Militant infatigable des droits de l’homme, né à Orléans, Jean-Pierre Perrin avait 88 ans. A sa famille la fraternité du NPA. Cérémonie funéraire dans la plus stricte intimité.
Jean-Pierre un soldat à part !
La grande histoire, Jean-Pierre la croise en 1956, au détour de sa mobilisation pour l’Algérie. Jeune séminariste voué à une prêtrise qui fera, un temps, la fierté de son entourage, il est envoyé, pour commander un groupe d’une vingtaine d’hommes, au sein d’un régiment d’infanterie basé au nord de Tizi-Ouzou. « Rapidement, on s’aperçoit que les Algériens nous détestent », raconte-t-il. Ce brillant étudiant, passionné de latin et de grec, se retrouve à encadrer des fouilles de villages où « les soldats renversent la soupe des enfants ». Puis arrive le spectre de la torture, dénoncée en son temps par le journaliste et militant communiste Henri Alleg dans son ouvrage la Question. De retour de permission, il apprend que deux jeunes Algériens, arrêtés peu de temps avant, ont été torturés puis envoyés à la « corvée de bois ». Autrement dit, passés par les armes. « Je suis allé voir mon supérieur pour lui rendre mes galons. Mais il n’en a pas voulu. »
Dégagé de ses obligations militaires, le jeune séminariste constate à quel point les Français ne comprennent rien à la guerre qui secoue l’autre rive. Il en veut aux gouvernants. « C’est Guy Mollet, un socialiste, qui m’a envoyé là-bas. Et Mitterrand faisait ramener l’ordre à coup de guillotine après les plein pouvoir votés y compris par le PCF. Ma défiance vis-à-vis du Parti socialiste et du PCF datent de cette époque. »
Car Jean-Pierre Perrin, disparu il y a quelques jours à l’âge de 88 ans, fut d’abord prêtre, ordonné dans la cathédrale d’Orléans, en 1957, à son retour d’Algérie.
« C’est beaucoup d’émotion de le voir partir. Parce que l’on a travaillé ensemble pendant des années ; on a renvoyé ensemble nos livrets militaires au ministre des Armées. Nous sommes allés au procès ensemble, nous avons mené les mêmes combats… »
Vers qui se tourner, après l’annonce de la disparition du militant des droits de l’homme Jean-Pierre Perrin, si ce n’est le philosophe, pacifiste, militant fondateur du MAN (Mouvement pour une Alternative Non Violente) Jean-Marie Muller, avec qui il avait mené son combat pour la non-violence, démarré en 1967 ?
Un combat qui les a conduits, deux ans plus tard et avec Jean Desbois, à comparaître devant un tribunal pour avoir renvoyé leur livret militaire et dénoncé les tortures de la guerre d’Algérie, alors qu’ils étaient encore officiers de réserve.
Jean-Pierre le prêtre révolté par la torture en Algérie !
Le procès avait fait grand bruit, parfois rebaptisé depuis « procès d’Orléans ». Les prévenus, condamnés à trois mois de prison avec sursis, étaient alors soutenus par l’évêque d’Orléans Guy-Marie Riobé et un ancien ministre, Robert Buron.
Bon soldat de l’église catholique et romaine, Jean-Pierre poursuit son chemin. Malgré les premiers doutes, il enchaîne les missions en collèges et internats. Encadrant les jeunes à la JEC il « éduque » déjà différemment enseignant la critique du pouvoir, « tombe » dans 1968 et forme dans la foulée des dizaines de militants qui, sortis de la JEC formeront l’ossature de la JCR la Jeunesse Communiste Révolutionnaire !
Dans la foulée, le prêtre tourmenté trouve l’équilibre dans les yeux de Marie-Bé, une cadre de la Jeunesse Etudiante chrétienne (JEC). « Nous avions participé ensemble aux événements de mai 1968. On se guettait et on a compris qu’on s’aimait », confie-t-il. Il l’épouse et se retrouve, ipso facto, excommunié.
Jean-Pierre le politique
Après avoir été tête de liste aux municipales de 1989 sous l’étiquette Alternative et écologie (AREV), puis candidat sur la liste de rassemblement en 2001, Jean-Pierre Perrin-Martin, 75 ans, ancien prêtre et militant des droits de l’homme, espère toujours, pour sa ville, «un virage à gauche toute». En contact parfois avec Jean-Pierre Sueur, candidat socialiste et ancien maire, il regrette que «les gens des quartiers n'[aient] pas voix au chapitre».
Il milite avec ses amis de Bâbord de Loire (journal de la gauche orléanaise) «pour une grande campagne d’éducation populaire dans les quartiers». Il a, chevillé au corps, une volonté de rassembleur qui se casse les dents sur la réalité politique et sociale : l’absence de grands mouvements et l’organisation politique sous forme de partis centralisés. Sa démarche avec l’AREV n’a pas dépassé la courte vie des alliances nationales Rouges-Vertes.
Et se dit prêt à tout pour « dégager Orléans du système ultra-sécuritaire mis en place par Serge Grouard, maire UMP, et Florent Montillot, son sulfureux adjoint à la sécurité». Ce petit homme humble et passionné n’a aucune ambition personnelle sinon de battre les droites mais aussi les gauches opportunistes et collaboratrices. Il espéré que «tout le monde soit enfin citoyen» et «pas seulement les habitants aisés du centre-ville».
Jean-Pierre l’humanitaire !
Jean-Pierre poursuit sa quête du monde terrestre en acceptant un emploi de chauffeur-livreur, puis de mécano. « Épuisant et formateur », résume-t-il. Mais c’est dans le travail social qu’il va s’épanouir. « Les besoins des quartiers populaires ne sont pas pris en compte. Ils sont délaissés au point de vue des infrastructures, des transports… » Dans son parcours militant, au plus prés du terrain il s’investi dans toutes les structures , militant des droits de l’homme, pour les sans-papiers pour qui il fonda, en 1983 l’association de soutien aux travailleurs immigrés (Asti)., participation aux lutte des sans papiers, occupations plusieurs fois de la cathédrale par les Turcs et Africains, membre de toutes les délégations en préfecture pour défendre les expulsables munies du terrible OQTF (ordre de quitter le territoire français), délégations pour les cartes de 10 ans, du droit au travail, etc.
Il participe au Réseau Education sans Frontières (RESF) et aux mobilisations Collégiennes, avec un Comité sur le collège des Blossières, et Lycéennes pour empêcher les expulsions par les préfets d’enfants scolarisés ; participe aux Cercles de silence pour éveiller les consciences à la solidarité internationale au travers de l’aide aux migrantEs. Jean-Pierre ira loin, très loin, puisqu’il cachera à plusieurs reprises des migrantEs expulsables et clandestins !
Jean-Pierre l’Internationaliste
Parce que sa vision de la solidarité dépassait le cadre national étriqué Jean-Pierre a participé à tous les combats solidaires et internationalistes. Une brève apparition au Secours Rouge local mais une participation systématique lors des manifestations contre la Guerre du Golfe, ou la France-Afrique pourvoyeuse de réfugiéEs et une adhésion totale au Comité Kanaky orléanais mobilisant pour l’indépendance du peuple kanak (Nouvelle Calédonie).
Il participe, avec une poignée de MilitantEs, à la création du Comité Palestine 45 en 2.000 après la deuxième Intifada, lorsque le colonialisme israélien éclate au grand jour par l’accumulation des crimes de guerre contre des populations palestiniennes armées de cailloux ! Sa participation régulière depuis au Conseil d’Administration n’a été empêchée que par ses déboires de santé.
Jean-Pierre et ses Blossières
Jean-Pierre secoue son quartier des Blossières au travers de l’association Pôle Nord, afin de contrarier les sempiternelles réunions institutionnelles, ces « comédies où une poignée de gens viennent faire la claque » au maire. Et, pour l’après, il conditionne le changement aux bonnes volontés : « Je ne crois pas au sens de l’histoire. On ne fait que vivre des aléas de l’histoire, sans connaître une grande loi. Tes limites réelles sont ta naissance et ta mort. Et pendant que tu es sur scène, tu essayes de faire de ton mieux. »
Jean-Pierre l’écrivain
Jean-Pierre Perrin écrivait également beaucoup, mais ses fictions puisaient leur souffle dans son engagement. En 2015, nous l’avions rencontré pour parler d’un de ses ouvrages, « Judith », conte désenchanté sur la vie dans les quartiers, lui qui était tant attaché au sien, les Blossières.
Dans Judith, il retraçait certains de ses combats, son licenciement de la Maison des jeunes et de la culture (MJC) des Blossières, en 1978 lors de la remise au pas des MJC, foyers de contestations, « sur décision du maire ». Son expérience aux Salmoneries, à Saint-Jean-de-la-Ruelle, où il travailla aussi, pour la MJC.
Mais son livre était davantage un brûlot contre la politique dans les quartiers. Le récit d’une vie militante, aussi.
Et tant d’autres !
Bio réduite :
6 août 1932. Naissance à Orléans.
Octobre 1949. Entrée au séminaire.
Mai 1956. Départ pour l’Algérie comme officier.
29 juin 1957. Ordonné prêtre à la cathédrale Sainte-Croix d’Orléans.
Mars 1970. Mariage.
Août 1972. Naissance de sa première fille. Brève adhésion au PSU.
1973. Arrivée au quartier populaire des Blossières, à Orléans.
1991. Création du journal Bâbord de Loire, qui s’éteindra en 2009.