En France, la bourgeoisie a plusieurs carte à jouer : la carte de droite, celle des Chirac, Sarkozy, Philippe, est un classique. Déclinable en plusieurs options (sécuritaire, “gaulliste sociale”, facho…), elle ne fonctionne pas à tous les coups car elle se fait souvent trop à découvert, et même pour la CFDT cela devient un problème (ou pas). C’est pourquoi la classe bourgeoise possède une autre carte, que ses membres ont investi dès le début du XXe siècle. Elle consiste à feindre d’embrasser les aspirations des classes laborieuses pour ensuite les trahir, les décevoir et ainsi montrer qu’il n’y a finalement pas d’autres horizons que ce que la droite aurait fait.
En France, on appelle ça “la gauche”, mais le terme générique est “sociale-démocratie”. Le parti dans lequel ce véritable joker s’est surtout incarné est le Parti socialiste. Macron était quant à lui le joker du joker, une sorte de monstre hybride du PS embourgeoisé et décrédibilisé et de la droite la plus traditionnaliste, le tout nappé d’un côté “anti-système” qui a nécessité une débauche de moyens marketing. Mais ce robot-bourgeois, qui méprise et qui réprime, tend à s’user.
« Fin penseur politique » ?
Lionel Jospin a un retour de hype cette semaine car il est une figure emblématique du vieux monde social-démocrate. Il se situe entre le premier des grands destructeurs d’espoir populaire, François Mitterrand, et le dernier en date, François Hollande. Ce mois-ci, il est de retour sur la scène médiatique pour la sortie d’un bouquin que tout le monde salue comme profond, “méticuleux” (Léa Salamé sur France inter), essentiel pour comprendre le monde qui nous entoure – même s’il a été écrit depuis l’Île de Ré (où il réside). Même Jean-Luc Mélenchon, qui s’est inscrit en rupture ouverte, dès 2008, avec le PS et toutes les trahisons qu’il incarne, a salué le retour du grand manitou de la “gauche plurielle” dans un tweet.
Dans son interview à France Inter jeudi dernier, le Jospin devenu stylé a dénoncé le “néolibéralisme” de Macron et a appelé à une union de la gauche autour de quelques grands principes flous, de quoi mettre en pâmoison toute une partie de la classe politico-médiatique.
« L’Etat ne peut pas tout »
Or, comme tous les sociaux-démocrates, il a pour principale fonction de dénoncer (mollement) ce qu’il ferait s’il était au pouvoir. Un petit tour du côté de son bilan, alors qu’il dirigeait la France de 1997 à 2002, est encore plus parlant :
La devise des petits bourgeois : « moi, je suis de gauche »
La puissance des réseaux du Parti socialiste, mais surtout la capacité des sociaux-démocrates à survivre à toutes leurs trahisons et à toutes leurs privatisations, a de quoi surprendre. Les journalistes, militants et autres personnages de la “société civile” (les gens à qui on demande leur avis, hors micro-trottoir) ont-il la mémoire qui flanche ? Comment expliquer leur appétit toujours renouvelé pour des gens qui n’ont la question sociale à la bouche que lorsqu’ils ne sont pas occupé à détruire les conquêtes de la classe laborieuse ?
Le coeur à gauche, le portefeuille à droite, la classe bourgeoise et le marais petit-bourgeois qui l’entoure s’en foutent finalement pas mal des déceptions, des trahisons et des destructions. On dirait que leurs membres se délectent du spectacle de nos espoirs constamment déçus, tandis qu’ils gonflent leur poitrine du sentiment de leur propre vertu : “moi, je suis de gauche”. La social-démocratie est la cage dorée des espoirs populaires et donc la plus belle digue que les possédants ont su se construire. Si nous voulons qu’un jour les choses change, déboulonnons-là.