février par Eric Toussaint , Olivier Bonfond , Catherine Samary , Thomas Piketty , Laurence Scialom , Aurore Lalucq , Nicolas Dufrêne , Jézabel Couppey-Soubeyran , Gaël Giraud , Esther Jeffers
(CC – Wikimedia)
Le CADTM publie cette tribune qui rassemble des signatures très diverses sur une proposition centrale : l’annulation des dettes publiques détenues par la BCE soit environ 2500 milliards d’euros.
Les membres du CADTM qui ont signé ce texte considèrent qu’il faut aller plus loin notamment en imposant aux grandes fortunes et aux grandes entreprises une importante taxe covid. Le CADTM considère qu’il faut accompagner l’annulation des dettes publiques d’une série de mesures anticapitalistes.
Cette tribune a été publiée par de grands médias ce 5 février 2021 simultanément dans 8 pays d’Europe.
Le débat sur l’annulation des dettes détenues par la BCE connaît un fort retentissement en France, mais aussi en Italie, au Luxembourg, en Belgique, dans les couloirs des institutions européennes, auprès des représentants de la BCE elle-même et des différents ministères des finances de la zone euro.
Ce débat est sain et utile. Pour la première fois depuis bien longtemps, les enjeux monétaires font l’objet d’une discussion publique. La monnaie cesse pour un instant d’être cet objet soustrait à la délibération collective et confiée à une banque centrale indépendante des pouvoirs politiques mais dépendante des marchés financiers. Les citoyens découvrent, pour certains avec effarement, que près de 25 % de la dette publique européenne est aujourd’hui détenue par leur banque centrale. Nous nous devons à nous-même 25 % de notre dette et si nous remboursons cette somme, nous devrons la trouver ailleurs, soit en réempruntant pour faire rouler la dette au lieu d’emprunter pour investir, soit en augmentant les impôts, soit en baissant les dépenses.
Il y aurait pourtant une autre solution. En tant qu’économistes, responsables et citoyens engagés de différents pays, il est de notre devoir d’alerter sur le fait que la BCE pourrait aujourd’hui offrir aux États européens les moyens de leur reconstruction écologique, mais aussi de réparer la casse sociale, économique et culturelle, après la terrible crise sanitaire que nous traversons.
Non pas que les États n’aient pas agi car des mesures de protection ont bien été adoptées. Mais elles demeurent très insuffisantes. Le plan de relance européen, fondé sur une enveloppe de 300 milliards d’euros à peine de subventions sur trois ans, est bien loin des 2 000 milliards d’euros demandés par le Parlement européen. Faut-il rappeler qu’avant la crise sanitaire, la Cour des comptes européenne, en 2018, indiquait déjà un besoin minimal de 300 à 400 milliards d’euros d’investissements supplémentaires par an pour financer la transition écologique en Europe ? Nous sommes loin du compte, encore plus avec la crise sanitaire.
Nous ne prenons pas l’annulation de dettes publiques, fussent-elles détenues par la BCE, comme un événement anodin. Nous savons que les annulations de dette constituent des moments fondateurs. Ce fut le cas à la Conférence de Londres, en 1953, quand l’Allemagne bénéficia d’un effacement des deux tiers de sa dette publique, lui permettant de retrouver le chemin de la prospérité et d’ancrer son avenir dans l’espace européen. Mais l’Europe ne traverse-t-elle pas aujourd’hui une crise d’une ampleur exceptionnelle qui appellerait des mesures tout aussi exceptionnelles ?
Par ailleurs, nous avons la chance d’avoir un créancier qui ne craint pas de perdre son argent : la BCE. Notre proposition est donc simple : passons un contrat entre les États européens et la BCE. Cette dernière s’engage à effacer les dettes publiques qu’elle détient (ou à les transformer en dettes perpétuelles sans intérêt), tandis que les États s’engagent à investir les mêmes montants dans la reconstruction écologique et sociale. Ces montants s’élèvent aujourd’hui, pour l’ensemble de l’Europe, à près de 2 500 milliards d’euros. De quoi répondre enfin aux attentes du parlement européen et surtout à la sauvegarde de l’intérêt général.
La BCE peut se le permettre sans aucun doute. Comme le reconnaît un très grand nombre d’économistes, même parmi ceux qui s’opposent à cette solution, une banque centrale peut fonctionner avec des fonds propres négatifs sans difficulté. Elle peut même créer de la monnaie pour compenser ces pertes : c’est prévu par le protocole n°4 annexé au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Ensuite, juridiquement, contrairement à ce qu’affirment certains responsables d’institutions, notamment de la BCE, l’annulation n’est pas explicitement interdite par les traités européens. D’une part, toutes les institutions financières au monde peuvent procéder à un abandon de créances et la BCE ne fait pas exception. D’autre part, le mot « annulation » ne figure ni dans le traité ni dans le protocole sur le système européen de banques centrales (SEBC). Peut-être serait-ce « contraire à l’esprit du traité », mais n’était-ce pas le cas également du Quantitative easing voulu par Mario Draghi ? En cette matière, seule la volonté politique compte : l’histoire nous a maintes fois montré que les difficultés juridiques s’effacent devant les accords politiques.
Dissipons enfin un malentendu : il est évident que l’annulation des dettes publiques détenues par la BCE, même conditionnée à des réinvestissements, ne saurait constituer l’alpha et l’oméga de toute politique économique. D’abord, la BCE n’interviendrait que pour libérer des marges de manœuvre budgétaires aux États et n’investirait évidemment pas elle-même. Certains pensent que les taux d’intérêts faibles ou négatifs à travers l’Europe, sont suffisants pour pousser les États à s’endetter pour investir. Ce n’est pas ce que montre la réduction constante du niveau de dette publique moyenne dans l’Union européenne entre 2015, date d’apparition des taux négatifs, et le début de la crise sanitaire. Beaucoup d’États ont réduit leur niveau d’endettement au lieu d’emprunter pour investir, malgré les taux négatifs. Pourquoi cela changerait-il ? Le pacte conclu entre les États et la BCE empêchera cette stratégie de fuite devant les responsabilités. Mais il ne faudra bien sûr pas s’en contenter : d’autres mesures doivent être prises en matière de réforme des critères de dette et de déficit, de protectionnisme écologique et solidaire, de réformes fiscales visant à réduire le niveau des inégalités et à changer les comportements, d’impulsion donnée aux banques publiques d’investissement et de réforme des règles relatives aux aides d’État. Une nouvelle gouvernance européenne, notamment par le passage à la majorité qualifiée en matière fiscale, doit aussi être mise en œuvre.
L’Europe ne peut plus se permettre d’être systématiquement bloquée par ses propres règles. D’autres États dans le monde utilisent au maximum leur politique monétaire, en appui de la politique budgétaire, comme la Chine, le Japon ou les États-Unis. La Banque du Japon va même jusqu’à utiliser son pouvoir de création monétaire pour acheter des actions directement sur le marché via des fonds indiciels cotés (ETF), étant ainsi devenue le plus grand investisseur du pays. Nous devons nous aussi réfléchir à nous servir du pouvoir de création monétaire de la BCE pour financer la reconstruction écologique et sociale, sous contrôle démocratique. L’annulation des dettes publiques qu’elle détient, en échange d’investissements par les États, constituerait un premier signal fort de la reconquête par l’Europe de son destin.
Initiateurs
Liste des signataires
#France #Italie #Allemagne #Irlande #Belgique #Espagne #Luxembourg #Suisse #Suède #Portugal #Grèce #Angleterre #Hongrie
France
Italie
Allemagne
Irlande
Belgique
Espagne
Luxembourg
Suisse
Suède
Portugal
Grèce
Angleterre
Hongrie
Source : https://annulation-dette-publique-bce.com/
docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2000, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.
Autres articles en français de Eric Toussaint (863)
9 février, par CADTM , Eric Toussaint , Collectif , Tariq Ali , Dianne Feeley , Miguel Urbán Crespo , Gilbert Achcar , Fatima Zahra El Beghiti , Myriam Bregman , Noam Chomsky , Fernanda Melchionna , Suzi Weissman
8 février, par Eric Toussaint
5 février, par Eric Toussaint , ATTAC/CADTM Maroc , Sushovan Dhar , Pauline Imbach , Daniel Tanuro , Christine Poupin , David Calleb Otieno , Cristina Quintavalla , Arturo Martinez , Hussein Muqbel
Les pays en développement pris dans l’étau de la dette
2 février, par Eric Toussaint , Milan Rivié
28 janvier, par Eric Toussaint
Équateur : De Rafael Correa à Lenin Moreno
22 janvier, par Eric Toussaint
19 janvier, par Eric Toussaint
La bombe à retardement de la dette extérieure des Pays en développement
18 janvier, par Eric Toussaint , Milan Rivié
15 janvier, par Eric Toussaint
15 janvier, par Eric Toussaint
0 | 10 | 20 | 30 | 40 | 50 | 60 | 70 | 80 | … | 860
est économiste et conseiller au CEPAG (Centre d’Éducation populaire André Genot). Militant altermondialiste, membre du CADTM, de la plateforme d’audit citoyen de la dette en Belgique (ACiDe) et de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015.
Il est l’auteur du livre Et si on arrêtait de payer ? 10 questions / réponses sur la dette publique belge et les alternatives à l’austérité (Aden, 2012) et Il faut tuer TINA. 200 propositions pour rompre avec le fatalisme et changer le monde (Le Cerisier, fev 2017).
Il est également coordinateur du site Bonnes nouvelles
Autres articles en français de Olivier Bonfond (96)
16 décembre 2020, par Eric Toussaint , Olivier Bonfond , Mats Lucia Bayer
23 novembre 2020, par Eric Toussaint , Olivier Bonfond , Mats Lucia Bayer
26 mai 2020, par Eric Toussaint , Olivier Bonfond , Eva Betavatzi
16 avril 2020, par Olivier Bonfond
9 mars 2020, par Olivier Bonfond
6 décembre 2019, par Olivier Bonfond
27 mai 2019, par Yannick Bovy , Olivier Bonfond
10 mars 2019, par Olivier Bonfond
23 décembre 2018, par Olivier Bonfond
20 décembre 2018, par Olivier Bonfond
0 | 10 | 20 | 30 | 40 | 50 | 60 | 70 | 80 | 90
Autres articles en français de Catherine Samary (25)
8 janvier, par Catherine Samary , Srećko Pulig
23 novembre 2020, par Eric Toussaint , Catherine Samary , ZinTV , Mats Lucia Bayer
12 juin 2020, par Eric Toussaint , Susan George , Catherine Samary , Miguel Urbán Crespo , Collectif de signataires
11 mai 2020, par Catherine Samary
13 avril 2020, par Eric Toussaint , Collectif , Esther Vivas , Catherine Samary , Costas Lapavitsas , Stathis Kouvelakis , Tijana Okic , Nathan Legrand , Alexis Cukier , Jeanne Chevalier , Yayo Herrero
2 avril 2020, par Eric Toussaint , Esther Vivas , Catherine Samary , Costas Lapavitsas , Stathis Kouvelakis , Tijana Okic , Nathan Legrand , Alexis Cukier , Jeanne Chevalier , Yayo Herrero
13 mai 2019, par Eric Toussaint , Esther Vivas , Catherine Samary , Costas Lapavitsas , Stathis Kouvelakis , Tijana Okic , Nathan Legrand , Alexis Cukier , Jeanne Chevalier , Yayo Herrero , ReCommons Europe
21 janvier 2019, par Catherine Samary
9 septembre 2016, par Catherine Samary
23 août 2016, par Catherine Samary
Autres articles en français de Thomas Piketty (2)
3 décembre 2013, par Thomas Piketty
25 octobre 2013, par David Graeber , Thomas Piketty