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Chlordécone : des milliers de manifestants en Martinique réclament un procès !

28 FÉVRIER 2021 PAR JULIEN SARTRE

Des milliers de manifestants ont défilé en Martinique, samedi 27 février, afin d’exiger un procès dans l’affaire de l’empoisonnement des populations et des sols au chlordécone. Aux Antilles françaises, l’annonce par des juges parisiens d’une possible prescription des faits génère émotion et indignation.

Fort-de-France (île de la Martinique).– « Jigé yo ! Kondamné yo ! », « Jugez-les ! Condamnez-les ! » En kreyol et en chansons, au son des tambours et des conques de lambis, sous les drapeaux rouge-vert-noir, des milliers de Martiniquais défilent dans les rues de Fort-de-France. Ils n’insultent plus le préfet sous ses fenêtres mais l’esprit frondeur aussi bien que la violence symbolique et politique du carnaval sont toujours là. En revanche, en ce samedi matin ensoleillé et chaud, il n’y a plus de trace des forces de l’ordre envoyées en nombre il y a quelques jours pour tenter de canaliser la fronde du mardi gras.

15 000 personnes ont défilé exigeant un procès dans l’affaire de l’empoisonnement des populations antillaises et des sols de Martinique et de Guadeloupe au pesticide, il n’est plus question de « respect des gestes barrières » ni de « distanciation sociale ». Plus d’une quarantaine d’associations, de syndicats, de partis politiques et de collectifs citoyens ont appelé à marcher « pour la justice » à Fort-de-France. Aucun uniforme n’est visible sur le trajet de l’imposante manifestation et il n’y en a pas davantage à l’arrivée du cortège sur l’emblématique place de la Savane.

Un militant drapé du drapeau « rouge-vert-noir » sur la place de la Savane, à Fort-de-France, samedi 27 février. © JS

« Matinik lévé ! Jigé yo ! Kondamné yo ! Nou ka pa kémandé jistis, nou ka exigé jistis ! », « La justice ne se quémande pas, elle s’exige ! » Les prises de parole, sur la place de la Savane, sont à l’image du défilé dans son ensemble : enfiévrées mais pacifiques. « Treize ans après notre première plainte, l’affaire a été dépaysée à Paris – comme toujours –, personne n’est mis en examen, nous apprenons que des pièces essentielles du dossier ont disparu et on voudrait nous faire croire que nous avons porté plainte trop tard !, s’emporte, en kreyol matinik, Raphael Constant, avocat au barreau de Martinique. À chaque fois qu’on a demandé à un ouvrier agricole de mettre du chlordécone au pied d’un bananier, et cela s’est produit de bien trop nombreuses fois depuis 1990, c’était un délit et cela doit être poursuivi ! Il s’agit de “mise en danger de la vie d’autrui” et “d’administration de substances nuisibles”. Les gens qui l’ont fabriqué, ceux qui l’ont acheté, ceux qui l’ont vendu, tous savaient que c’était dangereux : il s’agit d’un empoisonnement et cela doit être puni. Nous connaissons les responsables, tout le monde les connaît. »

Utilisé entre 1972 et 1993, le chlordécone, un puissant pesticide utilisé afin de lutter contre un ravageur de la banane, a contaminé les populations des Antilles et les ouvriers agricoles en premier lieu, mais aussi les sols, les rivières, les nappes phréatiques. Plusieurs études récentes démontrent à la fois la dangerosité du produit – classé cancérogène par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) – mais aussi la prévalence de la contamination chez les Guadeloupéens et Martiniquais : 92 % de la population est concernée.

Alex Ferdinand, philosophe, était présent au moment de la première plainte. Avant cela, même, il était des toutes premières mobilisations anti-chlordécone, dans les bananeraies, en 1974, lorsque la police tirait à balles réelles sur les ouvriers grévistes à Chalvet, au nord de l’île. Deux morts ont été à déplorer. Ce militant de la première heure de la cause des ouvriers agricoles, membre de l’Association pour la sauvegarde du patrimoine martiniquais (Assaupamar), manifeste lui aussi à Fort-de-France ce samedi 27 février. Il déplore « le déni de justice, la soi-disant perte des documents alors qu’ils sont parvenus à la commission d’enquête parlementaire de 2006, plus de 90 % de la population contaminée, le record de France de cancers de la prostate, une grande souffrance. »

Alex Ferdinand, philosophe, Fort-de-France. © JS

C’était le but premier de cette manifestation : rassembler les souffrances d’une population éprouvée et permettre à tous de s’exprimer. Dans les rangs des manifestants, l’idée d’une prescription, annoncée en visioconférence par des juges parisiens, est insupportable. « C’est la première fois que je viens manifester, je suis venu avec mes deux petites filles, parce que nous autres, Martiniquais, nous sommes tous concernés, témoigne Franck Abati-Todevage, père de famille foyalais. Quelle que soit notre couleur de peau, qu’on habite en ville ou à la campagne, nous subissons tous cet empoisonnement. J’ai beaucoup d’amis et de connaissances qui sont partis à cause du cancer de la prostate. Nous en connaissons tous. »

Des représentants de toutes les générations et singulièrement beaucoup de jeunes ont pris part à la manifestation. C’est, en kréyol, à la poétesse Nicole Cage qu’il est revenu de communiquer à la foule réunie sur la place de la Savane la « déclaration commune » aux 48 structures organisatrices, à la fin de la manifestation. « Nos organisations se sont rassemblées pour une seule cause : le refus des crimes du chlordécone. Notre appel a été entendu. Quelque chose a changé aujourd’hui. Il y a trop de responsables pour qu’il n’y ait pas de coupables : les capitalistes békés de la banane, l’État et un certain nombre d’élus complices, ceux qui l’ont vendu, ceux qui l’ont acheté, ceux qui ont demandé les dérogations et ceux qui les ont accordées, ces criminels doivent être jugés. Jigé yo, kondamné yo ! »

Ni la poétesse ni les structures relayant l’appel à la manifestation n’ont eu un mot pour le « Plan chlordécone IV » mis en avant par les préfectures de Martinique et de Guadeloupe dans des communiqués de presse conjoints avec le ministère des outre-mer publiés mercredi 24 février 2021. Dans ce document, les services de l’État indiquent que ce plan, qui « a pour ambition de protéger les populations contre cette pollution environnementale persistante et prendre en charge ses impacts, qu’ils soient sanitaires, environnementaux ou économiques », est doté de 92 millions d’euros sur la période 2021-2027.

À l’heure de la possible prescription des faits, le plan MACRON n’a convaincu ni les activistes ni les élus, et encore moins la myriade de collectifs citoyens qui se battent pour la reconnaissance de leur préjudice depuis de nombreuses années.

En revanche, la tentation de se faire justice d’une façon plus radicale est toujours aussi présente chez une partie des militants anti-chlordécone aux Antilles. Ce samedi 27 février, alors que la foule se réunissait pacifiquement place de la Savane, une poignée de militants surnommés « Rouge-vert-noir » (les couleurs du drapeau martiniquais) investissait le centre commercial Génipa. Sous enseigne Carrefour, il s’agit du plus gros hypermarché de l’île. C’est la propriété du Groupe Bernard Hayot (GBH), symbole des « capitalistes békés », les propriétaires terriens et détenteurs du pouvoir économique depuis la période de l’esclavage aux Antilles françaises, honnis dans la déclaration commune lue par Nicole Cage.

« On a assez marché : je milite pour mon pays, pour ceux qui sont morts de l’empoisonnement, pour ma cousine, pour ma tante, pour mon oncle, pour mon grand-père », s’agaçait Maïscha, l’une de ces militantes de la mouvance « Rouge-vert-noir », rencontrée par Mediapart sur le parking de l’hypermarché fermé. Là encore, fidèles à leur stratégie d’évitement mise en place lors de cette manifestation, les forces de l’ordre étaient étonnamment invisibles.

Une fraction du cortège, sur le frond de mer de Fort-de-France, en Martinique, samedi 27 février 2021. © JS

Moins radicale, la foule martiniquaise réunie dans les rues de Fort-de-France semblait surtout ce samedi vouloir donner un avertissement pacifique mais sérieux aux autorités judiciaires et à l’État. Un message résumé par Julia Colete, jeune manifestante impliquée dans le mouvement anti-chlordécone : « Le gouvernement doit entendre la demande de réparation, de respect. Ce lourd passé a fondé le système sociétal dans lequel nous sommes. La suite est importante : si Macron et le gouvernement n’entendent rien, la Martinique prendra feu. »

Dans la nuit, à Fort-de-France, des appels lancés sur les réseaux sociaux ont été entendus par plusieurs dizaines de jeunes manifestants avides de prolonger la journée de manifestation pacifique. Ils se sont rendus dans le centre de la capitale de la Martinique au son des tambours et ont été repoussés par les gendarmes mobiles. La préfecture de Martinique, qui avait expliqué à Mediapart par texto être « en week-end off », confirme qu’un « vidé », c’est-à-dire une manifestation carnavalesque, s’est tenu en marge des manifestations de ce samedi 27 février à Fort-de-France.

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