usage des armes, qu’il n’y avait pas un cycle de travail (quatre jours) sans qu’il n’utilise une grenade ou un lanceur. » A l’époque de l’affaire Théo, le mouvement des « gilets jaunes » n’avait pas encore mis un coup de projecteur sur l’usage disproportionné de l’armement intermédiaire par certaines unités de police. Mais, déjà, de nombreuses personnes dénonçaient cette situation dans les quartiers populaires, en vain.
De son côté, Théo Luhaka n’en a pas fini avec son calvaire. Les quatre policiers de la BST le font monter dans la voiture pour le ramener au commissariat. L’un des fonctionnaires le prend en photo. « Ça mérite un snap », aurait dit l’auteur du cliché. Une version contestée par le chef d’équipage qui assure que la photo était destinée à rédiger le procès-verbal. Mais la Défenseure des droits note qu’elle a été effacée de son téléphone et qu’elle n’apparaît nulle part dans la procédure, d’ailleurs rédigée par un autre agent.
« Tu as raison, il saigne du fion »
Théo Luhaka se plaint aussi de coups portés à l’intérieur du véhicule et à la sortie. Un agent lui aurait mis une gifle avant d’essuyer le sang de son visage avec son tee-shirt, tandis qu’un autre remarquait : « Tu as raison, il saigne du fion. » Une image de Théo Luhaka prise à sa sortie de la voiture montre des traces de sang sur son tee-shirt qui ne figurent pas sur les vidéosurveillances avant d’embarquer dans le véhicule. Les fonctionnaires les mettent sur le compte d’un saignement de nez. Quant à l’hémorragie anale, ils reconnaissent avoir constaté à ce moment-là des traces de sang sur le siège du véhicule et sur son pantalon.
Malgré ce constat, Théo Luhaka est tout de même menotté à un banc dans le commissariat. Un gardien de la paix, qui constate qu’il vacille, lui retire les entraves et l’allonge au sol. Les pompiers sont appelés en renfort. Le jeune homme est évacué vers l’hôpital où il est opéré en urgence.
La liste des manquements ne s’arrête cependant pas là. La Défenseure des droits s’est aussi intéressée au rôle joué par la hiérarchie en général et le commissaire divisionnaire H. en particulier. Selon l’institution, ce dernier « n’a pas mis en œuvre tous les moyens
dont il disposait afin d’éviter les échanges entre les quatre fonctionnaires mis en cause et de
préserver les procédures administratives et judiciaires à venir ». Les quatre agents de la BST n’ont été placés en garde à vue qu’à 2 h 15 du matin, soit plus de neuf heures après les faits. Et ce, alors même que le commissaire avait été informé des constatations médicales et de la version de Théo Luhaka dès 21 heures.
Entre-temps, le chef de service a procédé à plusieurs interrogatoires informels de ses troupes, séparément et tous ensemble. Ces derniers ont pu rédiger en commun le procès-verbal d’interpellation. Dans sa réponse à la Défenseure des droits, le commissaire divisionnaire H. a estimé qu’il ne pouvait pas imaginer qu’il s’agissait d’un acte volontaire, vu les éléments à sa disposition. Le haut gradé a été sanctionné dans ce dossier, mais pour un volet annexe : les trois agents de la BAC qui sont intervenus n’avaient pas l’habilitation nécessaire pour faire partie de cette unité spéciale.
Inimaginable : La plus faible des sanctions !
Les trois policiers en question ont eux aussi été sanctionnés pour l’usage disproportionné de l’armement intermédiaire et les fausses déclarations dans le fichier. Ils ont reçu… un avertissement. Soit la plus faible des mesures. La Défenseure des droits, qui ne peut pas demander une nouvelle sanction, regrette la « faiblesse » de la décision « eu égard à la gravité des manquements ». Les quatre gardiens de la paix de la BST, qui ont toujours contesté l’intentionnalité des violences, n’ont, eux, pas encore été sanctionnés, même s’ils ont été suspendus le temps de l’enquête (deux d’entre eux ont été réintégrés).
Joints par téléphone, leurs avocats, qui n’avaient pas encore pris connaissance de la décision de la Défenseure des droits, n’ont pas souhaité réagir. Me Frédéric Gabet, l’avocat du fonctionnaire ayant porté le coup de matraque au niveau de l’anus, a cependant souligné que l’usage de la force par les fonctionnaires en général, et notamment ce geste en particulier, avait été jugé proportionné et correspondant aux instructions techniques enseignées aux forces de l’ordre dans un rapport d’expertise. « Si l’usage normal d’une matraque entraîne ce type de blessure, alors il faut l’interdire », ironise Me Antoine Vey, qui pointe le fait que ce document a été rédigé par « un employé du ministère de l’intérieur », un policier qui ne figure pas sur les listes d’experts.
L’avocat du jeune homme a longtemps porté ce dossier avec son associé, un certain Eric Dupond-Moretti, devenu depuis ministre de la justice. Ce n’est cependant pas sur son bureau mais sur celui de Gérald Darmanin, le ministre de l’intérieur, qu’a atterri lundi 23 novembre cette décision de la Défenseure des droits. A charge pour lui de prendre ou non des sanctions. Interrogé sur les abus des forces de l’ordre en juillet à l’Assemblée nationale, il avait eu cette formule de déni : « Quand j’entends le mot violences policières, personnellement, je m’étouffe. »
La Défenseuse des droits réclame des « poursuites disciplinaires » contre les policiers !
Dans un rapport, Claire Hédon souligne les nombreux coups subis par Théo Luhaka lors de son interpellation, et les manquements de la procédure qui a suivi les violences commises par les policiers.
Manifestation à Bobigny contre les violences policières en soutien à Théo, le 11 février 2017.AFP/ARCHIVES
La Défenseure des droits, Claire Hédon, a réclamé mardi 24 novembre des « poursuites disciplinaires » à l’encontre des quatre policiers qui ont violemment interpellé et blessé Théo Luhaka lors d’un contrôle à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) en 2017. Un événement devenu un symbole des violences policières.
Dans une décision publique adressée au ministère de l’intérieur, Claire Hédon relève des « manquements » des quatre fonctionnaires à la déontologie policière et demande des sanctions disciplinaires, « indépendamment » du procès aux assises souhaité par le parquet de Bobigny. Elle recommande également des sanctions disciplinaires contre l’ancien commissaire d’Aulnay et une inspection administrative, face à « l’accumulation des manquements » dans cette affaire.
Lors de l’interpellation, « plusieurs gestes étaient disproportionnés », estime la Défenseure des droits, notamment le « coup pointé » de matraque télescopique qui a grièvement blessé Théo Luhaka dans la zone anale – provoquant une incontinence qui le handicape à vie, selon une expertise médicale de 2019.
Police : toujours pas d’alternative à la clé d’étranglement
Claire Hédon a rendu cette décision après avoir auditionné le jeune homme, les quatre policiers et avoir eu accès à l’information judiciaire. Le document souligne également que « rien ne pouvait justifier les coups portés après le menottage et la maîtrise » de Théo Luhaka, et détaille les « coups de poing », « de genou » et l’usage de « gaz lacrymogène » démontré par la vidéosurveillance de la ville, avant que le jeune homme ne soit amené hors champ des caméras pendant « deux minutes et 20 secondes ».
Les trois agents de la brigade de sécurité de terrain (BST) qui ont porté ces coups, et le quatrième qui a été « témoin de violences sans intervenir pour les empêcher », ont commis des « manquements » au code de la sécurité intérieure, observe Claire Hédon. À ce titre, la Défenseure des droits, qui a pour mission de contrôler l’action des forces de l’ordre, recommande « l’engagement de poursuites disciplinaires » à leur encontre.
Début octobre, le parquet de Bobigny avait réclamé un procès aux assises pour les trois policiers soupçonnés de « violences volontaires », et un non-lieu pour le quatrième agent mis en examen, tout en écartant la qualification de « viol aggravé » dans cette affaire.
Dans sa décision, la Défenseure des droits pointe également la responsabilité de l’ancien commissaire divisionnaire d’Aulnay-sous-Bois, qui « n’a pas mis en œuvre tous les moyens dont il disposait afin d’éviter les échanges entre les quatre fonctionnaires mis en cause », pendant les heures qui ont suivi l’interpellation de Théo Luhaka dans la cité des 3 000. Elle réclame également des « poursuites disciplinaires » à son encontre.Claire Hédon réclame enfin une « inspection » administrative concernant les pratiques de la BST et de l’ensemble du district nord-est de la Seine-Saint-Denis, qui était également dirigé par ce commissaire.