25 NOVEMBRE 2020 PAR DAN ISRAEL
La plus haute instance administrative a jugé contraire au principe d’égalité la modification du mode de calcul des allocations chômage. Les syndicats demandent l’annulation de toute la réforme.
En quelques mots arides, le Conseil d’État vient de mettre à bas ce qui aurait dû être un point majeur d’une réforme chère à Emmanuel Macron et à son gouvernement, celle de l’assurance-chômage. Ce mercredi 25 novembre, la plus haute instance administrative française, saisie par la CGT, Force ouvrière, la CFE-CGC et Sud-Solidaires, (La CFDT non ?) a décidé que la réforme prévue du mode de calcul de l’allocation chômage portait « atteinte au principe d’égalité », et l’a donc annulée.
Cette mesure devait initialement s’appliquer le 1er avril 2020, mais son application a été repoussée au 1er janvier 2021, puis au 1er avril 2021, en raison de la crise économique déclenchée par l’épidémie de Covid-19 et par les deux périodes de confinement.
Il s’agissait d’une redéfinition sévère des règles de calcul des indemnités chômage : au lieu d’être définies (comme elles le sont depuis quarante ans) à partir d’une moyenne des salaires touchés les jours travaillés par un salarié pendant un an, elles auraient dû l’être à partir de son revenu mensuel moyen, qu’il ait travaillé ou non.
Le premier ministre Jean Castex et la ministre du travail Élisabeth Borne, le 12 novembre 2020. © Ludovic Marin / AFP
Mediapart avait exploré en détail les lourdes conséquences de l’application de ce nouveau mode de calcul par Pôle emploi du « salaire journalier de référence » (SJR), qui sert de base à tous les versements d’indemnisation. Selon l’Unédic, les allocations versées à au moins 850 000 nouveaux chômeurs auraient chuté. Et ce sont les plus précaires des chômeurs qui auraient dû être touchés : ceux qui alternent périodes chômées et périodes travaillées auraient perdu jusqu’à 50 % de leurs indemnités mensuelles. Dans les cas les plus extrêmes, la réforme aurait abouti à diviser par quatre ou cinq les montants versés tous les mois.
Cette transformation majeure visait à « corriger » la situation selon laquelle, a assuré le gouvernement pendant de longs mois, un chômeur sur cinq touche « une allocation chômage supérieure à la moyenne de ses revenus » lorsqu’il travaille. Peu importe si cette antienne repose sur une arnaque intellectuelle, puisqu’elle nécessite de comparer entre elles des périodes de temps différentes, et parce que les règles de l’assurance-chômage sont ainsi faites que l’allocation ne peut jamais dépasser 75 % du salaire précédent.
Le cœur de cette réforme est donc illégal, estime le Conseil d’État : « Le montant du salaire journalier de référence peut désormais, pour un même nombre d’heures de travail, varier du simple au quadruple en fonction de la répartition des périodes d’emploi au cours de la période de référence d’affiliation de 24 mois », écrit l’institution. Il en résulte « une différence de traitement manifestement disproportionnée au regard du motif d’intérêt général poursuivi ». Cette décision suit les conclusions défendues lors de l’audience, le 4 novembre, par le rapporteur public (représentant l’intérêt général).
Un deuxième point est annulé, à la demande du Medef, cette fois. Il s’agit du « bonus-malus » modulant les cotisations sociales payées par un employeur, en fonction du nombre d’emplois précaires embauchés par rapport à la moyenne du secteur d’activité.
Le patronat a tout fait pour combattre cette mesure, présentée par le gouvernement comme un moyen d’équilibrer sa réforme, très largement considérée comme punitive envers les demandeurs d’emploi. Le ministère du travail avait néanmoins annoncé le 12 novembre que le « bonus-malus » s’appliquerait à partir de 2023, et non de 2021, manière de le repousser aux calendes grecques, après la prochaine élection présidentielle.
Le Conseil d’État a jugé cette fois que le gouvernement avait eu tort de renvoyer à un simple décret la définition des critères précis qui devaient conduire à la modulation des cotisations sociales. Il s’agit d’une « subdélégation illégale », situation où une autorité se décharge de son pouvoir de décision sur une autorité inférieure.
Dans un communiqué, la ministre du travail Élisabeth Borne assure qu’elle avait déjà « identifié que cet aspect de la réforme nécessitait un ajustement », indiquant peaufiner d’ici le 1er avril « une réponse qui me semble équilibrée entre le plein respect de la philosophie de la réforme et la prise en compte de certaines situations spécifiques ».
Le gouvernement compte pour ce faire sur les concertations en cours avec les syndicats et le patronat, lancées en juillet à l’arrivée à Matignon de Jean Castex. Mais à la vérité, il n’avait rien prévu permettant de répondre à l’objection du Conseil d’État concernant le mode de calcul des allocations. Tout juste proposait-il d’atténuer les effets de la réforme, en mettant en place un plancher, pour limiter la baisse des sommes versées aux chômeurs.
Cette piste n’avait en rien apaisé la colère des syndicats face à la réforme. Aujourd’hui, ces derniers entendent pousser leur avantage, alors qu’ils n’ont pas obtenu du Conseil d’État l’annulation de deux mesures qu’ils critiquent tout autant : le passage de quatre à six mois de la durée de travail nécessaire pour avoir droit au chômage (et de un mois à quatre mois pour les « recharger »), et la dégressivité des allocations versées pour ceux qui touchaient de gros salaires, au-delà de 4 500 euros brut mensuels.
« Quand on a tort, on a tort, maintenant, le gouvernement doit passer à autre chose », plaide auprès de Mediapart Denis Gravouil, le négociateur CGT sur l’assurance-chômage. Dans un communiqué, le syndicat annonce qu’il veut « obtenir l’annulation totale d’une réforme en grande partie illégale, profondément injuste et qui devient illisible avec ses possibles aménagements marginaux ».
Il insiste sur le « principe absurde » de la réforme : « couper les vivres aux privés d’emploi pour soi-disant les aider à trouver du boulot ». De son côté, Sud-Solidaires appelle le gouvernement à jeter « à la poubelle » sa « réforme inepte ».
Les syndicats rappellent avec force que le passage de quatre à six mois du critère d’éligibilité toucherait en premier lieu les plus jeunes. Les nouveaux arrivés sur le marché du travail auront en effet du mal à atteindre les six mois travaillés en deux ans demandés pour bénéficier du chômage, alors même que les moins de 25 ans sont déjà privés du RSA. Le 12 novembre, le gouvernement avait indiqué qu’il était prêt à réfléchir à l’infléchissement de ces règles. Cela devient urgent s’il souhaite sauver la face.